Découvrez pourquoi Dalila coupe les cheveux de Samson ! La force de Samson provient-elle vraiment de ses cheveux ? Que raconte la Bible ?
Compositeur du XIXe siècle bien connu pour son Carnaval des animaux, Camille Saint-Saëns (1835-1921) a également composé un opéra en 1877 sur deux personnages bibliques iconiques : Samson et Dalila.
L’extrait ci-dessus s’appelle La Bacchanale. Il est ici interprété par Les Anches Hantées, le 21 juin 2021 au Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris, à l'occasion de la fête de la musique.
Aujourd’hui, projecteurs sur ce couple de stars : Samson et Dalila !
Le texte semble long, mais il s'agit vraiment d'un dialogue qui se lit très facilement !
Après avoir tué un lion, réalisé une multitude d’exploits, ridiculisé et vaincu les Philistins à plusieurs reprises, Samson s'éprend d'une femme appelée Dalila. C’est une Philistine, appartenant au peuple ennemi du peuple d’Israël auquel appartient Samson. Ces derniers cherchent par tous les moyens à se venger de lui et à avoir sa peau…
[Samson] aima une femme dans la vallée de Sorec qui s’appelait « Dalila ». Les princes des Philistins montèrent vers elle et lui dirent :
— Flatte-le et vois d’où lui vient sa grande force et comment nous pourrions nous rendre maîtres de lui, afin de le lier et de le dompter ! Si tu fais cela, nous te donnerons chacun onze cents pièces d’argent.
Dalila dit à Samson :
— Dis-moi, je te prie, d’où vient ta si grande force et avec quoi il faudrait te lier pour te dompter ?
Samson lui dit :
— Si l’on me liait avec sept cordes fraîches, qui ne seraient pas encore sèches, je deviendrais faible, je serais comme un autre homme.
Les princes des Philistins apportèrent à Dalila sept cordes fraîches qui n’étaient pas encore sèches et elle le lia avec ces cordes. Et ayant fait cacher dans sa chambre des hommes, elle lui dit :
— Les Philistins sont sur toi, Samson !
Il rompit les cordes, comme se rompt un cordon d’étoupe quand il sent le feu et on ne connut pas le secret de sa force.
Dalila dit à Samson :
— Voici, tu t’es joué de moi et tu m’as dit des mensonges ! Maintenant, je te prie, indique-moi avec quoi il faut te lier !
Il lui dit :
— Si on me liait avec des cordes neuves n’ayant servi à aucun usage, je deviendrais faible et je serais semblable aux autres hommes.
Dalila prit des cordes neuves, avec lesquelles elle le lia. Et elle lui dit :
— Les Philistins sont sur toi, Samson !
Or des gens se tenaient en embuscade dans la chambre. Et il rompit comme un fil les cordes qu’il avait aux bras. Et Dalila dit à Samson :
— Jusqu’ici, tu m’as déçue et tu m’as dit des mensonges ! Indique-moi avec quoi tu pourrais être lié !
Et il lui dit :
— Si tu tisses les sept tresses de ma tête avec un fil de chaîne…
Et elle [les] fixa avec la cheville et elle lui dit :
— Les Philistins sont sur toi Samson !
Et il se réveilla de son sommeil, arracha la cheville de la navette et le fil de chaîne. Elle lui dit :
— Comment peux-tu dire "Je t’aime" puisque ton cœur n’est pas avec moi ? Voilà trois fois que tu t’es joué de moi, et tu ne m’as pas indiqué où gît ta grande force !
Et comme elle l’importunait sans cesse et qu’elle se tint plusieurs jours accrochée à lui, son âme se découragea et elle était lasse jusqu’à en mourir.
Alors, lui découvrant la vérité de la chose, il lui dit :
— Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazaréen de Dieu dès le sein de ma mère ; si j’étais rasé, ma force m'abandonnerait, je deviendrais faible et je serais comme tous les autres hommes.
Dalila voyant qu’il lui avait confessé tout ce qu’il avait dans le cœur, envoya appeler les princes des Philistins et leur fit dire :
— Montez cette fois, car il m’a ouvert tout son cœur.
Et les princes des Philistins montèrent vers elle, apportant l’argent dans leurs mains. Elle l’endormit sur ses genoux et, ayant appelé l'homme, elle fit raser les sept tresses de la tête de Samson, et commença à le dompter car aussitôt sa force se retira de lui. Et elle dit alors :
— Les Philistins sont sur toi, Samson !
Il se réveilla de son sommeil et dit :
— Je me tirerai d'affaires comme j’ai fait auparavant et je me dégagerai.
Car il ne savait pas que YHWH s’était retiré de lui. Les Philistins le saisirent et lui crevèrent aussitôt les yeux.
Aujourd'hui, découvrons en détails le couple iconique formé par Samson et Dalila, dont on connaît apparemment l’amour, mais un peu moins l’histoire !
Si vous avez lu attentivement le texte biblique, vous réalisez que nous sommes en plein cœur d’une situation de couple plutôt… dysfonctionnelle — voire même toxique ! Il est question :
Bref, la romance folle et passionnelle que nous vend Hollywood dans les années 50 semble être une interprétation complètement excessive ! Car le récit biblique met surtout en évidence la manière dont Dalila investit son énergie pour obtenir de l’argent promis par les princes philistins si elle parvient à ruser pour démasquer Samson !
Si Samson s’éprend de Dalila, remarquez que le texte ne dit rien sur les sentiments de Dalila envers Samson. Rien ne dit qu’elle est amoureuse de lui. Bref, l’image du célèbre couple glamour est bien loin de ce que raconte véritablement cette histoire biblique !
L’histoire de Samson et Dalila est donc d’abord l’histoire d’une trahison, bien que Samson ne soit pas aussi naïf qu’il n’y paraît.
Dans le texte du Livre des Juges, le récit de la trahison se déroule en 4 scènes, comme une petite pièce de théâtre. Dalila demande par quatre fois le secret de la force de Samson. Mais il flaire un mauvais coup, se méfie et préfère donc mentir !
En effet, Samson se protège de Dalila en lui rapportant 3 (et même 4) fausses raisons justifiant l’origine de sa force surhumaine. Il affirme perdre sa force :
Chaque mensonge entraîne la venue des Philistins, leur échec, une tentative supplémentaire de Dalila qui harcèle Samson pour savoir son secret, et le retour des Philistins. On peut presque y voir un procédé de comique de répétition !
Mais contrairement à ce que Samson imaginait, l’histoire ne se répète pas à l’infini !
« Samson se réveilla de son sommeil et dit :
— Je me tirerai d'affaires comme j’ai fait auparavant et je me dégagerai.
Car il ne savait pas que YHWH s’était retiré de lui.
Les Philistins le saisirent et lui crevèrent aussitôt les yeux. » (Jg 16, 20-21)
Une question persiste : pourquoi Samson a-t-il révélé le secret de sa force ?
En fait, il ne révèle rien du tout : ses cheveux se sont pas à l’origine de sa force. Mais alors, que s’est-il passé ?
« Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu dès le sein de ma mère ; si j’étais rasé, ma force m'abandonnerait, je deviendrais faible et je serais comme tous les autres hommes. » (Jg 16, 17)
Samson explique à Dalila qu’il est nazir et que le rasoir ne doit pas passer sur sa tête, rappelant ainsi ses vœux et son engagement au service de Dieu. Car Samson est consacré à Dieu depuis sa naissance... et pourtant il déroge sans cesse aux vœux de naziréat auxquels il est soumis !
En effet, un petit détail nous donne une clé pour comprendre à quel point Samson transgresse les interdits. On vous explique…
Samson évoque donc sa consécration à Dieu alors même qu’il est symboliquement en train de transgresser l’un des trois interdits liés à cette même consécration — en étant à Sorec !
Enfin, l’erreur finale qui termine d’achever Samson, c’est de faire croire à Dalila — et peut-être d’abord à lui-même ? — que sa force surhumaine provient de ses cheveux, alors qu’elle provient de l’action de Dieu.
« [Samson] se réveilla de son sommeil et dit :
— Je me tirerai d'affaires comme j’ai fait auparavant et je me dégagerai.
Car il ne savait pas que YHWH s’était retiré de lui. » (Jg 16, 20)
Samson pense s’en tirer sans plus un poil sur le caillou, avec la conviction qu’il est le plus fort malgré tout, oubliant que sa force lui ai donnée par Dieu.
En fait, ce n’est pas tant l’action de se faire raser ses cheveux qui rend Samson vulnérable. C’est plutôt la croyance en sa propre superpuissance, qui finit d’éloigner de lui, pour de bons, les bonnes grâces de Dieu. À ce titre, l'étymologie hébraïque nous donne une piste : Samson est un diminutif qui signifie « petit soleil »... suggérant symboliquement la prétention ou l'orgueil de Samson.
« Les Philistins le saisirent et lui crevèrent aussitôt les yeux » (Jg 16, 21)
Samson devient aveugle, et le mot prend une valeur symbolique. Selon une interprétation spirituelle, il est ainsi devenu aveugle à l’action de Dieu.
En se laissant couper les cheveux, Samson renonce une ultime fois à respecter ses vœux de nazir et son devoir envers Dieu. Il pensait que sa force venait de ses cheveux, oubliant que ses longs cheveux non-coupés n'étaient que le signe de sa consécration à Dieu, et non l'origine de sa force.
Et là, c’est la goutte finale qui fait déborder le vase. Toute sa vie, il n’a tenu aucun compte du respect de ses 3 vœux :
Toutes ces transgressions répétées actent son refus de répondre à l'appel de Dieu. Le texte dit alors que Dieu « se retire » de Samson.
Finalement, que retenir de ce récit ? Beaucoup de choses !
On vous laisse sur les mots du poète romantique Alfred de Vigny qui chante la beauté de Dalila dans cette reprise mythifiée du récit biblique :
« L'une est grande et superbe, et l'autre est à ses pieds :
C'est Dalila, l'esclave, et ses bras sont liés
Aux genoux réunis du maître jeune et grave
Dont la force divine obéit à l'esclave.
Comme un doux léopard elle est souple, et répand
Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant.
Ses grands yeux, entr'ouverts comme s'ouvre l'amande,
Sont brûlants du plaisir que son regard demande,
Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs.
Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs,
Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle,
Ses flancs plus élancés que ceux de la gazelle,
Pressés de bracelets, d'anneaux, de boucles d'or,
Sont bruns ; et, comme il sied aux filles de Hatsor,
Ses deux seins, tout chargés d'amulettes anciennes,
Sont chastement pressés d'étoffes syriennes.
Les genoux de Samson fortement sont unis
Comme les deux genoux du colosse Anubis.
Elle s'endort sans force et riante et bercée
Par la puissante main sous sa tête placée.
Lui, murmure ce chant funèbre et douloureux
Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux.
Elle ne comprend pas la parole étrangère,
Mais le chant verse un somme en sa tête légère. »
Alfred de Vigny (1797-1863), extrait de « La colère de Samson », Les Destinées (1864), Michel Lévy frères, p. 81-91