Plongez dans la peinture Samson et Dalila de Rubens — PRIXM

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Découvrez pourquoi Dalila trahit Samson à travers le tableau de Rubens. Comment Dalila manipule-t-elle Samson pour lui couper les cheveux ?

3 minutes et 21 secondes avec Florence + the Machine, Rubens et Renée Vivien.
Dernière mise à jour -  
18/11/2024

Coiffure à domicile comme Samson et Dalila

En 2015, la chanteuse britannique du groupe Florence + The Machine nous offre une perle de pépite biblique avec son morceau pop-rock intitulé Delilah. On peut y entendre les paroles suivantes :

Now I'm dancing with Delilah and her vision is mine / Took anything to cut you I can find

Maintenant je danse avec Dalila et sa vision est la mienne /J'ai pris tout ce que j'ai pu trouver pour te couper

En bon PRIXM qu'on est, impossible de passer à côté d'une référence pareille ! Le clip lui aussi est truffé de références bibliques, à commencer par la scène de coiffure à domicile où la chanteuse coupe les cheveux de son amant.

Aujourd'hui, projecteurs sur le rasage des cheveux de Samson par Dalila ! Relisons le texte biblique en question puis analysons le magnifique tableau de Rubens inspiré par cet épisode !

Le texte biblique qui raconte la trahison de Dalila

Samson tombe amoureux de Dalila. Le peuple philistin, ennemi de Samson, cherche à le capturer. Il missionne alors Dalila en échange d'une somme d'argent conséquente. Elle doit piéger Samson pour extirper de sa bouche le secret de sa force surhumaine, pour que le peuple philistin puisse facilement l'attraper ! Mais Samson ment à Dalila par trois fois, jusqu'à ce que..

Dalila dit à Samson :
— Comment peux-tu dire "Je t’aime" puisque ton cœur n’est pas avec moi ? Voilà trois fois que tu t’es joué de moi, et tu ne m’as pas indiqué d'où vient ta grande force !

Et comme elle l’importunait sans cesse et qu’elle se tint plusieurs jours accrochée à lui, son âme se découragea et elle était lasse jusqu’à en mourir. Alors, lui découvrant la vérité de la chose, [Samson] lui dit :
— Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazaréen de Dieu dès le sein de ma mère ; si j’étais rasé, ma force m'abandonnerait, je deviendrais faible et je serais comme tous les autres hommes.

Dalila, voyant qu’il lui avait confessé tout ce qu’il avait dans le cœur, envoya appeler les princes des Philistins et leur fit dire :
— Montez cette fois, car il m’a ouvert tout son cœur.

Et les princes des Philistins montèrent vers elle, apportant l’argent dans leurs mains. Elle l’endormit sur ses genoux et, ayant appelé l'homme, elle fit raser les sept tresses de la tête de Samson, et commença à le dompter car aussitôt sa force se retira de lui. Et elle dit alors :
— Les Philistins sont sur toi, Samson !

Il se réveilla de son sommeil et dit :
— Je me tirerai d'affaires comme j’ai fait auparavant et je me dégagerai. 

Car il ne savait pas que YHWH s’était retiré de lui. Les Philistins le saisirent et lui crevèrent aussitôt les yeux.

Livre des Juges, chapitre 16, versets 15 à 21. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses traditions.

Bible et peinture : Samson et Dalila sous le pinceau de Rubens

Pierre Paul Rubens (1577-1640), Autoportrait (1623, huile sur toile, 85 x 62 cm), Royal Collection (Royaume-Uni). Domaine public.On en profite pour saluer le travail de la moustache bien peignée, c'est sublime... 

Samson et Dalila : idylle ou cauchemar ?

Dans notre précédent épisode sur Samson et Dalila, on vous décortique la relation que vivent nos deux protagonistes. Car contrairement aux idées un peu rapides, Samson et Dalila, c'est tout sauf une love-story

Dalila est déterminée à percer le mystère de la force extraordinaire de Samson. Elle use de tous les stratagèmes pour lui soutirer son secret : harcèlement, chantage, manipulation affective... Mais Samson reste inflexible. Il refuse obstinément de lui révéler la source de sa puissance herculéenne, repoussant toutes ses attaques.  

Du moins, il résiste... jusqu'à ce que Dalila lui rase les cheveux. Et les peintres ne se sont pas privés d'exploiter ce sujet ! Dans notre éclairage aujourd’hui, découvrons la réception de cet épisode biblique dans l'histoire de l'art, à l’aune d’une petite analyse de tableau pas piquée des hannetons.

Parmi les innombrables peintures représentant cette scène, nous avons tranché pour l’interprétation du peintre flamand Rubens et son tableau Samson et Dalila de 1610.

Pierre Paul Rubens (1577-1640), Samson et Dalila (1610, huile sur toile, 185 x 205 cm), National Gallery, Londres (Royaume-Uni). Domaine public.

Samson et Dalila sous le pinceau de Rubens

Sur le tableau, on peut distinguer les différents personnages : 

  • 1) Dalila est avachie au premier plan : sa peu claire et rosée contraste nettement avec l'ensemble de la composition et des autres personnages.
     
  • 2) Samson dort profondément, abandonné sur les genoux de Dalila : « Elle l’endormit sur ses genoux » (Jg 16, 19).
     
  • 3) Au second plan, un homme au regard concentré est venu couper les cheveux de Samson. Il est d’ailleurs en pleine action : « et, ayant appelé l’homme, [Dalila] fit raser les sept tresses de la tête de Samson » (Jg 16, 19).
     
  • 4) À gauche, on distingue une vieille femme, penchée au-dessus de Dalila, absente du récit biblique. Elle tient une bougie qui éclaire la scène, juste à côté des trois visages (Dalila à gauche, le coiffeur à droite et Samson en-dessous).
     
  • 5) Enfin, au dernier plan, l’armée philistine se tient à la porte, prête à bondir sur Samson : « [Dalila] avait fait cacher dans sa chambre des hommes » (Jg 16, 9).

Le tableau est donc fidèle au texte : on retrouve les différents protagonistes, à l’exception de la vielle femme (on en reparlera plus loin).

Un beau tableau, c'est quand même vachement mieux quand on comprend ce qu'il raconte et quand on reconnaît les personnages. 

Une tension dramatique à l’œuvre 

Dans le tableau, la scène se passe la nuit, tout comme dans le texte biblique. La tension dramatique est palpable. Par quoi est-elle provoquée sur la toile ?

  • D'abord, les couleurs chaudes de la palette du peintre inscrivent le tableau dans un style baroque. Elles insistent sur l'intensité dramatique à l’œuvre, propre à ce mouvement esthétique. Toutefois, les membres corporels immenses des personnages évoquent le mouvement du maniérisme. 
     
  • Ensuite, les lignes de forces dans la toile tracent un triangle dont l’extrémité se trouve sur la tête de Samson. Les regards des personnages sont placés sur ces lignes, à l'exception de celui de Samson. Les lignes servent à soutenir l’intensité de l’action en faisant converger le regard du spectateur sur l’instant décisif: le rasage des cheveux de Samson, au même titre que le regard des autres personnages.
Les lignes de force dynamiques forment un triangle qui indique le moment décisif et souligne la tension de la scène.

Quand Dalila prend les choses en mains

Les deux personnages principaux reçoivent toute la lumière dans la toile, contrairement aux Philistins qui sont encore dans l’ombre et n’interviennent que dans un second temps. 

  • La masse musculaire du dos de Samson — symbole de sa force surpuissante — occupe le centre et la majorité de l’espace de la toile. 
  • Il contraste nettement avec le sein laiteux et sensuel de Dalila. On peut d’ailleurs remarquer l'érotisation et la sur-sexualisation de Dalila par le peintre (et dans l’histoire de l’art en général). Pourtant, le texte biblique est relativement silencieux à ce sujet.

Ainsi, dans cet extrait biblique comme dans ce tableau, il est clairement question d’un rapport de force entre les deux personnages

  • D’un côté, la force de Samson. On se souvient des différents exploits qu’il accomplit. Si vous avez besoin d’un récap, allez relire notre article sur un combat contre un lion !
  • Et de l’autre, l’insistance et la manipulation de Dalila qui cherche à parvenir à ses fins. Elle piège Samson au moyen d’un dispositif particulièrement pervers : symboliquement, elle endort la confiance de Samson par une attitude toute maternelle. Rubens présente Dalila presque comme une mère qui donne le sein à son enfant endormi la tête sur ses genoux.

Le peintre Rubens semble souligner que l’obstination de Dalila a eu raison de la force surhumaine de Samson. Samson a beau exhiber son dos musclé, coup de théâtre ! il dort et se fait avoir. Le colosse s’apprête finalement à succomber sous le regard et la rose main de Dalila posée sur son dos.

On distingue la main blanche de Dalila. Mais attention... cette douce main blanche n’est pas si blanche et innocente que ça, étant donné l’énorme paquet d’argent qu’elle espère recevoir !

Un tableau composé à la façon d’une scène de théâtre grecque

L’imaginaire théâtral en général, plus particulièrement de l’Antiquité grecque, est utilisé par le peintre pour mettre en relief cette scène tragique. 

  • 1) Les grands rideaux rouges suspendus au mur évoquent les rideaux des salles de théâtres. Dalila elle-même se trouve drapée d’une grande robe rouge de la même couleur. Est-ce une façon de faire d’elle un personnage de théâtre ou de souligner ses appas charnels ?
     
  • 2) La porte à l'arrière-plan permet aux spectateurs d'entrevoir les Philistins qui entrent. Ils annoncent le destin tragique de Samson, destin que Samson ignore encore, puisqu'il dort — contrairement aux spectateurs du tableau qui anticipent ce qu'il va se passer en voyant les Philistins à l'arrière plan. Pour info, c’est le propre de ce qu’on appelle « l’ironie tragique » au théâtre. Samson se retrouve donc pris au piège.
     
  • 3) Dans une petite niche située au-dessus de la tête des trois complices, on peut apercevoir une statue de Cupidon et de sa mère Aphrodite, la déesse de l’amour. Ces statues font référence au thème de l’amour qui entoure Samson et Dalila — alors que ce n’est pas du tout l’enjeu du texte biblique. C'est là encore un ajout interprétatif de la part du peintre, et cet ajout évoque l'imaginaire théâtral grec.
« Fais dodo Samson mon ptit juge »

Dalila femme fatale ! Le p'tit plus d'histoire de l'art

Dans le tableau comme dans le texte biblique, Dalila apparait comme plus forte que Samson. Elle lui est même fatale, puisque grâce à elle, les Philistins parviennent à le capturer. 

Dalila s'inscrit ainsi dans ce type de personnage appelé « femmes fatales ». La Bible présente deux autres figures féminines qui, à l'instar de Dalila, usent de leurs charmes pour manipuler des hommes puissants et obtenir d'eux ce qu'elles désirent:

Or, qui retrouve-t-on à côté de Dalila sur le tableau de Rubens ? Une vielle femme ! Cette même vieille femme que l'on voit souvent aux côtés du personnage de Judith en peinture. Rubens, dans l'interprétation et la représentation qu'il donne de l'épisode de Samson et Dalila, place cette vieille femme comme une citation de l'épisode de Judith et de sa représentation en peinture.

MAIS Dalila apparaît comme un « anti-type » du personnage de Judith :

  • Car Judith sauve son peuple par son courage et sa détermination (un peu comme Déborah finalement), 
  • Tandis que Dalila, elle, agit par vénalité — car elle se fait payer pour manipuler et livrer Samson aux Philistins (Jg 16, 5).
Le Caravage (1571-1610), Judith décapitant Holopherne (1599-1602, huile sur toile), Galerie nationale d'art ancien, Rome (Italie). Domaine public.

Le mot de la fin

On vous laisse sur les mots de la poétesse Renée Vivien, qui chante « l'éternelle vengeance » de Samson et Dalila dans ce poème :

Dalila, courtisane au front mystérieux,
Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux
Où luttaient le soleil, l’orage et la nuée,
Rêvait : (...)

C’est toi le plus haï, Samson, fils d’Israël !
Mon sourire passif répond à ton appel,
Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,
A rempli de parfums ta détestable étreinte :

Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,
Ne crois pas que ma haine ait moins d’âpres mépris,
Car, dans le lit léger des feintes allégresses,
Dans l’amère moiteur des cruelles caresses,

J’ai préparé le piège où tu succomberas,
Moi, le contentement bestial de tes bras ! »
Elle le supplia sur la couche d’ivoire
« Astre sanglant, dis-moi le secret de ta gloire.

Mais l’amant de ses nuits sans amour lui mentit.
Et la soif des vaincus la brûla sans répit.
Elle fut le regard et l’ouïe et l’attente,
La chaude obsession qui ravit et tourmente,

Et, patient péril aux froids destins pareil,
Sa vengeance épia le souffle du sommeil.
Un soir que la Beauté brillait plus claire en elle,
Par l’enveloppement de l’humide prunelle,

Par le geste des bras défaillant et livré
Torturé tendrement, — savamment enivré
De souples seins, de flancs fiévreux, de lèvres lasses,
De murmures mourants et de musiques basses,

Sous les yeux de la femme, implacablement doux,
Dans l’ombre et dans l’odeur de ses ardents genoux,
Sans souvenir, cédant à l’éternelle amorce,
L’homme lui soupira le secret de sa force.

Renée Vivien (1877-1909), « L'éternelle vengeance », Études et Préludes (1901)

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