Quelle place tient Joseph dans le Coran ? Pourquoi Mahomet l'appelle-t-il son « frère » ? Qui est le prophète Yusuf dans le Coran ?
Dans ces 3 épisodes de PRIXM, on vous a raconté la première partie de cette histoire terrible. Dans la suite, Joseph se retrouve en Égypte où il devient un des personnages les plus importants de la cour de Pharaon. Ses frères le retrouvent et le supplient de les aider, ce qu’il fera en leur pardonnant.
Joseph deviendra alors l’archétype du frère miséricordieux. On aura l’occasion de vous en reparler.
Le Coran mentionne l’épisode de Joseph, donc on a envoyé un pigeon voyageur à nos frères du Caire pour leur demander de nous éclairer.
Basé dans la capitale égyptienne, l’Idéo, Institut dominicain d’études orientales, est un repaire d’érudits parlant l’arabe à merveille et disposant d’une des plus incroyables bibliothèques pour étudier l’Islam.
Le Prophète de l’islam n’était pas rancunier. La tradition musulmane rapporte que lorsque Muḥammad, après des années de rejet par ses compatriotes, puis de guerre, rentra enfin victorieux à la Mecque, sa ville natale, il prit un temps de prière au sanctuaire puis s’adressa à ses anciens adversaires vaincus :
« Je dis comme a dit mon frère Joseph : Qu’aucun reproche ne vous soit fait aujourd’hui ; que Dieu vous pardonne ! Il est le plus miséricordieux de ceux qui font miséricorde. »
Comme symbole de réconciliation avec ses frères qui ont voulu le tuer, Muḥammad se place donc sous le patronage du patriarche Joseph, le fils de Jacob, qui avait lui-même pardonné à ses frères au point de menacer sa vie.
On remarque d’ailleurs une chose étrange : en évoquant cette histoire où les frères ne sont pas particulièrement valorisés, il appelle Joseph son frère.
Pour faire référence à Joseph, ce n’est pas la Bible que Mahomet cite, mais le Coran (plus précisément il cite dans le texte le verset 92 de la sourate 12). On sait qu’on trouve, dans le Livre saint des musulmans, l’évocation de très nombreux personnages bibliques.
Parmi eux, Joseph tient une place toute particulière : alors que, d’ordinaire, les histoires bibliques n’ont droit dans le Coran qu’à des allusions plus ou moins explicites, sur quelques versets au plus à la suite, celle du patriarche est la seule que le Coran raconte longuement, dans le détail, dans une sourate entière (la sourate 12, dite justement « Sourate de Joseph »).
Le Coran omet beaucoup de détails, mais il en donne aussi plusieurs qu’on ne trouve pas dans la Bible (mais viennent probablement d’anciens commentaires juifs, les midrash), sur les succès de Joseph auprès des femmes en particulier.
Mais on perdrait son temps à jouer au « jeu des sept erreurs » entre le texte biblique et le récit coranique, car on risquerait de passer à côté de l’essentiel : ce n’est pas tel ou tel détail qui diffère vraiment, mais bien la perspective d’ensemble.
Un Midrash est une méthode de la tradition juive pour commenter la Bible en comparant les textes bibliques les uns avec les autres. Les liens entre le Coran et les Midrash sont très nombreux.
Ce qui est raconté, c’est l’histoire d’un prophète — alors que jamais la Bible ne donne ce titre à Joseph — persécuté par les siens, mais que Dieu, plus habile que quiconque dans ses machinations, met bientôt au-dessus de ses ennemis.
L’histoire, comme beaucoup d’histoires du Coran — généralement plus brèves —, est un avertissement adressé à ceux qui seraient tentés de s’en prendre aux prophètes de Dieu, et en particulier au Prophète de l’islam.
C’est ainsi que les premiers commentateurs du Coran comprendront l’histoire :
« Dieu a dit au peuple de Qurayš, le peuple de son prophète Muḥammad : il y a dans cette histoire une leçon dont vous devez tenir compte. Celui qui fit cela avec Joseph et ses frères est capable de faire de même avec Muḥammad : il le fera sortir du milieu de vous, puis il le fera triompher de vous et il l’investira du pouvoir dans le pays… »
Dans le Coran, l’histoire humaine ne progresse pas, permettant au salut de Dieu de se déployer ; au contraire, elle se répète inlassablement, selon le même schéma : Dieu envoie des prophètes à des peuples qui les refusent.
L’histoire de Joseph est alors la poursuite d’une polémique, qui court tout au long du Coran, entre Dieu et ceux qui refusent de croire ; elle fournit un exemple supplémentaire de la supériorité de Dieu sur ses ennemis.
Il n’est plus tellement question d’une histoire de famille : Joseph et ses frères deviennent le paradigme de la malveillance et de la jalousie des hommes à l’égard des prophètes, précisément parce qu’ils sont meilleurs qu’eux ; et le pardon accordé aux frères ennemis souligne la possibilité toujours offerte du repentir, possibilité que le récit invite à saisir.
Si Joseph a pardonné à ses frères, Dieu vous pardonnera aussi vos refus de croire, si seulement vous ouvrez les yeux et embrassez un repentir sincère.
On comprend pourquoi Muḥammad, vainqueur de sa tribu qui l’avait rejeté, appelait Joseph son frère : bien plus que la fraternité du sang, dont l’histoire de Joseph comme sa propre histoire montrait la faiblesse et l’inconstance, il partage avec le Yūsuf coranique, fort différent en cela du Joseph biblique, un lien plus profond et plus solide que le lien du clan ou de la famille : la fraternité qui unit entre eux les prophètes.
Si vous vouliez aller plus loin, il y a une fort belle et instructive étude, en français, de ladite sourate 12 :
A.-L. de Prémare, Joseph et Muhammad. Le chapitre 12 du Coran (étude textuelle), Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1989.
On s’est dit que la parole d’Érasme était bienvenue :
« Si je ne pardonne pas à mon frère, Dieu ne me pardonnera pas... On ne sera pas condamné pour ignorer si le principe de l’Esprit-Saint est simple ou double ; mais on n’évitera pas la damnation, si l’on ne s’efforce pas de posséder les fruits de l’Esprit, qui sont amour, joie, patience, bonté, douceur, foi, modestie, continence. »
Érasme, Lettre d’Érasme à Jean Carondelet, archevêque de Palerme, 5 janvier 1523. Cité par Jean Comby, Pour lire l’histoire de l’Église, Paris, Cerf, 2003, p. 201