L’épisode de la circoncision de Jésus est-il souvent représenté ? Sur quoi insiste le tableau ? Quelle est sa composition ? Quelles expressions ont les personnages ?
Food for Thought fait partie des sons reggaes qui nous fascinent le plus. Rythmé, calme, puissant, le groupe UB 40 chante ce paradoxe : des cloches annoncent la naissance du Christ, fils de Marie, dans un contexte d’injustices.
Un son de Noël qui nous a paru approprié pour découvrir un des rites de l’enfance que connut Jésus et dont on ne parle pas beaucoup. En tout cas, quand on était gamin, personne ne nous a dit qu’il avait été circoncis.
L’Évangile de Luc parle de la circoncision de Jésus dans un passage d’une brièveté exceptionnelle : un verset.
Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l’ange avant sa conception.
Ce texte est vraiment laconique. Ainsi, la circoncision de Jésus n’est-elle décrite que par ce seul verset.
Deux détails situent bien la circoncision de Jésus dans le cadre de la Loi juive : la circoncision a lieu huit jours après la naissance de l'enfant mâle et c'est uniquement à ce moment-là que l'enfant reçoit son nom, "Yechoua", c'est-à-dire "il sauve" (que le français prononce Jésus).
Les représentations de la circoncision du Christ sont nombreuses et ont marqué, jusqu'au vingtième siècle, la culture populaire. Au Moyen-Âge, il existait même en Europe quatorze lieux de vénération du Saint-Prépuce (ce n'est pas une plaisanterie).
C'est l'huile sur bois exposée à Angers que nous avons choisie pour découvrir les détails de ce rite habituel pour un nouveau-né juif, rite que le Christ connut donc selon le récit de l'évangéliste Luc.
On peut observer un premier axe symétrique. Cette symétrie est tout juste rompue par le nombre des personnages debout au second plan : 4 à gauche, 5 à droite.
Faut-il s’étonner que l’axe vertical passe très précisément par le sexe de l’Enfant-Jésus ?
Valoriser ainsi ce qui convient au titre, n’étonne que dans la mesure où la plupart des représentations (en tout cas dans celles qu’on a trouvées) ne mettent pas à ce point en évidence le geste même de la circoncision et surtout rares sont celles qui soulignent, comme ici, le sang qui jaillit.
️ Le caractère paisible du visage de l’enfant contraste avec le jaillissement du sang et la violence de l'acte.
Si nous tentons de resserrer le triangle en suivant les épaules du grand prêtre, il semble qu’un tout nouveau contexte apparaisse : le regard du grand prêtre se porte sur cet enfant qui est le Messie d'Israël.
Normalement, c'est le grand-père ou le parrain (sandak en hébreu) qui tient l'enfant sur ses genoux : est-ce pour nous dire que Jésus est de lignée sacerdotale, qu'il est le grand prêtre par excellence ? Ou bien cela suggère-t-il un sacrifice accompli par le grand prêtre ?
On devient alors attentif à l’expression du grand prêtre : calme, presque méditatif, tenant fermement l’enfant de ses deux mains croisées.
En revanche, Marie semble avoir une présence très discrète : est-ce parce qu’en fait elle ne devrait pas être là ?
️Si l’auteur voulait respecter le rite juif – ce qui n’est sans doute pas sa préoccupation centrale –, il aurait dû exclure Marie de la représentation : la mère qui a mis au monde un enfant mâle, est exclue du temple pendant 40 jours après la naissance à cause de son impureté rituelle*.
La discrétion de sa présence est-elle une sorte de compromis entre respect du rite originel et relecture chrétienne ? Est-ce un parallèle avec une scène de la crucifixion avec Marie et les saintes femmes au pied de la croix ?
Saint Paul dit de Jésus qu'il est « né d'une femme, né sujet de la Loi » (Ga 4, 4).
Au treizième siècle, Jacques de Voragine (un Dominicain), dans La Légende Dorée, s'inscrit dans cette lignée : « le Seigneur a voulu montrer son approbation de la loi de Moïse, "qu'il était venu non pas détruire, mais compléter et réaliser" ».
La représentation du « Maître à l’œillet » est conforme à cette affirmation : rien dans l’œuvre ne peut laisser croire à une quelconque critique, même voilée, d’un rite qui pourrait être vu par certains, aujourd'hui, comme « barbare ».
En respectant dès son enfance la Loi de Moïse, Jésus s'inscrit donc charnellement et religieusement dans l'appartenance à un peuple.
Sa mort sur la croix s'inscrira dans la symbolique de la circoncision :
**Mille fois merci à Annette, à qui nous devons cette merveilleuse explication !!
La circoncision de Jésus montre sa fidélité rituelle à la tradition juive. Ce thème du juste rapport à la tradition, qui traverse les Évangiles, n’a pas manqué d’interpeller les théologiens qui y décèlent un enjeu difficile à équilibrer :
« Dans la conscience actuelle de l’Église, le passé constitue souvent un poids et une entrave, alors qu’il doit être transmué d’une manière créatrice pour nourrir la fidélité à la Tradition authentique. Ceci révèle une inaptitude à évaluer le passé, à distinguer la vérité de ce qui n’est que passé.
Sans le discernement, on confond la vraie Tradition avec toutes sortes de traditions qui, elles-mêmes, demandent à être évaluées à la lumière de la vérité éternelle de l’Église. Ce qui est partiel, partial, et même déformé, est présenté souvent comme l’essence de l’Orthodoxie.
L’erreur consistant à absolutiser le passé mène inéluctablement à l’autre extrême : le modernisme, qui est avant tout un rejet du passé prenant pour seul critère la « modernité », la « science » ou les « nécessités du moment ». »
Alexandre Schmemann, Le chemin historique de l'orthodoxie, YMCA-PRESS, collection L’Échelle de Jacob, 1995, Paris, p. 366-367
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