Que dit Jésus aux deux disciples sur le chemin d'Emmaüs ? Comment Jésus fait-il le lien entre l'Ancien et le Nouveau Testament ?
Le thème de la mort et de la résurrection de l’Élu traverse toute la culture occidentale. Harry Potter en est un exemple emblématique dans le dernier opus Les reliques de la mort :
Pour vaincre Voldemort, le héros doit consentir à mourir. Après cette mort, il ressuscite et devient capable de vaincre le Prince des Ténèbres.
Et voici, ce même jour, deux d’entre eux se rendaient dans un village du nom d'Emmaüs distant de Jérusalem de soixante stades, et ils causaient entre eux de tout ce qui était arrivé. Et il advint, comme ils s'entretenaient et s'interrogeaient en eux-mêmes, Jésus lui-même, s’étant approché, faisait route avec eux ; mais leurs yeux étaient retenus afin qu'ils ne le reconnussent pas. Il leur dit :
— Quelles sont ces paroles que vous échangez en marchant ? et [pourquoi] êtes-vous tristes ?
Prenant la parole, l’un d’eux nommé Cléophas lui dit :
— Tu es bien le seul pèlerin à Jérusalem à ne pas savoir ce qui y est arrivé ces jours-ci !
Et il leur dit :
— Quoi ?
Ils lui dirent :
— Ce qui concerne Jésus le Nazarénien qui fut un homme prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et tout le peuple ; comment aussi nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour une condamnation à mort et l’ont crucifié. Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait racheter Israël et maintenant, en plus de tout cela, voilà le troisième jour aujourd'hui que ces choses sont arrivées ! Mais quelques femmes des nôtres nous ont effrayés. Elles furent avant la lumière au sépulcre, et n’ayant pas trouvé son corps, elles vinrent en disant qu’elles avaient même vu une vision d’anges qui le disent en vie. Certains des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé ainsi comme les femmes avaient dit mais lui, ils ne l’ont pas vu.
Et lui leur dit :
— O insensés et lents de cœur à croire à tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer ainsi dans sa gloire ?
Et commençant par Moïse et tous les prophètes il leur interprétait dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui feignit d'aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant :
— Reste avec nous, car le soir vient et déjà le jour a décliné.
Et il entra pour rester avec eux.
Lorsque Jésus marche avec ses disciples, il fait le même exercice que celui que nous faisons chaque article avec vous : il interprète les Écritures. Autant vous dire que ça devait être d’un niveau autre que PRIXM et qu’on aurait bien aimé assister à la plus belle leçon d’exégèse de l’histoire !
Ce n'est certainement pas le Nouveau Testament que Jésus interprète puisque ce texte n’est pas encore rédigé ; Jésus venant à peine de mourir et de ressusciter. L’Évangile nous indique que Jésus commence « par Moïse et tous les prophètes » :
Bref, quand Jésus explique aux disciples d'Emmaüs toutes les références qui le concernent dans les Écritures, il interprète ce que les chrétiens appellent l’Ancien Testament.
Une tentation commune pour les chrétiens est de séparer l’Ancien du Nouveau Testament. Pour simplifier, on préfère le « Jésus plein d'amour » du Nouveau Testament au « Dieu souvent méchant et violent » de l’Ancien Testament. Or, il s'agit du même « Jésus plein d'amour », Dieu fait homme, qui proclame l’unité fondamentale de la révélation. Jésus explique l'Ancien Testament pour montrer qu'il est le Messie attendu : il existe donc bien une continuité.
Cette tentation de séparation est vieille comme l'Église. C’est même la première grande hérésie*. Au IIᵉ siècle, Marcion déclare que le Dieu de l’Ancien Testament n'est pas le même que celui du Nouveau Testament : il fallait donc supprimer l’Ancien Testament et ne garder que le Nouveau.
*Le terme hérésie provient du grec hairesis qui signifie « choix, sélection ». Une hérésie choisit dans l’Écriture ce qui l’arrange.
Le chapitre 24 de l’Évangile selon Luc et tant de passages de l'Évangile auraient dû dissuader Marcion de tomber dans cette erreur : le Christ n’est pas venu abolir l’Ancien Testament, il est venu accomplir ses promesses (Mt 5,17).
Les lecteurs de l’Écriture (que nous sommes !) doivent donc lire l’Ancien Testament, le travailler, pour mieux comprendre le Nouveau Testament qui contient maintes références aux et citations des « Écritures ».
On ne saurait mieux conclure cette newsletter qu’en citant ces mots du grand philosophe français Maurice Blondel (1861-1949) :
« D’un côté, en effet, les témoignages portés sur le tombeau vide et les apparitions tangibles du Christ, libéré des lois communes de la matérialité corporelle, apparaissent d’autant plus probants que, malgré prophéties et prédictions, les hommes simples, peu instruits, charnels encore, compagnons assidus et témoins de la vie publique du Maître, n’avaient guère compris ou avaient oublié les allusions qui les auraient empêchés de s’étonner, de s’effrayer »
Maurice Blondel, La philosophie et l’esprit chrétien, tome 2 : Conditions de la symbiose seule normale et salutaire, Paris : PUF, 1946, p. 24-25.