Qu’est-ce qu’une parabole dans les évangiles ? Pourquoi Jésus parle-t-il en paraboles ? Quelle est le sens, la signification et l’étymologie du mot « parabole » ?
En 1967, Jacques Dutronc sort un morceau au nom énigmatique : L'éléphant aveugle. Les paroles de cette chanson semblent évoquer un passage biblique :
« Un éléphant aveugle qui se promène le dimanche / A toujours une trompe blanche
En vérité je vous le bugle / Cette parabole est biblique
L'éléphant était aveugle / L'explorateur paralytique »
Pourtant, l'histoire que reprend Jacques Dutronc pour la mettre en musique n'est pas d'origine biblique. Il s'agit en réalité d'une fable composée par le poète et dramaturge français Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794).
Certes, il y a bien des passages où il est question d'aveugles et de paralytiques dans les évangiles, mais la supposée « parabole de l'aveugle et du paralytique » n'existe pas. Revenons désormais au texte biblique et découvrons justement ce qu'est une parabole !
Au cours de sa vie publique, Jésus enseigne et parle de façon surprenante et imagée. Ce mode d'expression en paraboles est lui-même explicité dans ce passage où le Christ se compare à un semeur.
Et il leur enseignait en paraboles beaucoup de choses et il leur disait dans son enseignement :
— Écoutez ! Voici qu’est sorti le semeur pour semer. Et il arriva pendant qu’il semait qu'il en tomba au bord du chemin et les oiseaux vinrent et la mangèrent. Il en tomba un autre sur un endroit pierreux, où il n’y avait pas beaucoup de terre, et aussitôt il leva parce que la terre n’était pas profonde mais le soleil s’étant levé, il fut brûlé et parce qu’il n’avait pas de racine, il se dessécha. Un autre tomba dans les épines et les épines montèrent et l’étouffèrent et il ne donna pas de fruit. Et il en tomba un autre dans la bonne terre et celui-là porta fruit poussant et croissant et rapportait l’un trente l’autre soixante et l’autre cent.
Et il disait :
— Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !
Ce discours de Jésus adressé aux foules est couramment appelé « parabole du semeur ». Nous nous pencherons en détail sur ce passage la semaine prochaine. Aujourd’hui, nous avons décidé de nous arrêter sur un seul petit mot, afin de mieux comprendre l’ensemble du passage. Jésus parle « en paraboles » :
« Il leur enseignait en paraboles beaucoup de choses. » (Mc 4,2)
Premier élément de réponse grâce à l’étymologie :
Par ces deux étymologies, nous voilà un peu plus avancés pour comprendre le sens du terme « parabole ». Une parabole est un court discours symbolique et imagé, qui prend la forme d’un récit énigmatique.
Dans les Écritures, les écrivains bibliques ont recours à toutes sortes de genres et de procédés symboliques pour transmettre la parole transcendante (c'est-à-dire une parole qui se situe au-delà de la parole humaine).
Les paraboles font partie de ces procédés, et servent à exprimer des réalités qui dépassent les catégories de la sensibilité ou de l’intelligence humaine.
La parabole est un art de raconter des histoires en faisant appel à l’intelligence et à l’imagination des auditeurs à qui le récit s’adresse. Notons à ce titre que les paraboles sont des paroles rapportées. Autrement dit, dans les paraboles, ce ne sont pas les évangélistes mais Jésus lui-même qui parle à la foule qui l’écoute.
Le plus souvent, il s'agit d'histoires poétiques et pédagogiques, empreintes d’éléments concrets de la vie quotidienne de ses interlocuteurs (ici, le référentiel agricole du travail de la terre et de la moisson).
Dans les évangiles synoptiques (les évangiles de Matthieu, Marc et Luc), les discours en paraboles constituent une bonne part de l’activité d’enseignement de Jésus (les biblistes diffèrent sur la comptabilisation exacte, mais on en relève plus d’une trentaine).
Les paraboles du Christ se distinguent d'ailleurs par leur conclusion ouverte. En effet, elles sont adressées et soumises à l'intelligence, à l'interprétation et même à la liberté de l’auditeur, comme en atteste la formule de Jésus dans ce passage, qui résonne comme un appel à rechercher le sens de cette parole :
« Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » (Mc 4,9)
Encore un exemple : il est remarquable que le texte latin ne dit pas ce qui tombe ! Le semeur sème... mais que sème-t-il ? On ne le sait pas, le texte ne le dit pas : une semence ? une graine ? la parole ? C'est cette ouverture qui est énigmatique et géniale.
Le double destinataire de la parabole (la foule qui écoute Jésus à l’époque et nous lecteurs de la Bible aujourd’hui) est ainsi comme obligé d'écrire la fin de l’histoire lui-même.
À ce sujet, nous avions justement parlé l’an dernier de l’ironie de Jésus, pour montrer en quoi sa façon de répondre et de questionner ses interlocuteurs était un moyen pédagogique pour les amener à rechercher la vérité par eux-mêmes.
Selon les évangélistes, l’usage des paraboles est donc lié à une intention de révélation et d’obscurcissement, qui se rapporte aux mystères du Royaume, c'est-à-dire aux mystères des réalités divines.
Mais alors, Jésus est-il en train d'éclairer ou de fourvoyer ses auditeurs ? Pourquoi, Jésus pédagogue parle-t-il d'une manière obscure ? Voici une proposition de réponse : la Parole de Jésus n'est pas autonome de sa personne. Autrement dit : dans ce contexte précis, elle n'est compréhensible qu'avec Lui, par Lui, au travers de Lui. Jésus est lui-même l'interprète de sa parole !
Destiné à exprimer les réalités accessibles aux sens, le langage ordinaire ne saurait suffire à l’expression des mystères. Les paraboles sont ainsi un moyen d’expression singulier : elles permettent de suggérer des significations nouvelles.
Les paraboles du Christ sont des moyens d'expression privilégiés pour évoquer le Royaume de Dieu. Elles suggèrent plus qu'elles ne démontrent, le sens profond déborde les mots qui y sont utilisés. Nous laissons à ce sujet le dernier mot à Alain Marchadour, grand traducteur et exégète français contemporain :
« Dans les évangiles, les paraboles forment le cœur de l'enseignement de Jésus. Quand ce qu'il veut dire est inaudible parce que ses auditeurs ont cessé de l'écouter, ou indicible parce qu'il s'agit d'une réalité hors de portée des pauvres mots humains, Jésus emprunte le chemin détourné des paraboles. Apparemment il s'éloigne du réel en se tournant vers la fiction ; en vérité il est au centre du mystère du Royaume. »
Alain Marchadour, Que sait-on de Jésus de Nazareth ?, Paris, Bayard, 2001, p. 141