Quel est le lien entre le premier péché d'Adam et le péché des hommes aujourd'hui ? En fait, c'est quoi le « péché originel » ?
Quel est le point commun entre Thiago Silva, Kaka et Kanye West ? Les trois stars sont évangéliques.
Bien que le mouvement évangélique prenne des formes très diverses, les évangéliques croient qu'en dehors de la foi aucun être humain n’est naturellement capable de bonté. On caricature un peu ? Pas tant que ça si l'on en croit une interview de Kanye* où il aborde ce sujet avec beaucoup de clarté. Mais d’où vient cette position ? On voit ça dans L’éclairage !
*Avant les prises de position nauséabondes de Kanye West, qui ont provoqué chez nous autant de tristesse que de colère, on appréciait et même on admirait une partie de son œuvre qui était totalement dénuée des déclarations que nous découvrons ces derniers temps. Nous avions donc analysé ses œuvres que nous continuons à interpréter, tout en dénonçant ses propos insupportables.
Dans son épître aux Romains, Paul commente le péché d'Adam et Eve. Il relève le lien primordial entre mort et péché. On vous laisse lire la traduction de la version grecque et celle de la version latine.
Traduction de la version grecque :
Voilà pourquoi comme par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes parce que / en cela / en sorte que tous ont péché.
Traduction de la version latine :
Voilà pourquoi comme par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes en ce que tous ont péché.
Ce verset 12 du chapitre 5 de l’épître de saint Paul aux Romains a eu des conséquences majeures sur la conception du péché, de la mort et donc de l’homme en général !
Or il est très énigmatique : ainsi comme vous avez pu le lire dans notre traduction, l'expression grecque peut se traduire de trois manières différentes et qui n'ont pas vraiment le même sens.
Augustin d’Hippone est un des pères de l’Église occidentale, qui vit à cheval entre le IVᵉ et le Vᵉ siècle.
Comme tous les Pères de l’Église, il voit la conséquence du péché d’Adam :
Tous les hommes sont devenus mortels
alors qu’ils avaient été créés pour une éternité de joie.
La mort n’est pas vue dans cette conception comme un simple événement biologique, mais comme un drame profond qui empreint toute notre vie, lié à notre incapacité à vivre pleinement à cause du mal.
Mais saint Augustin va plus loin :
Martin Luther grandit dans cette tradition latine et dans un ordre religieux dont la tradition théologique fait d’Augustin son père principal.
C’est donc tout imbibé de la pensée du péché originel qu’il va aller un pas au-delà du Père de l’Église :
C’est cette théorie luthérienne qui habite Kanye West quand il dit que tout ce qu’il a fait dans sa vie avant de croire était intégralement mauvais.
Dans une telle pensée, il n’y a pas ni place pour la capacité naturelle de l’homme à faire le bien, ni pour une continuité historique dans la vie de l’homme (ce que confessent les Églises catholique et orthodoxe).
Le concile de Trente, qui s’achève en 1563, condamne cette position ultra-négative de Luther et promeut pour cela le dogme du péché originel. Ce dogme indique que l’on ne peut pas lire la traduction latine comme le fait Luther.
En revanche, le concile de Trente ne se prononce pas sur la façon dont on peut lire le texte grec. Or si vous remarquez bien, le texte grec laisse la place à une autre interprétation :
Pour les Pères de l’Église Grecque qui lisent ce texte, c’est parce que l’homme est mortel qu'il pèche. Puisque l'homme ne voit pas la vie éternelle, il tente par tous les moyens d’oublier cette condition avec de fausses sécurités : l’argent, la gloire ou le pouvoir par exemple, qui sont autant de plantages.
Si les Chrétiens lisent ce passage de l’épître aux Romains en début de Carême, c’est d’abord pour se rappeler qu’on n’est pas tout blanc.
Et qu’il ne faut pas en désespérer car comme le dit l’apôtre Paul plus loin dans ce texte :
« Si en effet, par la faute d’un seul la mort a régné, par lui seul à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice, régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ. ».
Epître de saint Paul aux Romains, chapitre 5 verset 12. Traduit par les équipes de notre programme de recherches La Bible en ses traditions.
Bref, on n’est pas sans secours !!
« La ruse du diable, dit Maxime le Confesseur, fut – et reste – de détourner de Dieu l’intelligence de l’homme en la fixant prématurément sur les choses sensibles que l’homme ordonne à lui-même, usurpateur et non plus roi-prêtre de l’univers, au lieu de déchiffrer en elles les logoï, les essences spirituelles, de les exprimer, et de «cultiver» ainsi le jardin du monde en épanouissant sa beauté. […]
Chacune des individualités prétend à se diviniser par elle-même ou à se fondre dans une communauté idolâtrique (et idolâtrée). «Vous serez comme des dieux» a dit le serpent (Gn 3,5). Pour reprendre l’analyse de Paul Florensky dans sa Lettre sur le péché, celui-ci consiste à s’enfermer dans sa propre identité, dans le refus de toute relation bonne à l’autre, «c’est-à-dire à Dieu et à tout le créé»; « c’est donc la concentration sur soi sans issue hors de soi». Par là même l’individu se durcit et se désagrège,c’est à la fois «sa dureté du cœur» et le jeu de miroirs du narcissisme. Assailli par la mort, il projette son angoisse sur l’autre, qu’il possède jusqu’à le tuer. Séparation d’avec Dieu, la déviance première devient ainsi meurtre de l’autre et finalement, dans l’échec inévitable de l’«auto-déification», haine de soi, jusqu’au suicide. »
Olivier Clément, Le chant des larmes : essai sur le repentir, Collections Prières, Edition Desclée De Brouwer, 2011.