Comment est né Jean-Baptiste dans la Bible ? Pourquoi Zacharie et Elisabeth choisissent-ils ce prénom pour leur fils ? Quelle est la différence d'âge entre Jésus et Jean le Baptiste ?
Dans cette improbable vidéo dénichée au fin fond du grenier d’internet, le très jeune Justin Bieber entonne un célèbre chant de Noël :
Santa Claus is coming to town / You better watch out
Le père Noël arrive en ville / Tu ferais mieux de faire attention
Avec Noël et le 25 décembre en ligne de mire, les Chrétiens s’apprêtent à fêter la naissance de Jésus, et ces doux airs et chansonnettes populaires ont le bon goût (sic) de participer à « l’ambiance de Noël » qui nous fait attendre l’événement de la Nativité !
Pourtant, ce n’est pas sur cette naissance que nous nous penchons aujourd’hui mais sur celle de son cousin, son aîné de 6 mois, le fils d’Elisabeth et Zacharie : Jean le Baptiste.
Voici le récit de la naissance et de la circoncision du fils d’Élisabeth et Zacharie, rapporté dans l’évangile de Luc.
Pour Élisabeth fut accompli le temps d’enfanter et elle donna naissance à un fils. Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur magnifiait sa miséricorde à son égard et, avec elle, ils s’en réjouissaient.
Et ce fut le huitième jour qu’ils vinrent pour circoncire l’enfant et ils voulaient l’appeler du nom de son père, « Zacharie ».
Et sa mère répondit en disant :
— Non, mais il sera appelé « Jean ».
Et ils lui dirent :
— Il n’y a personne dans ta parenté qui soit appelé de ce nom.
Et ils demandaient par signes au père comment il voulait qu’on le nommât. Et après avoir demandé une tablette, il écrivit : « Jean est son nom ».
Et tous furent dans l’étonnement. Sa bouche s’ouvrit à l’instant même et sa langue se délia et il parlait, bénissant Dieu.
Et la crainte s’empara de tous leurs voisins et, dans toute la région montagneuse de la Judée, on s’entretenait de toutes ces choses. Et tous ceux qui en entendirent parler les mirent dans leur cœur, en disant :
— Que sera donc cet enfant ?
Et la main du Seigneur était avec lui.
Le numéro de la semaine dernière se penchait sur le récit de l’annonce à Zacharie. Cette semaine, faisons un bond dans le chapitre 1 de l’évangile de Luc pour se concentrer sur la suite : la naissance du fils d’Élisabeth et Zacharie : Jean, alias Jean le Baptiste, le cousin de Jésus.
À vrai dire, comme nous le mettions en évidence la semaine dernière, c’est tout le chapitre 1 et le début du chapitre 2 qui sont construits autour du parallèle entre Jean et Jésus à travers des récits enchâssés. Petit jeu de couleurs dignes des meilleurs sapins de Noël à l'appui, voici les scènes successives telles que Luc les rapporte :
Dans le texte de la semaine dernière, le peuple attend et s’étonne que Zacharie s’attarde dans le sanctuaire. Tout le monde devine qu’il se passe quelque chose, mais l’apparition se fait dans un contexte individuel.
Par son manque de foi au moment de l’annonce, Zacharie est d’ailleurs rendu muet à l’issue de l’apparition de l’ange. Il s’agit d’ailleurs d’une scène rare : en quittant le sanctuaire, Zacharie communique… en langue des signes !
« L’ange dit [à Zacharie] : “Moi, je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu. J’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. Et voici, tu vas être réduit au silence et tu ne pourras parler jusqu’au jour où ces choses arriveront parce que tu n’as pas cru à mes paroles, lesquelles s’accompliront en leur temps."
Et le peuple était dans l’attente de Zacharie, et l'on s’étonnait qu’il s’attardât dans le sanctuaire. Quand il sortit, il ne pouvait leur parler et ils comprirent qu’il avait eu une vision dans le sanctuaire. Et lui leur faisait des signes, et il demeurait muet. » (Lc 1, 19-22)
En fait, le mutisme de Zacharie est causé par Dieu, comme un signe en réponse à son manque de foi. Il s’agit d’ailleurs d’un procédé déjà utilisé par Dieu à l’encontre de certains prophètes dans l’Ancien Testament, notamment Ézéchiel :
« [Dieu dit] : Je ferai coller ta langue à ton palais, tu seras muet, et tu ne seras plus pour eux celui qui réprimande, car c'est une engeance de rebelles. » (Ez 3,26)
De même, un peu plus tôt dans l’histoire biblique, Dieu s’adresse à Moïse en ces termes :
« Qui a doté l'homme d'une bouche ? Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle ? N'est-ce pas moi, YHWH ? » (Ex 4,11)
Dieu rend donc Zacharie muet. Élisabeth est enceinte, puis sa cousine Marie également, puis les deux femmes se rencontrent, puis vient l’accouchement d’Élisabeth. Et pendant tout ce temps, au moins neuf mois, Zacharie ne peut pas parler. Puis vient le rituel de la circoncision huit jours plus tard…
Traditionnellement, à l’époque antique, au Proche-Orient, c’était le père qui donnait son nom à l’enfant nouveau-né. Dans la culture juive, le nom est d’ailleurs attribué au moment de la circoncision (comme c’est le cas ici). Mais, dans la scène racontée par l’évangile de Luc…
« Et ce fut le huitième jour qu’ils vinrent pour circoncire l’enfant. Et on [voulait] l'appeler Zacharie, du nom de son père. Et sa mère répondit en disant :
— Non, mais il sera appelé “Jean”.
Et ils lui dirent :
— Il n’y a personne dans ta parenté qui soit appelé de ce nom. » (Lc 1, 59-61)
En prenant ainsi la parole avec autorité, Élisabeth fait bien plus qu’un simple « acte féministe » de type empowerment. En fait, par ce choix résolu, Élisabeth obéit à la demande de l’ange (demande formulée à son mari Zacharie) :
« Mais l'ange lui dit : “Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée ; ta femme Élisabeth t'enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de “Jean”. » (Lc 1, 13)
Symboliquement, ce récit de l’évangile de Luc nous présente ainsi un magnifique modèle de complicité à travers le couple Élisabeth-Zacharie. Le texte ne le raconte pas, mais on peut faire l’hypothèse que Zacharie met au courant sa femme (par langage des signes ou par l’écriture) à propos de ce que l’ange lui a dit.
Or celle-ci assume ses responsabilités lorsqu’il s’agit de renvoyer chez eux les proches et les voisins. Ainsi, les récits bibliques mettent en lumière non pas l’un ou l’autre personnage, mais le couple.
Les proches et les voisines s’étonnent de la réponse d’Élisabeth et de ce prénom inattendu. Se faisant lourdement insistants, ils se tournent alors vers Zacharie — qui, comme le veut la tradition, est chargé de choisir le nom. Or Zacharie ne fait que confirmer les dires de l’ange et d’Élisabeth… mais à l’écrit !
« Et ils demandaient par signes au père comment il voulait qu’on le nommât. Et après avoir demandé une tablette, il écrivit :
— Jean est son nom.
Et tous furent dans l’étonnement.
Sa bouche s’ouvrit à l’instant même et sa langue se délia et il parlait, bénissant Dieu. » (Lc 1, 62-64)
C’est pour cela que les tableaux de Filippo Lippi ci-dessus et d’Artemisia Gentileschi ci-dessous dépeignent un personnage le stylo à la main : c’est Zacharie… Encore une fois, les artistes se montrent fins lecteurs des textes bibliques !
Dernier détail : la langue de Zacharie se délie au moment précis où il confirme les dires de l’ange et de sa femme pour choisir le prénom de son fils, et ses premières paroles sont des louanges et des bénédictions adressées à Dieu.
Vous le savez et nous aimons à le répéter : dans la Bible, les noms ont une signification. En l’occurrence, Jean est l'adaptation française du nom hébreu Yohanan, contraction de Yehohanan qui signifie « le Seigneur fait grâce ». Le nom Yehohanan est en fait une phrase :
Le nom Yo-hanan signifie donc « YHWH a fait grâce ». En l’occurrence, cela évoque le miracle de la naissance de Jean-Baptiste : Dieu fait grâce au couple Élisabeth-Zacharie — par-delà la vieillesse et la stérilité, la grâce de Dieu donne naissance à Jean (grâce-de-Dieu).
Il est d’ailleurs le cousin de Jésus, comme l’indique l’évangile de Luc en précisant que leurs mères ont un lien de parenté (Lc 1,36).
La racine hébraïque H.N.N. donna donc le prénom Jean en français. Pour l’anecdote, « Jean » a longtemps été le prénom masculin le plus donné en France (statistiques INSEE à l’appui).
Mais sa postérité s’étend à travers le monde. Pour le plaisir, voici un rapide panorama de la réception du prénom Jean à travers les pays et les langues :
Pour conclure en beauté sur le thème de la parole qui se délie pour ouvrir à la louange (tel Zacharie), reprenons quelques vers issus du célèbre poème « La Vierge à Midi » de Paul Claudel :
« Midi !
Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
Ne rien dire, regarder votre visage,
Laisser le cœur chanter dans son propre langage,
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein,
Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains. »
Paul Claudel (1868-1955), poème « La Vierge à Midi », Œuvre poétique, Poèmes de guerre, Paris, Gallimard, éd. La Pléiade, 1957, p. 531