Quelle est l'attitude de saint Pierre face à Jésus ? Quel est le lien entre son reniement et les questions que Jésus pose, trois chapitres plus loin ?
Le thème de ce numéro est la miséricorde. Et Elvis l’a si bien chanté dans Precious Lord, Take My Hand, qu’on ne voulait pas vous en priver !
Pour ceux qui veulent un titre spécialement adapté au sujet du reniement de Pierre, voici une autre suggestion, pour commencer en musique et en classique : Le Reniement de Saint Pierre de Marc-Antoine Charpentier. (Extrait du concert Générations France Musique, le Live, enregistré le 16 février 2019)
Nous vous proposons de lire en parallèle deux textes de l’Évangile selon saint Jean. Le premier texte se passe avant la crucifixion de Jésus dans la cour des grands prêtres qui le jugent. Le second a lieu quelques jours plus tard au bord de la mer de Galilée après la résurrection de Jésus.
Simon Pierre et un autre disciple avaient suivi Jésus. Or ce disciple était connu du grand prêtre et put entrer avec Jésus dans la cour du grand prêtre. Pierre, toutefois, se tenait dehors devant la porte. L'autre disciple, connu du grand prêtre, sortit donc, dit un mot à la portière et fit entrer Pierre. La jeune fille gardant la porte dit alors à Pierre :
— N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme-là ?
Celui-ci dit :
— Je n’[en] suis pas.
[…] Et Simon Pierre se tenait [là] et se réchauffait. Ils lui dirent alors :
— N'es-tu pas, toi aussi, de ses disciples ?
Celui-ci renia et dit :
— Je n’[en] suis pas.
L’un des serviteurs du grand prêtre, un parent de celui dont Pierre avait tranché l’oreille, dit :
— Ne t’ai-je pas vu dans le jardin avec lui ?
Alors de nouveau Pierre renia et aussitôt un coq chanta…
Au chapitre 21, après la résurrection de Jésus.
C’était là la troisième fois que Jésus apparaissait aux disciples, une fois ressuscité d’entre les morts. Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre :
— Simon fils de Jean m’aimes-tu plus que ceux-ci ?
Il lui dit :
— Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime.
Il lui dit :
— Nourris mes agneaux.
Puis il lui dit une deuxième fois :
— Simon fils de Jean m’aimes-tu ?
Il lui dit :
— Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime.
Il lui dit :
— Pais mes brebis.
La troisième fois Jésus lui dit :
— Simon fils de Jean m’aimes-tu ?
Pierre fut tout triste quand Jésus lui dit la troisième fois : « m’aimes-tu ? », et il lui dit :
— Seigneur, tu connais tout, tu sais que je t’aime.
Jésus lui dit :
— Nourris mes brebis pour moi.
L’intérêt de présenter ces deux textes en parallèle est de rendre évidente leur construction identique.
Dans les deux cas :
Pourquoi l’auteur de l’Évangile use-t-il d’une construction exactement similaire à trois chapitres d’intervalle ?
Sans aucun doute pour lier les deux épisodes. Il procède ainsi à la manière des artistes qui créent des diptyques : il présente deux scènes qui se comprennent le mieux si elles sont liées l’une à l’autre.
Comme toute œuvre d’art littéraire, l’Écriture doit être lue en faisant résonner les passages les uns avec les autres pour entendre la vérité dont elle témoigne :
En liant les deux événements, on s’aperçoit que le rôle de Pierre est tout autre : il a renié Jésus et pourtant Jésus est prêt à lui reposer la question « M’aimes-tu ? » Cette question à trois reprises est un rappel des trois reniements de Pierre et expriment qu’il est pardonné.
Le rôle de Pierre comme pasteur du troupeau ne repose donc ni sur une quelconque perfection personnelle, ni sur une habilité supposée au management mais seulement sur la miséricorde de Jésus.
Pour rappel, Pierre est le premier pape de l'Église. Et ce passage de l’Évangile est primordial pour bien percevoir le rôle de tous les chefs de communautés qui viennent à la suite de Pierre et donc de Jésus. Leur autorité ne vient pas de leurs mérites, mais parce qu’étant imparfaits ils ont bénéficié de la miséricorde et peuvent la partager.
Pierre a failli dans son amour pour son ami mais cette faillite ne le condamne pas définitivement. Il peut se relever.
L’expérience de Pierre est celle d’un homme incapable d’aimer comme il l’avait promis, comme il se l’était juré. L’expérience de Pierre, c’est l’expérience de celui qui se sait pardonné, relevé, renouvelé dans la possibilité d’aimer. Bernanos l’exprime avec force dans le passage fameux où son curé déclenche la conversion de la comtesse voisine :
« Il suffit d’un regard, d’un signe, d’un muet appel pour que le pardon fonce dessus, du haut des cieux, comme un aigle. [...] L’enfer, madame, c’est de ne plus aimer. Ne plus aimer, cela sonne à vos oreilles ainsi qu’une expression familière. Ne plus aimer signifie pour un homme vivant, aimer moins, ou aimer ailleurs. Et si cette faculté qui nous paraît inséparable de notre être, notre être même – comprendre est encore une façon d’aimer – pouvait disparaître pourtant ? »
Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Plon, Paris, 1936.
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