Que se passe-t-il au cours de la tentation de Jésus au désert ? Quel est le rapport que Jésus entretient avec les animaux ? Et avec les anges ? Quel est le rapport entre Jésus au désert et Adam au jardin d’Éden ?
Dans son album Avril sorti en 2001, Laurent Voulzy a composé un morceau singulier : Jésus. Il y fait résonner sa voix cristalline sur une mélodie minimaliste. On entend notamment ces paroles :
« Du haut de tes cieux délicieux / Jésus, Roi du ciel
Nos âmes volent / Avec leurs ailes »
L’expression « Jésus, Roi du Ciel » n’est peut-être pas choquante pour les oreilles chrétiennes habituées à souligner la divinité de Jésus. Pourtant, ce n’est sans doute pas si évident pour bien des personnes — mais pas pour les anges et les animaux, qui semblent l’avoir bien saisi si l’on suit ce que raconte le premier chapitre de l’évangile de Marc.
Le passage qui suit est le tout début de l’évangile de Marc. Il n’offre aucun détail sur les circonstances de la naissance de Jésus, et commence directement avec sa vie publique à la suite de son baptême par Jean (alias Jean le Baptiste), puis avec le récit de ses quarante jours dans le désert.
Commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
Comme il est écrit dans les prophètes : « Voici, j’envoie mon messager devant ta face qui préparera ton chemin devant toi », Voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers ».
Jean parut, baptisant dans le désert et prêchant un baptême de pénitence pour la rémission des péchés. Et sortaient vers lui tout le pays de Judée et les habitants de Jérusalem et tous étaient baptisés par lui dans le fleuve du Jourdain, en confessant leurs péchés.
Jean était vêtu de poils de chameau et une ceinture de peau autour de ses reins et il mangeait des sauterelles et du miel sauvage. Et il prêchait, disant :
— Vient un plus fort que moi après moi, dont je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau mais lui vous baptisera dans l’Esprit Saint.
Et il arriva en ces jours-là que Jésus vint de Nazareth de Galilée et fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Et, remontant aussitôt de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendant sur lui. Et il y eut une voix des cieux :
— Tu es mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu.
Et aussitôt l’Esprit le poussa au désert. Et il était là dans le désert durant quarante jours tenté par le Satan. Et il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
Une fois n’est pas coutume, nous allons concentrer notre éclairage sur un verset seulement. Ou plus précisément, sur la dernière phrase du passage que vous venez de lire :
« Et [Jésus] était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. » (Mc 1,13)
Certes, Jésus trouve dans la nature un réservoir inépuisable d’images qu’il emploie et convoque dans ses paraboles ou ses enseignements — il parle de graine de moutarde, il parle de figuier, il parle des oiseaux du ciel et des herbes des champs, il parle de sel, il parle de vigne…
Mais on rencontre rarement Jésus en pleine communion avec la nature. Sauf dans cet épisode exceptionnel d’harmonie de Jésus avec les anges et les animaux.
Dans ce verset, l’expression « être avec » exprime une situation apaisée. Elle signale la vie que Jésus partage avec les animaux et les anges qui l’entourent.
Remarquons d’ailleurs que Jésus ne se contente pas d’une neutre indifférence. Au contraire, l’expression « Jésus était avec les bêtes sauvages » rend compte de la communion qui unit Jésus et la création. Mais ça ne s’arrête pas là ! La fin de la phrase est également remarquable : l’évangile dit « et les anges le servaient ».
En effet, les anges ne se contentent pas d’entourer Jésus, ils le « servent ». Ce verbe suggère ainsi que Jésus est plus qu’une simple créature au milieu de la création (et pour cause ! pour les croyants, il est aussi Dieu, le Dieu créateur de toute chose).
Au passage, la mention de ce cortège réunissant les anges et les animaux autour de Jésus nous rappelle une autre scène de la tradition chrétienne : à Noël, il est de coutume de représenter Jésus comme un nouveau-né entouré de l'âne et du bœuf, mais aussi des brebis qui viennent lui rendre visite avec les bergers de Bethléem, également accompagnés des anges.
La présence des bêtes sauvages n’a pas pour seul but d’accentuer la solitude de Jésus au désert, mais de rappeler l’harmonie originelle qui règne dans le jardin d’Éden avant la chute, où Adam vit en bonne intelligence avec les bêtes qu'il nomme (Gn 2,19).
En fait, l’évangéliste Marc glisse de nombreuses références à la Genèse dans ce chapitre. Ainsi :
Mais le parallèle s’appuie sur d’autres indices également. En effet, pour Adam au jardin d'Éden comme pour Jésus dans ce passage, il s'agit d'une scène de tentation. Mais l'issue n'est pas la même :
Enfin, le cours verset final de notre passage souligne une fois de plus la référence à la Genèse. On s'explique :
Symboliquement, l’évangile de Marc vient ainsi établir un parallèle entre Adam et Jésus, afin de montrer que Jésus est le « nouvel Adam ». Autrement dit : par Jésus, l'humanité retrouve une parfaite relation à Dieu et à la création.
Le verset de l’évangile de Marc montre l’unité de vie entre les bêtes sauvages et Jésus, et on y voit déjà un embryon de réalisation du Royaume — c’est-à-dire une esquisse des relations entre toute créature.
En effet, déjà l’Ancien Testament évoque un temps où l’homme co-habitera en paix avec l’ensemble de la création — c’est-à-dire avec les animaux, mais aussi avec les végétaux, avec l’air, avec le feu et finalement avec toute chose…
Inspiré par la Bible, saint François d’Assise (1181-1226), dans une célèbre prière, parle ainsi de « messire frère Soleil », de « sœur Lune », de « frère vent », de « sœur Eau », de « frère Feu » ou encore de « sœur notre mère la Terre ».
Penchons-nous simplement sur les 3 passages de l'Ancien Testament qui annoncent des relations apaisées entre tout :
Finalement, Jésus n’est pas simplement un homme juste qui vit en paix avec le règne animal : il est celui qui rend possible cette paix — cette paix qui, pour être effective, suppose la suspension de toute compétition entre les vivants qui cherchent leur nourriture les uns aux dépens des autres.
Lors du séjour de Jésus au désert, le texte ne dit pas que les animaux se soumettent à lui. Il ne dit pas non plus que Jésus convertit ces animaux sauvages en animaux domestiques. Non. Jésus est simplement avec eux.
La compagnie paisible de Jésus avec ces animaux illustre leur valeur pour Dieu. Ils sont là gratuitement ; ils sont là parce qu’ils reflètent, selon leur mode particulier, la beauté de leur Créateur — Dieu.
Le séjour de Jésus au désert illustre le mode voulu par Dieu de cette « domination » (Gn 1,28) de l’homme sur la création (le sujet est immense et on y reviendra) :
Nous avons essayé de mettre en lumière le lien entre Jésus et la création dans notre éclairage. Finissons donc avec la poésie de Victor Hugo qui célèbre le chant de louange qui traverse toute la création. Pour lui, tout parle : l’air, la fleur, le brin d’herbe…
De l’astre au ciron, l’immensité s’écoute […]
Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois
S’ils n’avaient rien à dire élèveraient la voix ? […]
Crois-tu que le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu,
Ne soit rien qu’un silence ? […]
Non, tout est une voix et tout est un parfum
Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un.
Victor Hugo (1802-1885), « Ce que dit la bouche d’ombre », Les Contemplations, LGF, 2002, 507-508
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