Découvrez le Livre des Juges dans la Bible ! Que raconte-t-il ? En quoi ce livre souligne-t-il l’importance de la mémoire ?
Sorti en 2002, le premier film de la saga Jason Bourne a largement participé à lancer la carrière de l’immense acteur Matt Damon — homonyme de Gérard Darmon à une lettre près.
Dans sa version originale anglophone, le titre du film est The Bourne Identity. Mais c’est pour le titre français qu’on convoque ici ce bon vieux thriller à l’américaine. Dans l’ensemble des pays francophones, le film s’intitule La mémoire dans la peau. Ce titre annonce d'emblée le lien très fort qui unit la notion de mémoire à la notion d'identité.
« La mémoire dans la peau »… tout le contraire du peuple d’Israël au début du Livre des Juges ! Allez on avoue, ce détour par le cinoche n'est pas évident, mais rien ne vaut parfois quelques détours inattendus pour agrémenter le voyage !
Le Livre des Juges fait suite au Livre de Josué. Il raconte l’histoire du peuple d’Israël une fois accomplie l’entrée en Terre Promise.
Le peuple servit YHWH pendant tous les jours de Josué et pendant tous les jours des anciens qui survécurent à Josué et qui avaient vu toute la grande œuvre que YHWH avait accomplie en faveur d’Israël.
Josué, fils de Noun, serviteur de YHWH, mourut âgé de cent dix ans. On l’ensevelit à la frontière du territoire qu’il avait eu en partage, à Timnat-Hérès, dans la montagne d’Éphraïm au nord du mont Gaash.
Toute cette génération fut aussi réunie auprès de ses pères et il s’éleva après elle une autre génération qui ne connaissait pas YHWH ni l’œuvre qu’il avait faite en faveur d’Israël…
Les fils d’Israël firent ce qui est mal aux yeux de YHWH et ils servirent les Baals : ils abandonnèrent YHWH le Dieu de leurs pères qui les avait fait sortir du pays d’Égypte et suivirent d’autres dieux, les dieux mêmes des peuples qui les entouraient. Ils se prosternèrent devant eux et ils irritèrent YHWH.
Aujourd’hui, notre éclairage vise à vous présenter un livre biblique peu connu pour vous en donner une introduction claire et complète. Ce livre, c’est donc le Livre des Juges, dans l’Ancien Testament.
On le répète souvent, la Bible est une bibliothèque. Et comme toute bibliothèque, elle possède une organisation bien définie. Les livres qui la composent ne sont pas disposés au hasard, mais suivent un ordre précis et réfléchi. Cet ordre n'est pas anodin, il revêt une importance capitale pour la compréhension du message biblique dans son intégralité.
Dans le cas du Livre des Juges, qui raconte l’histoire du peuple d'Israël après l’entrée en Terre Promise, le lien avec le livre précédent est explicite. En effet, on peut aisément relever ce que les biblistes appellent une « couture », c’est-à-dire une reprise d’un même passage pour bien faire comprendre la transition.
En l’occurrence, deux versets du Livre des Juges (Jg 2, 8-9) reprennent et répètent très exactement la fin du Livre de Josué (Jos 24, 29-30) :
« Josué, fils de Nûn, serviteur de YHWH, mourut, âgé de cent dix ans. Et on l’ensevelit dans le domaine qu’il avait reçu en héritage, à Timnat-Sèrah, dans la montagne d’Ephraïm, au nord du mont Gaash.
Ainsi, Israël servit YHWH pendant toute la vie de Josué et pendant toute la vie des anciens qui vécurent après Josué et qui connaissaient toutes les œuvres de YHWH qu’il avait faites en Israël. » (Jos 24, 29-31)
« Josué, fils de Nûn, serviteur de YHWH, mourut, âgé de cent dix ans. Et on l’ensevelit dans le domaine qu’il avait reçu en héritage, à Timnat-Hérès, dans la montagne d’Éphraïm, au nord du mont Gaash.
Toute cette génération fut aussi réunie auprès de ses pères et il s’éleva après elle une autre génération qui ne connaissait pas YHWH ni l’œuvre qu’il avait faite en faveur d’Israël… » (Jg 2, 8-10)
Ici, l’enjeu est le suivant : bien indiquer que le Livre des Juges fait suite au Livre de Josué. Avec ce procédé de couture, le lecteur comprend clairement :
Exception faite de la mention de Timnat-Serah devenant Timnat-Hérès, les deux premiers versets sont strictement identiques et racontent la mort et l’ensevelissement de Josué. Mais le plus intéressant est justement dans l’écart — c’est-à-dire dans la phrase qui suit.
La clé de lecture est donc clairement donnée : de l’un à l’autre livre, la mémoire s’en est allée, laissant place à l’oubli.
Si l’histoire part en vrille, tout commence donc par l’oubli — l’oubli de Dieu, l’oubli des bienfaits de Dieu, l’oubli de l’histoire passée, l’oubli des personnages-clés de l’histoire de ce peuple.
Cette manière de faire commencer un livre par l’oubli de ce qui précède n'est pas nouvelle :
Les récits bibliques soulignent donc largement l’importance de la mémoire. Cette importance est même fondamentale. En effet, dans de très nombreux passages bibliques, Dieu se présente en rappelant son action dans l’histoire, à l’image de la première phrase prononcée dans le Décalogue :
« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. » (Ex 20, 2)
Bref, pour connaître Dieu, il s’agit de le reconnaître en se souvenant du passé.
Livre biblique assez méconnu (et jamais lu à la messe le dimanche), le Livre des Juges fait suite au Livre de Josué, lui-même situé après les cinq premiers livres (la Torah).
Contexte : la Terre Promise est (à peu près) conquise. Josué meurt sans laisser de successeur. Ce n’est pas par hasard : symboliquement, une fois le peuple installé en Terre promise, le chef devrait être… Dieu. Ou du moins, cela pourrait être le cas si le peuple d’Israël reconnaissait que son seul Roi est Dieu. Mais ce n’est pas le cas.
Le Livre des Juges retrace ainsi l’histoire du peuple d’Israël, contaminé par le péché — et particulièrement l’oubli de Dieu et l’idolâtrie. S’ensuit une succession d’histoires sanglantes et effroyables.
Dieu envoie alors des Juges, comme une aide ponctuelle et exceptionnelle, pour redresser une situation mal embarquée qui ne cesse de se dégrader et va de mal en pis.
Le problème, c’est que les choses ne rentrent pas dans l’ordre. À peine un juge a-t-il terminé sa mission que le peuple se détourne à nouveau de Dieu. Ce dernier envoie alors un nouveau juge à la rescousse. Et ainsi de suite… On assiste donc à une succession de 12 personnages, qui vont tenter de redresser une situation de plus en plus catastrophique…
Le chiffre de 12 est ici hautement symbolique (on apprendra d’ailleurs dans un autre livre de la Bible qu’il y a eu plus que 12 juges) : l’auteur a choisi quelques histoires significatives, au nombre de 12, pour faire un parallèle avec les 12 tribus d’Israël.
Tout le Livre des Juges est construit selon une structure répétitive — tellement répétitive que ça en devient même écœurant de lourdeur ! En effet, un même schéma se répète :
En l’occurrence, ce schéma se répète presque intégralement pour chacun des 12 Juges qui se succèdent tout au long de ce livre.
Avec des récits de viols, de pillages et de guerres, la corruption grandissante du peuple et même des Juges… Le bilan est plutôt glauque. Lisez par exemple notre article sur « l’horreur dans la Bible ». Il y est question d’une innocente violée, tuée et dépecée (en Jg 19).
Dans le contexte de désastre et de marasme ambiant décrit par le Livre des Juges, Dieu « suscite » alors des « Juges ».
Les trois premiers juges sont :
Et apparaît ensuite le quatrième Juge, ou plutôt « la » quatrième Juge, car c’est une femme : Déborah.
Mais ça, on en parle plus en détail dans cet autre article !
Pour finir, reprenons un court passage écrit par Romain Gary sous le pseudonyme d’Émile Ajar dans La vie devant soi. Il s’agit d’un dialogue entre un adolescent et un vieil homme — et c’est une magnifique façon de conclure notre numéro au sujet de la force de la mémoire :
« [Momo dit] :
— Monsieur Hamil, pourquoi vous avez toujours le sourire ?
— Je remercie ainsi Dieu chaque jour pour ma bonne mémoire, mon petit Momo.
Je m’appelle Mohammed, mais tout le monde m’appelle Momo pour faire plus petit.
— Il y a soixante ans, quand j’étais jeune, j’ai rencontré une jeune femme qui m’a aimé et que j’ai aimée aussi. Ça a duré huit mois, après, elle a changé de maison, et je m’en souviens encore, soixante ans après. Je lui disais : je ne t’oublierai pas. Les années passaient, je ne l’oubliais pas. J’avais parfois peur car j’avais encore beaucoup de vie devant moi et quelle parole pouvais-je donner à moi-même, moi, pauvre homme, alors que c’est Dieu qui tient la gomme à effacer ? Mais maintenant, je suis tranquille. Je ne vais pas oublier Djamila. Il me reste très peu de temps, je vais mourir avant. »
Emile Ajar, La vie devant soi, Paris, Mercure de France, 1975, coll. Folio ; p. 11
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