Découvrez qui a écrit la Torah d’après la tradition juive. Est-ce Moïse ? Que peut-on en dire à partir des recherches historiques ?
En novembre 2020, événement médiatique planétaire : Barack Obama publie le premier tome de ses mémoires. Le titre de ce livre est éminemment biblique : A Promised Land, littéralement Une Terre Promise. La référence à Moïse et à l’histoire du peuple hébreu est gigantesque et assumée : Obama s’inspire des récits bibliques pour évoquer sa propre histoire.
Justement, revenons aujourd’hui sur ce passage et sur la mort de Moïse, qui précisément n’entre pas en Terre Promise mais s’arrête pile en face.
Moïse conduit les Hébreux jusqu'en Terre Promise. Pourtant, il meurt avant d'en fouler la terre de ses propres pieds.
Moïse monta des plaines de Moab sur le mont Nébo au sommet du Phasga en face de Jéricho et YHWH lui montra tout le pays, Galaad jusqu’à Dan, tout Nephthali et le pays d’Éphraïm et de Manassé, et tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale, et le Négeb, et le district de la vallée de Jéricho qui est la ville des palmiers jusqu’à Ségor ; puis YHWH lui dit :
— C’est là le pays pour lequel j’ai juré à Abraham, Isaac et Jacob en disant : « C’est à ta postérité que je le donnerai ! » Je te l’ai fait voir de tes yeux mais tu n’y entreras pas.
Et là mourut Moïse, l’esclave de YHWH, au pays de Moab, selon la parole de YHWH. Et il l’enterra dans la vallée dans le pays de Moab, vis-à-vis de Bet-Péor et personne n’a connu son tombeau jusqu’à ce jour. Moïse était âgé de cent vingt ans quand il mourut, sa vue n’était pas affaiblie ni sa vigueur épuisée.
Longtemps, la plupart des Juifs et des Chrétiens ont considéré que les 5 livres de la Torah avaient été écrits seulement par Moïse. Or ce passage… nous raconte justement la mort de Moïse. Comment un auteur peut-il raconter sa propre mort ?
En effet, il y a de quoi s’étonner. De quelle manière alors Moïse pouvait-il être l'auteur de toute la Torah ? Déjà les Sages juifs du troisième siècle disaient que ce passage avait été écrit par Josué. Ensuite, au Moyen-Âge, Abraham Ibn Ezra (1092-1167) et les autres grands commentateurs (dont Rachi) reprennent cette explication. La Torah aurait donc plusieurs auteurs.
Moïse est précisément « l'auteur » en ce sens que la Torah est tout de même placée sous l'autorité de Moïse et qu'il est le médiateur entre Dieu et le peuple d’Israël. Car l'auteur au sens biblique n'est pas le scribe, et pas nécessairement un écrivain.
L'auteur est donc d'abord celui qui assume l'autorité du texte. Et de ce point de vue-là, Moïse est par excellence l'auteur de la Torah :
En fait, le souci de toujours préciser le nom de l'écrivain d'un texte est apparu plus tard, à la période grecque (allant du IIIe siècle avant Jésus au IIIe siècle après Jésus-Christ).
Dans le cas de la Torah, il s’agit bien souvent d’une communauté d'écrivains et d'éditeurs plutôt que d’une seule personne. Autrement dit : il y a une multitude d’artisans et la composition de ce texte est une œuvre collective issue de l’inspiration d’une foule d’auteurs anonymes dont l’histoire n’a pas retenu le nom, composé entre le VIIIe et le IIIe siècles avant Jésus-Christ.
Ce constat d'une communauté d'écrivains s’appuie sur des indices de contradictions internes au sein du texte biblique lui-même. On relève notamment des incohérences chronologiques mais aussi, à de nombreuses reprises, un phénomène de doublet où le même épisode est raconté deux fois :
Arrêtons-nous un instant. Pourquoi donc un même épisode est-il raconté plusieurs fois ? Quel est le sens de ce doublon ? Pourquoi n’a-t-on pas retenu une seule des deux versions racontant un même passage ? Que des bonnes questions…
En fait, pour répondre à ces questions, il faut faire un peu d’historico-critique, c’est-à-dire étudier l'histoire, les étapes ou encore les modalités de rédaction du texte biblique.
Il faut bien comprendre que les Écritures sont le fruit de l’histoire d’un peuple avec qui Dieu a fait alliance. Or, au sein de ce peuple, différents courants cohabitent. Ceci nous amène à reconnaître que le texte biblique n’a pas été composé d’un seul jet en un seul document. Il y a différentes strates ou couches d'écriture qui composent le texte biblique final.
La rédaction de la Bible est le fruit d’un processus continu d’écriture et de réécriture. Pour autant, la diversité des écrivains anonymes de la Torah ne remet pas en question l'inspiration surnaturelle, qui est une affaire de croyance. En effet, les travaux historico-critiques ne se prononcent pas sur la question de l'inspiration.
Prenons un exemple. Dans la Genèse, pour mieux comprendre l’existence des deux récits de création, il faut avoir en tête que deux traditions cohabitent au sein du même texte, avec pour chaque tradition un style rédactionnel particulier. Il y a :
Finalement, ce qui importe, c’est de reconnaître que la Torah est une polyphonie et que c’est précisément le concours de ces différentes traditions réunies dans le même texte qui en fait la richesse.
Le Talmud correspond à la Torah orale, c'est-à-dire l'ensemble des commentaires et interprétations rabbiniques de la Torah écrite. Le Talmud de Babylone est clos à la fin du 6ème siècle après Jésus-Christ, mais conserve des traditions très anciennes. La baraïta est l'une de ces sources. Ce texte évoque justement la diversité des artisans qui ont composé les textes bibliques :
« La baraïta considère maintenant les auteurs des livres bibliques : qui a écrit les livres de la Bible ? Moïse a écrit son propre livre, c'est-à-dire la Torah, et la partie de Balaam dans la Torah, et le livre de Job. Josué a écrit son propre livre et huit versets dans la Torah, qui décrivent la mort de Moïse. Samuel a écrit son propre livre, le livre des Juges, et le livre de Ruth. David a écrit le livre des Psaumes par l'intermédiaire de dix anciens des générations précédentes, rassemblant une collection qui comprenait des compositions d'autres personnes en plus des siennes. Il a inclus des psaumes écrits par Adam, le premier homme, par Melchizédek, roi de Salem, et par Abraham, et par Moïse, et par Héman, et par Jeduthun, et par Asaph, et par les trois fils de Koré. »
Talmud de Babylone, Baba Batra 14b (la traduction inclut les commentaires du Rabbin Adin Steinsaltz).