Qui est Jacob dans les Écritures ? Qui est son frère Esaü ? Comment le petit dernier de famille est-il devenu la figure d'Israël ?
Jacob est un des personnages les plus importants de l'Ancien Testament.
Il n'est donc pas étonnant que son nom ait traversé les millénaires et qu'il soit porté par pas mal de « stars » contemporaines : Marc Jacobs, Jacob Anderson (qui joue le rôle de l'excellent Grey Worm dans Game of Thrones en photo ci-dessus) ou encore Jacob Elordi.
Abraham est le père d'Isaac qui est le père de Jacob. Le livre de la Genèse raconte l'histoire de la naissance de ce Jacob qui va devenir aussi important que son père et son grand-père...
Voici la famille d’Isaac, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac. Isaac était âgé de quarante ans quand il prit pour femme Rebecca, fille de Bathuel l’Araméen. Isaac implora YHWH pour sa femme, car elle était stérile. YHWH l’exauça et Rebecca, sa femme, devint enceinte. Et les enfants se heurtaient dans son sein et elle dit :
– S’il en est ainsi, pourquoi cela m'arrive-t-il ?
Et elle alla consulter YHWH. Et YHWH lui dit :
– Deux nations sont dans ton sein et deux peuples se sépareront hors de tes entrailles et un peuple sera plus fort qu'un autre peuple et le plus grand servira le plus petit.
Le temps où elle devait enfanter arriva. Et voici, il y avait des jumeaux dans son sein !
Celui qui sortit le premier était roux, tout velu comme un manteau de poils, et ils l’appelèrent Esaü.
Après quoi sortit son frère, tenant dans sa main le talon d’Esaü. On l'appela Jacob.
Isaac était âgé de soixante ans quand ils naquirent. Ces garçons grandirent. Esaü devint un habile chasseur, un homme des champs ; mais Jacob était un homme paisible, qui restait près des tentes.
Remarquons ce qui est dit, mais aussi ce qui n’est pas dit, ou plus précisément ce qui est dit rapidement, c’est-à-dire sans qu’on n’y attache d’importance particulière :
Pour raconter le passage des épousailles à la naissance des jumeaux, l’info est réduite à deux propositions consécutives. Hop, deux phrases lâchées et puis c’est tout.
Or, on sait que la difficulté d’enfanter un fils constitue un ressort dramatique fondamental dans la Bible comme dans toute vie. Ici, le narrateur signale tout simplement au lecteur qu’il n’en sera pas de même. En gros, on s’attend à ce que Rebecca ne soit pas enceinte, que ce soit un problème et qu’on s’y attarde. Et non.
On nous dit juste que :
« Isaac implora YHWH pour sa femme, car elle était stérile. YHWH l’exauça et Rebecca, sa femme, devint enceinte. »
Le procédé littéraire de l’« ellipse temporelle » — qui consiste ici à accélérer le récit pour zapper 20 ans de la vie d’Isaac ! — est remarquable.
La prière est faite.
Il se passe 20 ans.
Puis elle est exaucée.
Et l’auteur biblique nous raconte ça easy, comme si de rien n’était !
En fait l'auteur se concentre sur une autre intrigue : la rivalité entre les deux frères.
La société patriarcale voudrait que le plus petit fût au service du plus grand, que Jacob se mît au service d’Esaü son aîné. Mais non. Pas de ça ici, et c’est même le contraire qui va arriver.
Les attentes humaines sont sans cesse renversées. La Bible nous surprend. YHWH, le Dieu vivant, rayonne de toute la liberté de Ses choix à Lui : c'est le petit, Jacob, qui deviendra patriarche lui-même et héritier des promesses !
Notre copain Robin nous a fait remarquer que l'Écriture Sainte n'était pas totalement incohérente et que dans le Nouveau Testament, l'épître aux Corinthiens soulignerait la même vérité. On vous en avait parlé dans Le triomphe de la petitesse avec une belle référence à Gandalf.
Le grand Rachi (Rabbi Salomon fils d'Isaac le Français), commentateur juif du XIe siècle (qui vivait à Troyes dans l'Aube...), a sa propre interprétation de la hiérarchie entre les deux jumeaux. Rachi essaie de renverser la logique biblique par un bizarre argument « biologico-mécanique » démontrant que Jacob, en fait, même s'il est apparu le second, a été créé en premier :
« J’ai entendu une interprétation qui prend ce texte au pied de la lettre : Il était juste que Ya’aqov [Jacob] saisît son frère au talon pour le retenir, car il était le produit de la première goutte de semence, ‘Essaw [Esaü] étant le fruit de la seconde. On peut comparer cette situation à un tuyau dont l’ouverture est étroite. Si l’on y fait glisser deux cailloux l’un après l’autre, celui qui sera entré en premier sortira en dernier, et celui qui sera entré le dernier sortira le premier. C’est ainsi que ‘Essaw, créé en dernier, est sorti en premier, et que Ya‘aqov, créé le premier, est sorti le dernier. Voilà pourquoi il le 'tenait', afin d’être le premier par la naissance comme il l’avait été par la création. Comme c’est lui qui 'a ouvert la matrice', c’est à lui que sera attribué le droit d’aînesse.
[Le talon de ‘Essaw] [est] signe que l’un [en l’occurrence ‘Essaw], n’aura même pas terminé sa période de domination, avant que l’autre [à savoir Ya‘aqov], se soit dressé pour lui reprendre le pouvoir. »
Rachi, commentateur juif du XIe siècle.