En quoi la Visitation est-elle une double rencontre entre deux enfants et deux femmes enceintes ? Comment Elisabeth réagit-elle à l'annonce de Marie ?
D’habitude, on commence en musique avec un titre pour nous élancer. Mais aujourd'hui on déroge à l’habitude, et c’est non pas un mais trois titres que l’on vous propose ! Bref, un bouquet musical pour ouvrir le bal et parler de la Visitation !
Le Magnificat en ré majeur de Jean-Sébastien Bach composé en 1723 reprend les paroles de la Vierge Marie et son « Magnificat ». Nécessitant un chœur à 5 voix, 5 solistes vocaux et 1 orchestre, c’est tout bonnement un chef-d’œuvre.
Violoniste de génie et compositeur baroque incontesté, Antonio Vivaldi a eu une influence telle que, pour l’anecdote, Bach a adapté et transcrit plus d’œuvres de Vivaldi que de n'importe quel autre musicien ! Auteur des célèbres « Quatre Saisons », Vivaldi a composé un Magnificat en G mineur en 1718.
Enfin, dans cette reprise plus contemporaine, les brillants interprètes du groupe italien Oblivion reprennent des classiques des années disco, substituant à leurs paroles celles de l’Ave Maria, avec quelques mots en latin. Shot d’énergie garanti !
Le 25 mars, c’est la fête de l’Annonciation (on en a parlé ici avec Le Seigneur des Anneaux), lorsque l’ange Gabriel vient rencontrer Marie. Et aujourd'hui, on se penche sur l’épisode qui suit immédiatement l’Annonciation : la Visitation.
Et c'est en ces jours-là que Marie partit pour prendre en hâte la route des montagnes, en une ville de Juda. Et elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Et il advint, lorsqu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie de l'Esprit Saint.
Puis elle poussa un grand cri, et dit à Marie :
— Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton ventre. Et d’où cela m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car, vois-tu, dès que la voix de ta salutation est arrivée à mes oreilles, l’enfant a tressailli d'allégresse en mon sein. Et bienheureuse, celle qui a cru parce que s'accomplira ce qui lui a été dit de la part du Seigneur.
Et Marie dit :
— Mon âme magnifie le Seigneur,
et mon esprit exulte en Dieu, mon Sauveur
parce qu’il a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante.
Voici, en effet, désormais toutes les générations me diront bienheureuse
parce que le Puissant fit pour moi de grandes choses
et saint est son nom
et sa miséricorde [s'étend] de génération en génération sur ceux qui le craignent.
Il a déployé la force par son bras,
il a dispersé les orgueilleux dans la pensée de leur cœur.
Il a renversé les puissants de leur trône et élevé les humbles.
Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les [mains] vides.
Il a secouru Israël, son serviteur se souvenant de sa miséricorde,
— comme il l'avait dit à nos pères —
en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais.
Marie demeura auprès d’Elisabeth environ trois mois puis elle s'en retourna dans sa maison.
Cette visite que Marie rend à sa cousine Elisabeth intervient juste après l’Annonciation, où l’ange Gabriel a révélé à la Vierge qu’elle sera la mère du Sauveur. Elisabeth est donc la première (après Joseph) à découvrir, sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, cette naissance à venir.
Ce sont bien deux femmes enceintes qui se saluent et, dans le même temps, deux enfants cousins qui se reconnaissent.
« [Marie] entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Et il advint, lorsqu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie de l'Esprit Saint. »
Le bondissement de Jean est un geste prophétique – il est celui qui annonce le Christ. Etymologiquement, le terme grec prophêtês signifie : "celui qui parle à la place" ou "celui qui parle avant".
Selon Elisabeth, Jean est en train de saluer et de reconnaître Marie et Jésus.
En effet :
Bref, une rencontre au sommet !
Dans les paroles d'Elisabeth adressées à Marie, on voit la joie d’une rencontre avec le Messie attendu par Israël et reconnu par cette première :
« Car, vois-tu, dès que la voix de ta salutation est arrivée à mes oreilles, l’enfant a tressailli d'allégresse en mon sein »
En effet, cette "grande joie" apparaît dans deux autres passages qui sont liés à la naissance de Jésus :
Comme, ensuite, les bergers et des mages qui sont les premiers à venir reconnaître le Messie en Jésus-nourrisson, Jean le Baptiste est le premier à réagir, et sa réaction fait bouger le ventre de sa mère !
Luc donne beaucoup d’importance à cette visite entre deux cousines. Elles sont non seulement unies par une forte affection mais elles partagent aussi cette grâce divine d'être miraculeusement enceintes.
Comment dès lors expliquer le mystère de ces deux grossesses strictement inattendues, sinon par la grâce de Dieu donnée à ces deux femmes et aux fils qu'elles portent en leur sein ?
« Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton ventre. Et d’où cela m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? »
Ces paroles d'Élisabeth (Lc 1, 43) ne sont pas signe d'ignorance, bien au contraire. Il y a là un vrai signe d’humilité face à l’honneur d’une telle visite.
Pour souligner ce point, on s’est dit que faire appel à un théologien et exégète du 3e siècle était bienvenu. Voici donc comment Origène* (185-253) revient sur ce verset pour faire résonner le questionnement intérieur d’Elisabeth :
« Ces mots : 'd'où cela m'est-il donné ?' ne sont pas signe d'ignorance, comme si Élisabeth toute remplie du Saint-Esprit ne savait pas que la Mère du Seigneur était venue à elle selon la volonté de Dieu. Mais voici le sens de ses paroles : Qu'ai-je fait de bien ? En quoi mes œuvres sont-elles assez importantes pour que la Mère du Seigneur vienne me voir ? Quelle perfection, quelle fidélité intérieure m'ont mérité cette faveur ? Élisabeth s'adresse à la Vierge à peu près en ces termes : Pourquoi viens-tu me saluer la première ? C'est moi qui aurais dû aller te trouver. Aucune femme en effet n'a jamais eu part ni ne peut avoir part à une si grande grâce. »
A l’étonnement d’Elisabeth honorée par la venue de Marie répond la délicatesse de la Marie envers Élisabeth, délicatesse mise en avant par Origène soulignant que c'est bien Marie qui "prit les devants pour saluer sa cousine, lui accordant le respect dû à son âge plus avancé et à sa dignité de mère."
*Origène, Homélies sur Saint Luc (SC 87), (éd. et trad. : Henri Crouzel, François Fournier et Pierre Périchon), Paris : Cerf, 1962.
Cette magnifique rencontre entre Marie et Elisabeth toutes deux enceintes a inspiré un poème entier à Marie Noël (1883-1967), immense poète et mystique française. Elle esquisse et réécrit en musique cette rencontre, où les mots manquent tant la joie des deux femmes les surprend, et où Jésus et Jean-Baptiste sont déjà présents :
La vieille Elisabeth sur sa porte fleurie
File, écoutant des yeux les pas lointains du soir…
Voici par le sentier sa cousine Marie,
Celle de Nazareth, qui monte pour la voir.
Voici venir Marie avec sa grand-nouvelle :
Ce qui l’autre semaine est en elle arrivé…
Elisabeth la voit et court au-devant d’elle
Laissant rouler au vent son fil inachevé.
Dieu sait ce qu’elles ont toutes les deux ensemble
De pressant à se dire ! Et pourtant l’entretien
Leur manque tout à coup, la joie en elles tremble,
Leurs mots se sont perdus, elle ne disent rien.
Chacune va cherchant en elle une assurance
Avant de confier à l’autre sans délai,
Tout haut, cette espérance au-dessus d’espérance.
Est-ce bien vrai ?... mon Dieu ! si ce n’était pas vrai !
Mais soudain le miracle a bougé dans leur âme,
Dans leurs corps ! Le silence autour a chancelé.
Elle, la jeune fille, elle, la vieille femme,
Tressaillent : leurs petits en eux se sont parlé.
C’est impossible, ô Dieu ! C’est une rêverie…
Impossible ! Et pourtant plus vrai que tout, plus vrai
Que le soleil qu’on voit. Et le cœur de Marie
En a chanté comme un buisson au mois de mai.
Et ne sachant plus rien, réalité, chimère,
Mensonge, vérité, raison ou déraison,
Sauf que son Dieu peut tout et qu’elle sera mère.
Marie Noël, poème « Visitation, Magnificat » in Le Rosaire des joies, Paris, éditions Gallimard, NRF Poésie, 1983.