Redécouvrez l'expression « jugement de Salomon » à travers le tableau de Nicolas Poussin. Comment le roi Salomon rend-t-il justice ?
Solomon (répertorié HWV 67 de son petit surnom technique), est un oratorio en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), daté de 1748.
Et comme son nom l’indique, cette œuvre musicale ne parle pas de chou ou de carotte, mais bien de l’histoire biblique du roi Salomon. On revient justement aujourd’hui sur l’histoire du fameux jugement de Salomon.
Le récit du jugement de Salomon est emblématique de la sagesse du roi qui prend la bonne décision. Redécouvrez ce récit biblique savoureux.
Deux femmes, des prostituées, vinrent vers le roi [Salomon] et elles se tinrent en face de lui.
L’une des femmes dit :
— De grâce, mon seigneur ! Moi et cette femme, nous habitons dans la même maison, et j’ai accouché auprès d’elle dans la maison. Et advint que le troisième jour après mon accouchement, cette femme aussi a accouché. Nous étions ensemble, il n'y avait pas d'étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison. Or le fils de cette femme-ci est mort pendant la nuit, sûrement qu’en dormant elle l'a étouffé ! Et se levant en pleine nuit en silence, elle a enlevé mon fils d'à côté de moi, [le fils] de ta servante qui dormait, et l'a placé sur son sein. Quant à son fils qui était mort, elle l'a mis sur mon sein. Et comme je m'étais levée le matin pour donner le lait à mon fils, il apparut mort. Mais le regardant plus attentivement à la claire lumière, j'ai saisi qu'il n’était pas le mien, que j’avais enfanté.
Et l’autre femme répondit :
— Il n'en est pas ainsi ! Mais ton fils est mort, et le mien vit.
À l'opposé, celle-là disait :
— Tu mens ! Mon fils, pour sûr, vit, et ton fils est mort.
Et de cette façon elles se disputaient face au roi.
Le roi dit alors :
— Celle-ci dit « Mon fils vit, et ton fils est mort » ; et celle-là a répondu « Non mais ton fils est mort, et mon fils vit ».
Le roi, donc, dit :
— Apportez-moi un glaive.
Comme on avait apporté le glaive face au roi il dit :
— Divisez l'enfant vivant en deux parts et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre.
Or, ses entrailles en effet s'étaient émues pour son fils, la femme dont le fils était vivant dit au roi :
— Je vous en supplie, seigneur, donnez-lui l'enfant vivant, et ne le faites pas périr.
Au contraire celle-là disait :
— Qu’il ne soit ni à moi ni à toi ! Qu'il soit divisé !
Et le roi répondit et dit :
— Donnez l'enfant à celle qui a dit « Donnez-le lui et ne le faites pas mourir de mort ». Elle [est] sa mère.
Et tout Israël apprit ce jugement que jugea le roi, et l’on craignit en face du roi car on vit qu'une intelligence de Dieu [était] en lui pour faire acte de justice.
Au Proche-Orient ancien et dans l’Antiquité, la première qualité du roi est d'être juste, et la justice était un attribut divin. Le roi ou la reine étaient les mandataires terrestres de cette justice céleste. Ce sont eux qui devaient en assurer sa mise en pratique.
Comme en témoigne l’Ancien Testament, le peuple d’Israël ne fait donc pas exception et partage cet arrière-fond culturel. Les Écritures parlent d’ailleurs très souvent de la justice de Dieu et de son lien avec le statut royal. Voici deux exemples, dans les Psaumes et dans le Livre des Proverbes :
Ô Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice, qu'il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits. (Ps 72, 1-2 )
Abomination pour les rois : commettre le mal. Car sur la justice le trône est établi. (Pr 16, 12)
C’est dans ce cadre qu’il faut situer le récit du jugement de Salomon, qui survient tout au début de son règne. Les auteurs des deux Livres des Rois l’ont placé à cet endroit afin de montrer, d’entrée de jeu, que ce souverain sera compétent en étant un véritable médiateur de la justice divine.
Mais, comme nous le verrons, ce récit va plus loin en précisant de quel type de justice il s’agit : une justice créatrice de dignité.
Le roi dit alors :
— Celle-ci dit “Mon fils vit, et ton fils est mort” ; et celle-là a répondu “Non mais ton fils est mort, et mon fils vit.”
Le roi, donc, dit :
— Apportez-moi un glaive. (1R 3, 23-24)
Dans l’histoire du jugement de Salomon, l’épée du roi constitue le point de bascule. En effet, c’est la mention du glaive qui provoque un changement dans le vocabulaire employé pour parler des enfants.
Paradoxalement, c’est donc en demandant un objet qui symbolise habituellement la mort que Salomon fait surgir la vie.
En réclamant l’épée, il détourne l’attention de la première femme, qui était entièrement tournée vers la mort, et la réoriente vers la vie. Il provoque même chez elle une supplication pour la vie, tandis que l'autre femme s’enfonce dans une dynamique de mort en souhaitant le trépas du deuxième enfant :
La femme dont le fils était vivant dit au roi :
— Je vous en supplie, seigneur, donnez-lui l'enfant vivant, et ne le faites pas périr.
Au contraire l'autre disait :
— Qu’il ne soit ni à moi ni à toi ! Qu'il soit divisé ! (1R 3, 26)
C’est donc au moment où le récit arrive au paroxysme du suspense que le roi rend son jugement :
Et le roi répondit et dit :
— Donnez l'enfant à celle qui a dit « Donnez-le lui et ne le faites pas mourir de mort ». Elle [est] sa mère. (1R 3, 27)
Salomon fait ainsi retomber toute la tension de manière dramatique. Or, il est essentiel de noter le nom employé ici pour désigner la première femme : « C’est elle la mère. »
Dans ce récit qui parle pourtant abondamment d’accouchement, d’enfant, de fils et d’allaitement, c'est la première fois que le nom « mère » est utilisé. Le chemin parcouru par la première femme est donc considérable :
À partir de l'évolution de la première femme, un écart se creuse et une distinction très nette s'opère :
L’introduction et la conclusion témoignent de l’expansion spectaculaire de la justice de Salomon. En effet :
Voici donc la conclusion que l'on peut donner à ce récit : la justice divine englobe tout le monde, en commençant par les plus petits, les plus faibles et les plus vulnérables.
On profite de la fin de cet éclairage pour dire un immense merci à notre ami Francis, directeur de la SOCABI et lecteur de PRIXM depuis Montréal au Canada, qui a librement inspiré cet épisode !
La semaine prochaine, on parlera justement du roi Salomon et de la reine de Saba dans le Coran. Cette peinture fait donc transition et offre un teasing parfait !
Le jugement de Salomon est devenu un symbole de justice. Mais Paul Beauchamp, grand théologien jésuite du XXe siècle, nous rappelle qu'il ne s'agit pas d'un simple compromis facile :
« “Sagesse” est le mot traditionnel qui résume le règne de Salomon, son attribut principal. Mais ce mot n’a pas tout à fait, pour la Bible, le sens plutôt contemplatif que nous lui donnons. Il dit l’art de se servir des dons de Dieu, mais à tous les niveaux : la parole, l’économie, la vie quotidienne, la religion. Le célèbre jugement de Salomon est son premier et son plus bel acte de gouvernement. Il juge entre deux femmes qui se prétendent la mère du même enfant. L’une aime mieux céder l’enfant que le voir mourir. L’autre accepte de voir chacune en recevoir la moitié. Elle n’est donc pas la mère. Aujourd’hui, quand on parle de “jugement de Salomon”, on veut dire “ménager les deux parties”. C’est bien loin du vrai sens ! »
Paul Beauchamp (1924-2001), Cinquante portraits bibliques, Paris, Seuil, 2000, p. 136