« Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Quel est le sens de la nouvelle traduction du Notre Père ? Dieu nous soumet-il au mal ?
Quand Erwan McGregor ne joue pas Obi-Wan Kenobi — le fameux maître Jedi de Star Wars pour les incultes — il incarne Jésus dans Last Days in the Desert. Ce film de 2015 sur les tentations du Christ est signé Rodrigo Garcia.
Découvrez la bande-annonce originale de ce long-métrage surprenant qui n'a malheureusement pas été présenté au box office français !
Pour relire et mieux comprendre la tentation du Christ, voici cet autre article.
Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour être tenté par le diable.
Ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Jésus parle à ses disciples dans ce qu’on appelle « le sermon sur la montagne ». Et voilà qu’il leur enseigne une prière devenue la prière chrétienne de base : le Notre Père.
C'est donc ainsi que vous prierez : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du Mal.
En décembre 2017, l’Église catholique modifiait la traduction liturgique du Notre-Père en français. L'ancienne formule « Ne nous soumets pas à la tentation » a été remplacée par : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Dans un autre article, nous relisions le récit des tentations de Jésus au désert. Certains parmi vous ont été surpris de lire que c’était l’Esprit qui conduisait Jésus vers le lieu des tentations. Et, de fait, cela pose une question redoutable : Dieu nous soumet-il à la tentation ou non ?
Dès l’entrée en vigueur de l’ancienne formule (« Ne nous soumets pas à la tentation »), une solide objection s’était élevée : elle contredisait littéralement un enseignement de l’Écriture très clair (en Jacques 1, 13) :
« Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘Ma tentation vient de Dieu.’ Dieu en effet ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne »
De fait, « soumettre quelqu’un à quelque chose », en français courant, c’est lui faire endurer volontairement tel ou tel traitement. Une telle demande risquait de colporter des images de Dieu bizarres dans l’esprit des fidèles, au moment même où ils l'appelaient « Père » : celle d’un Dieu-tyran, capricieux, qui pourrait décider de nous soumettre à la tentation et que nous devrions prier de l’éviter, sans trop savoir pour quelle raison ? Ou pire, celle d'un Dieu tentateur ?
Bref, la formulation pouvait être mal comprise, comme une espèce de blasphème.
Parce qu’il est bien vrai qu’il n’y a qu’un Dieu, Créateur de tout, et non pas un Dieu du mal et un Dieu du bien en perpétuelle dispute.
Si donc tentations il y a, c’est qu'elles sont permises (sinon voulues) en dernier ressort... par Dieu. Théologiquement, la formule « ne nous soumets pas à la tentation » se réfère à la toute puissance du Dieu unique.
Dans la Bible, Dieu permet que les croyants, surtout les plus grands, soient exposés à la tentation. Par exemple, il laisse Satan mettre Job à l’épreuve… Le Christ lui-même est « conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté » (Matthieu 4,11) et à Gethsémani il invitera ses disciples à prier « pour ne pas entrer en tentation » (Matthieu 26,41).
Le diable et les esprits mauvais tendent des pièges, des tentations, incitent à faire le mal, à tomber, à détruire. Mais le Dieu vivant et vrai, lui, permet des tentations et promet sa force (sa grâce) au croyant pour qu’il résiste et grandisse grâce à ces épreuves.
Enfin, dans la bouche d’un juif pieux du Ier siècle, la « tentation » est beaucoup plus qu’un mal moral auquel il faut résister : selon les Écritures, comme on l’a rappelé plus haut, c’est parfois une mise à l’épreuve voulue par Dieu. Jésus apprend aux croyants à prier le Père de ne pas les placer dans une épreuve telle que leur fidélité soit en péril, à tenir compte de leurs faiblesses, à y proportionner sa grâce !
Suivant l’invitation de Jésus à Gethsémani (Matthieu 26,41 : Veillez et prier pour ne pas entrer dans la tentation), les croyants demandent désormais :
« Ne nous laisse pas entrer en tentation »
Alors comment faire pour ne pas entrer en tentation aujourd'hui ? A priori, la réponse n'a pas changé depuis ... saint Augustin (« Toi non plus, tu n'as pas changé », désolé on n'a pas pu s'empêcher) : il faut suivre Jésus dans l'épreuve.
« Parfaitement ! Le Christ était tenté par le diable ; dans le Christ, c'est toi qui étais tenté, parce que le Christ tenait de toi sa chair, pour te donner le salut ; tenait de toi sa mort, pour te donner la vie ; tenait de toi les outrages, pour te donner les honneurs ; donc il tenait de toi la tentation, pour te donner la victoire. Si c'est en lui que nous sommes tentés, c'est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu'il a vaincu ? Reconnais que c'est toi qui es tenté en lui ; et alors reconnais que c'est toi qui es vainqueur en lui. »
Augustin d'Hippone, Enarratio in Psalmis, Ps 60,2-3, CCL39,766.