Danseuse provoquant la mort de Jean-Baptiste, qui est Salomé ?

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Dansant devant Hérode et provoquant la mort de Jean-Baptiste, qui est la fille d’Hérodiade ? S’appelle-t-elle vraiment Salomé dans les évangiles ?

4 minutes et 42 secondes avec Rita Hayworth, Flavius Josèphe, Oscar Wilde et Guillaume Apollinaire
Dernière mise à jour -  
24/11/2023

La danse de Salomé au cinéma

En 1953, William Dieterle sortait le film avec l’actrice incontournable des années 50 : Rita Hayworth. On l’y voit effectuer une danse sensuelle, devant une cour romaine gouvernée par le tétrarque Hérode Antipas. Mais qui est donc Salomé ?

Aujourd’hui, on vous propose de découvrir l’histoire biblique de ce personnage secondaire devenu un archétype de la femme fatale. Les œuvres ont beau proliférer à son propos, on ne saisit pas toujours bien qui est réellement Salomé ! Une princesse, une séductrice, une victime ? On vous défriche tout ça !

Le texte biblique qui raconte la danse de Salomé et la mort de Jean-Baptiste

Ce passage de l’évangile de Matthieu raconte la célèbre « danse de Salomé », survenant au début de la vie publique de Jésus.

En ce temps-là, Hérode le tétrarque entendit [parler] de la renommée de Jésus et il dit à ses serviteurs :
— Celui-ci est Jean le Baptiste. Lui, il est ressuscité des morts voilà pourquoi les miracles agissent en lui.

Car Hérode avait saisi Jean et l’avait lié et mis en prison à cause d’Hérodiade la femme de Philippe son frère, car Jean lui disait :
— Il ne t’est pas permis de l’avoir.

Et tout en voulant le tuer, il craignit la foule parce qu’elle le tenait pour un prophète.

L’anniversaire d’Hérode étant arrivé, la fille d’Hérodiade dansa au milieu et plut à Hérode. Aussi, il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste.

Et le roi fut attristé à cause des serments et des convives, ordonna qu’elle [lui] soit donnée et envoya décapiter Jean dans la prison et sa tête fut apportée sur un plat et fut donnée à la jeune fille et elle l’apporta à sa mère et s’approchant. 

Ses disciples prirent le corps et l’ensevelirent, puis ils vinrent l’annoncer à Jésus.

Évangile selon saint Matthieu, chapitre 14, versets 1 à 12. Traduit du grec par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Salomé et la danse des sept voiles : entre mythes et récits bibliques

Henri Regnault (1843-1871), Salomé (1870, huile sur toile, 160 x 103 cm), Metropolitan Museum of Art, New York (États-Unis). Domaine public.

Qui sont Salomé, Jean, Hérode et Hérodiade ?

On vous parle d’une certaine « Salomé »… mais avez-vous vu son nom dans le texte biblique ? Ah oui, vous pensez peut-être qu’on le trouve dans d’autres évangiles. Et bien non ! *Pour être très exact, il existe bien une femme nommée Salomé dans les évangiles, mais elle apparaît seulement au moment de la mort de Jésus – et n'a rien à voir avec le personnage qui danse devant Hérode dans cette scène.  

D'où vient ce prénom pourtant célèbre alors ? En fait, la tradition a retenu le prénom « Salomé » pour désigner la fille d’Hérodiade, à partir des travaux de Flavius Josèphe, l’historien judéo-romain du Ier siècle. Il soutient que Salomé (parfois appelée Salomé II) est une princesse juive.  

En recoupant les écrits de Flavius Josèphe avec ce que racontent les évangiles, on parvient à distinguer clairement les différents personnages de la scène :

  • Salomé est la fille d'Hérodiade, 
  • Hérodiade est l’épouse de Philippe, le frère d’Hérode Antipas
  • Jean, le personnage principal, est le fils d’Élisabeth, la cousine de Marie (elle-même mère de Jésus). On le connaît surtout sous le nom de Jean-Baptiste, appelé ainsi parce qu’il est celui qui baptise (c’est même lui qui baptise Jésus dans le Jourdain !)

Hérodiade se sépare de Philippe pour épouser son frère Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, c’est-à-dire gouverneur de cette région. Salomé danse donc devant son « beau-père ». On vous l’accorde, la scène est un poil incestueuse !

Peter Paul Rubens (1577-1640), La décapitation de saint Jean-Baptiste (1609, huile sur panneau de bois, 41 x 36 cm) Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Munich (Allemagne). Domaine public.

Un dîner presque parfait

Si on résume, Jean-Baptiste est fait prisonnier par Hérode car il s’oppose à son mariage avec Hérodiade. En effet, Jean-Baptiste reproche à Hérode de prendre la femme de son frère.

Jean-Baptiste est donc toujours en prison le jour de l’anniversaire d’Hérode. Pour l'anecdote, sachez qu'il s'agit du seul anniversaire dont il est question dans toute la Bible ! Le mot n’apparaît que dans deux évangiles (Marc et Matthieu), systématiquement pour évoquer cet épisode.

Par sa danse, Salomé plaît à Hérode et vient provoquer un énorme retournement de situation :

« La fille d’Hérodiade dansa au milieu et plut à Hérode. Aussi, il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » (Mt 14, 10-12) 
Jan Adam Kruseman (1804-1862), Salomé avec la tête de Jean-Baptiste (1861, huile sur toile, 120 x 90 cm), Rijksmuseum Amsterdam (Pays-Bas). Domaine public.

« Pour moi c'est sûr, elle est d'ailleurs » ?

La représentation de cet épisode biblique, notamment en peinture, fait de ce passage une scène emblématique et ambiguë

  • d’une part, l’interprétation médiévale a longtemps fait de Salomé une figure de débauchée et de pécheresse 
  • d’autre part, Salomé incarne l'exaltation du désir, du plaisir et de la séduction. Cette lecture a surtout été répandue au XIXe siècle.

En effet, la figure de Salomé a largement été récupérée par les artistes

De cette scène, beaucoup de peintres retiennent surtout l’hyper-sensualisation du personnage, dans un décor de fête qui avoisine l’orgie. Mais d’où provient cet imaginaire pictural ?

Pierre Bonnaud (1865-1930), Salomé (1890, huile sur toile, 198 x 141 cm) musée d'Orsay Paris (France). Domaine public.

Le mythe de « La danse des sept voiles »

Historiquement, le XIXe siècle fut le temps des grandes conquêtes napoléoniennes en Égypte. Émerveillés, les artistes ont répandu, par leurs peintures ou leurs écrits, les paysages, les mythes et les cultures qu’ils découvraient (et surtout fantasmaient !)

On parle aujourd’hui d’orientalisme pour décrire ces mouvements artistiques. La colonisation du XIXe s. contribue en outre à développer le goût de « l'ailleurs ». 

Dès lors, à la figure biblique de Salomé vient s’ajouter le mythe oriental de « la danse des sept voiles ». 

Melody Moore, Salomé (opéra de Richard Strauss, d’après la pièce d’Oscar Wilde Salomé), Florida Grand opéra, 2017 - La danse des sept voiles - 

La danse des sept quoi ?

Le thème de « la danse des sept voiles » est emprunté à un mythe babylonien, dont l’origine exacte demeure quelque peu incertaine. Il s’agit d’un récit mettant en scène la déesse Ishtar et de son amant le dieu Tammuz. 

En bref : lorsque Tammuz meurt, Ishtar part à sa recherche en enfer, et à chaque porte qu’elle passe, elle doit se dépouiller d’un vêtement jusqu’à finir complètement nue à la septième porte. D’où les sept voiles qui font partie de la danse.

Condamnée et glorifiée par la tradition littéraire et picturale, Salomé s’affiche finalement comme une figure incontournable, à la croisée des récits bibliques et mythologiques. 

Attribué à Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938), Salomé et la danse des sept voiles (vers 1880, huile sur toile, 125 x 225 cm), Galerie Hassan, Paris (France). Domaine public.

Salomé est-elle une « femme fatale » comme on l’entend ?

Comme en témoignent les innombrables tableaux, Salomé devient l’archétype de la femme fatale. On peut d'ailleurs comprendre le mot « fatal » au sens strict de « mortel ». 

« Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » (Mt, 14,8)

Fatalement, Salomé est l'instrument de la haine coupable de sa mère Hérodiade. Incidemment, elle cause la mort de Jean-Baptiste.

Le mot « fatal » prend ainsi un sens tragique. Le fait que Salomé danse si bien est fatal à Jean. Salomé devient donc complice, elle ne peut réchapper à son destin : c’est par elle qu’advient le martyre du cousin de Jésus.

Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (vers 1530, huile sur bois 87 x 58 cm), Museum of Fine Arts, Budapest (Hongrie). Domaine public.

Conclusion : ce qu'il faut retenir

  • Le prénom de Salomé n’est pas cité dans les évangiles, mais le mythe de la danse des sept voiles a établi sa réputation.
     
  • Hérode est le seul qui fête son anniversaire dans toute la Bible.
     
  • C’est Hérodiade qui commande à sa fille Salomé la mort de Jean-Baptiste.
     
  • Salomé est une source d’inspiration majeure pour les artistes, à la croisée des évangiles et des mythes orientaux. Cette rencontre littéraire l’a érigée en femme fatale, irrésistible et meurtrière.
Maurycy Gottlieb (1856-1879), La danse de Salomé (vers 1879, huile sur toile, 38 x 68 cm), National Museum, Kielce (Pologne). Domaine public.

Le mot de la fin

Pour finir en poésie, on vous laisse savourer le poème de Guillaume Apollinaire qui raconte l’histoire de Salomé et de la mort de Jean-Baptiste :

« Salomé

Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste

Sire je danserais mieux que les séraphins

Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste

En robe de comtesse à côté du Dauphin

Mon cœur battait battait très fort à sa parole

Quand je dansais dans le fenouil en écoutant

Et je brodais des lys sur une banderole

Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode

Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain

Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode

L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces

Ne pleure pas ô joli fou du roi

Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse

N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid

Sire marchez devant trabans marchez derrière

Nous creuserons un trou et l’y enterrerons

Nous planterons des fleurs et danserons en rond

Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière

Le roi sa tabatière

L’infante son rosaire

Le curé son bréviaire »

Guillaume Apollinaire (1880-1918), Alcools, Paris, Gallimard NRF, 1913

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