Pourquoi Jonas est-il en colère ? Quel est le rapport entre la destruction d’un arbuste et la destruction d’une ville ?
En 2008, le compositeur Etienne Tarneaud présentait pour la première fois sa comédie musicale Jonas Le Musical, mise en scène par Sophie Tellier.
Cette comédie musicale s’inspire donc du récit biblique que vous commencez à connaître presque par cœur maintenant... l'histoire de Jonas !
Aujourd'hui, lisons le dernier chapitre de ce court livre biblique. Direction Ninive avec Jonas !
Le prophète Jonas vient d’accomplir sa mission, celle de prévenir la ville de Ninive de sa destruction prochaine d’ici quarante jours. Face à l’attitude des Ninivites qui se repentent en un seul jour, Dieu leur pardonne. Mais cette miséricorde express ne plaît pas à notre ami Jonas…
Jonas en fut très contrarié et se mit en colère. Il fit une prière à YHWH et dit :
— Ah ! YHWH, n’est-ce pas là ce que je disais lorsque j’étais encore sur ma terre ? C’est pour cela que je me suis hâté de fuir à Tharsis, car je savais que tu es un Dieu miséricordieux et clément, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal. Et maintenant, YHWH, retire donc de moi mon âme, car la mort vaut mieux pour moi que la vie.
Et YHWH répondit :
— Fais-tu bien de te mettre en colère ?
Jonas sortit de la ville et s’assit en face de la ville, et là il se fit une hutte et s’assit à l’ombre, jusqu’à ce qu’il vît ce qui arriverait à la ville.
Et YHWH désigna un ricin. Il s’éleva au-dessus de la tête de Jonas, pour qu’il y eût de l’ombre au-dessus de sa tête, afin de le délivrer de son mal, car il souffrait. Et Jonas se réjouit d’une grande joie, à cause du ricin. Mais Dieu fit venir un ver au lever de l’aurore, le lendemain, et il frappa le ricin et celui-ci sécha. Et quand le soleil fut levé, le Seigneur donna ordre à un vent chaud et brûlant, et le soleil frappa sur la tête de Jonas, et il était bouillant de chaleur, et il demanda pour son âme de mourir et dit :
— Mieux vaut pour moi mourir que vivre.
Et YHWH dit :
— Toi, tu as de la peine pour ce ricin pour lequel tu n’as pas travaillé et que tu n’as pas fait croître, qui est né en une nuit et a péri en une nuit ; et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle habitent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer entre leur main droite et leur main gauche, et des bêtes en grand nombre ?
Jonas est dans une colère noire. Alors que le livre touche à sa fin, le narrateur donne pour la première fois un aperçu de l’émotion et des pensées de Jonas. À titre de comparaison, l’auteur n’a rien dit à propos de la peur ou du calme de Jonas sur le navire lors de son séjour en mer.
Disons-le tel quel, il engueule carrément Dieu ! Il lui reproche de l’avoir déplacé pour rien. Ici, Jonas précise que sa colère est telle qu’il veut en mourir. Traduction moderne : Jonas traverse une humeur dépressive. Et il le répète :
Dans la Bible, un certain nombre de personnages connaissent, eux aussi, des un états semblables à une véritable dépression. Accablés de malheurs, ils en viennent même à vouloir mourir…
À distance, Jonas attend de voir si Ninive ne va pas finir par être détruite… Au passage, remarquons que « la ville » est mentionnée 3 fois dans ce chapitre. Cette répétition et cette insistance montrent bien que Jonas ne lâche pas des yeux Ninive :
« Jonas sortit de la ville et s’assit en face de la ville, et là il se fit une hutte et s’assit à l’ombre, jusqu’à ce qu’il vît ce qui arriverait à la ville. » (Jon 4, 5)
Or, il ne comprend pas que Ninive a bel et bien été « renversée », puisqu’elle s’est convertie !
Étymologiquement, convertir en latin veut dire « se retourner » (convertere = faire retourner), et c’est précisément ce qu’il se passe ! La ville est bien renversée, car elle se détourne de ses activités corrompues pour se convertir et suivre Dieu !
Cela, Jonas ne le perçoit pas. Toute la fin du livre décrit l’attitude de Dieu qui cherche à lui faire percevoir cette idée. D’ailleurs, ce n’est pas anodin si Jonas change de lieu géographique ! Littéralement, il change déjà de perspective.
Jonas se construit une hutte qui lui fait office de refuge pour se protéger de la chaleur : « là il se fit une hutte et s’assit à l’ombre » (Jon 4, 5).
Mais Dieu décide d’ajouter une plante : « Et YHWH désigna un ricin. Il s’éleva au-dessus de la tête Jonas, pour qu’il y eût de l’ombre au-dessus de sa tête » (Jon 4, 6).
La plante miraculeuse indique que Dieu n’abandonne pas Jonas. Cette fidélité de Dieu est d’ailleurs l’un des fils rouges du Livre de Jonas. Alors que Jonas fuit et s’éloigne de Dieu ; Dieu reste avec Jonas. Tout-puissant, Dieu produit même une série de revirements de situation :
Ainsi, tout au long des quatre chapitres du Livre de Jonas, Dieu « parle » à Jonas... à travers les éléments de la nature. Avec cet épisode du ricin qui pousse comme les graines de Numérobis en-quelques-secondes-et-voilà-de-l'ombre-aussitôt, cela produit même un effet comique. Tous ces indices semblent grossiers tellement ils sautent aux yeux !
Bref, Dieu fait donc pousser un ricin en quelques heures, puis il introduit un ver qui tue l’arbre le lendemain. Pourquoi ?
Le mot « ricin » dans le texte traduit l’hébreu qiqayon et il est difficile à traduire. Ce mot n’apparaît que dans cette scène dans toute la Bible. La rareté du mot nous indique donc que ce « ricin » n’est pas anecdotique.
En fait, ce qiqayon sert d'argument logique. Autrement dit, c’est une sorte de raisonnement par la proportionnelle (a minore ad maius):
Comme la fin d’une parabole, la dernière phrase du Livre de Jonas est une parole de Dieu, et c'est une question. La réponse est à trouver pour le prophète, mais également par extension, pour le lecteur, laissé libre de juger s’il est bon ou non que Dieu ait pitié.
L’itinéraire d’un prophète désobéissant met en évidence le problème de la miséricorde divine. Finalement, elle est difficile. Traduction : je comprends aisément l'idée du pardon divin envers moi, mais j'ai du mal à accepter qu'il s'étende aussi à mes ennemis!
Pour conclure, on vous laisse en compagnie du poète alsacien Jean-Paul de Dadelsen :
« Quel jardinier bizarre est le maître qui
fait attendre à celui qui plante un arbre
qu’il soit mort
avant de laisser mûrir le fruit. »
Jean-Paul Dadelsen (1913-1957), « Jonas», Les Ponts de Budapest et autres poèmes. Collection Poésie, Gallimard, 2005