Qu’est-ce que le « pinacle du Temple » dans la Bible ? Pourquoi le diable emmène-t-il Jésus sur le point le plus haut de Jérusalem ? Que voit-il de là-haut ? Quel est le sens de cette indication géographique ?
Jérusalem, ô Jérusalem ! Capitale du royaume de Juda, cité du roi David et lieu de la Passion et de la Résurrection, Jérusalem est la ville où se cristallisent les événements les plus décisifs de l'histoire d'Israël et de la vie du Christ.
Et pour rendre hommage à « la ville trois fois sainte », la grande Edith Piaf a consacré une chanson vibrante, qu’elle interprète ici dans un enregistrement des années 1960.
Ce court passage raconte la tentation du Christ au désert. Elle fait suite à son baptême et intervient au cours des 40 jours que Jésus passe dans le désert.
Jésus, rempli de l’Esprit Saint, s’en retourna du Jourdain. Et il était mené par l’Esprit dans le désert, pendant quarante jours, tenté par le diable. Et il ne mangea rien durant ces jours-là et, quand ils furent passés, le lendemain, il eut faim. Le diable lui dit :
— Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu’elle devienne du pain.
Et Jésus lui répondit, en disant :
— Il est écrit : « Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole de Dieu ».
Et l’emmenant plus haut, sur une haute montagne, le diable lui montra tous les royaumes de l’univers en un instant, et le diable lui dit :
— Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces [royaumes], parce qu’elle m’a été livrée et je la donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi.
Et, répondant, Jésus lui dit :
— Passe derrière moi, Satan, il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte ».
Il l’amena à Jérusalem et le plaça sur le pinacle du Temple et il lui dit :
— Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas car il est écrit : « À ses anges il donna des ordres te concernant afin qu’ils te gardent » et : « Sur leurs mains ils te porteront de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre ».
Et, répondant, Jésus lui dit :
— Il est dit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ».
Et ayant épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable.
Ce passage de l’évangile de Luc raconte les tentations de Jésus au désert. La scène se déroule donc au désert.
« Et il était mené par l’Esprit dans le désert, pendant quarante jours, tenté par le diable. » (Lc 4,1)
Pourtant, le cadre spatial change au cours de cet épisode. Penchons-nous particulièrement sur la troisième tentation du Christ :
« [Le diable] amena [Jésus] à Jérusalem et le plaça sur le pinacle du Temple et il lui dit :
— Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas » (Lc 4, 9)
Pour mener notre éclairage aujourd’hui, nous avons décidé de nous focaliser sur une petite indication qui peut paraître anodine de prime abord (mais il n'en est rien) : la mention géographique du pinacle du Temple, à Jérusalem.
En effet, tandis que les tentations du Christ se déroulent au désert, Satan bouscule la cadre géographique et emmène Jésus « sur le pinacle du Temple », à Jérusalem. En quel sens ce détail géographique peut-il s’entendre ?
Tout d’abord, faisons un peu de géographie hiérosolymitaine (le mot est beaucoup trop stylé pour ne pas l’employer, et désigne ce qui est relatif à Jérusalem).
Jérusalem est une ville bâtie sur une colline (le Mont Sion), et la vieille ville culmine à près de 750 mètres d'altitude. Elle est traversée par la vallée du Tyropéon et entourée de :
Bon, ceci posé, penchons-nous sur le lieu de la troisième tentation. Le « pinacle du Temple » désigne le sommet du Temple (les architectes et les charpentiers parlent également de « faîte » *avec un accent circonflexe, alias le chapeau sur le i).
Ainsi, comme le représente magnifiquement le tableau de Botticelli, Jésus se retrouve donc au sommet du Temple, jouissant d’une vue dégagée sur les alentours. Et que voit-il de là-haut ?
Eh bien, depuis le pinacle du Temple, en regardant plein Est, Jésus fait face… à Gethsémani. En effet, la vue est pleinement dégagée puisque Gethsémani se trouve au pied du Mont des Oliviers, simplement séparé du Temple de Jérusalem par le fossé creusé par la vallée du Cédron.
À partir de cette information géographique, certains exégètes relient ainsi l’épisode de la Tentation au désert à l’épisode de la Tentation au jardin de Gethsémani, au moment de la Passion.
En effet, symboliquement, le point de vue de Jésus depuis le pinacle du Temple de Jérusalem (qui correspondrait aujourd’hui à un haut point au sommet de ce qu'on appelle « l’Esplanade des mosquées »), l’amène à observer le lieu qui sera celui de son agonie à la veille de sa mort.
Luc ne nous dit rien sur les pensées de Jésus. En revanche, les lecteurs reçoivent une suggestion sinistre à la fin de cette scène :
« Ayant épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de [Jésus] jusqu’au moment favorable. » (Lc 4, 13)
Le tentateur reviendra. Dès lors, la tentation du diable à ce moment de l’évangile peut s’entendre comme une tentation anticipée : le diable cherche à tenter Jésus de fuir sa propre Passion, afin que celui-ci refuse d’accomplir le sacrifice de sa vie, refuse d'aller par amour jusqu'à la mort sur la croix...
Finalement, c’est en ayant sous les yeux le panorama des lieux qui seront ceux de sa Passion que Jésus répond à la tentation du diable.
De cette manière, en étant déjà vainqueur du diable qui lui demande de se jeter dans le vide, le Christ est vainqueur de la tentation qui consiste à fuir sa Passion – cette tentation étant symbolisée par la vue de l’autre côté de la colline et le désert où il pourrait fuir et se cacher.
L’éclairage très géographique d’aujourd’hui permet ainsi de souligner combien les lieux sont significatifs et porteurs de sens, dès lors qu’on restitue les scènes dans leur contexte.
Et vous saurez désormais que la troisième et dernière « tentation au désert » se déroule en fait au cœur de Jérusalem, en un lieu stratégique qui évoque déjà la Passion de Jésus, c’est-à-dire le sacrifice de sa vie.
Un immense merci à Benoît pour la discussion de décembre 2022 qui a amené et inspiré cet éclairage exceptionnel !
Pour l'écrivain et officier français Pierre Loti, la vision du désert est l'occasion d'un frisson face à l'immensité.
« Et tout de suite, autour de nous, c’était l’infini vide, le désert au crépuscule, balayé par un grand vent froid ; le désert d’une teinte neutre et morte, se déroulant sous un ciel plus sombre que lui, qui, aux confins de l’horizon circulaire, semblait le rejoindre et l’écraser. Alors, à regarder cela, nous prit une sorte d’ivresse et de frisson de la solitude ; un besoin de nous enfoncer là-dedans davantage, un besoin irréfléchi, un désir physique de courir dans le vent jusqu’à une élévation prochaine, pour voir plus loin encore, plus loin dans l’attirante immensité... Du haut de la dune désolée où cette course nous mena, on voyait plus loin, en effet, et, sur le désert, encore agrandi, traînait une dernière lueur de jour, descendue du ciel jaune par une déchirure qui lentement se faisait dans son voile... Et voici, avec ce vent d’hiver, c’était sinistre tellement, qu’une mélancolie de source ancestrale et lointaine tout à coup se joignit à l’attirance du vide, un regret d’être venu, une tentation de fuir, quelque chose comme l’instinctive crainte qui fait rebrousser chemin aux bêtes des pays verts, à l’aspect de ces régions où plane la mort. »
Pierre Loti (1850-1923), Le Désert, éd Payot, Paris, 2019, p. 20