En quoi le récit de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine fait-il référence à l’Ancien Testament ? Quelle est la symbolique du puits dans la Bible ?
Située en face du Pont-Neuf, entre le Louvre et l'île de la Cité, saviez-vous que La Samaritaine, célèbre grand magasin parisien, tire son nom... d'un personnage de l'Évangile ?
En effet, ce superbe bâtiment d'architecture art déco s’appelle ainsi puisqu'il est construit à l'endroit d'une très ancienne pompe à eau sur laquelle un haut-relief en bronze représentait justement la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Et pourquoi cette référence ? Tout simplement parce que cette scène de l'évangile de Jean se passe près d'un puits.
La rencontre entre Jésus et la Samaritaine est l'occasion d'une longue discussion entre eux. Pour analyser ce passage, on s'est contenté de quelques versets seulement, afin de fixer notre attention sur le thème du puits et de l'eau.
Jésus quitta aussitôt la Judée et retourna en Galilée. Or il lui fallait traverser la Samarie. Il vient donc dans une ville de Samarie appelée « Sichar » près de la terre que Jacob avait donnée à Joseph son fils. Or là était la source de Jacob. Jésus donc, fatigué du voyage, s’était assis simplement à la source : c’était environ la sixième heure. Une femme vient de Samarie puiser de l’eau. Jésus lui dit :
— Donne-moi à boire.
Ses disciples étaient déjà partis pour la ville acheter de la nourriture. La femme samaritaine lui dit alors :
— Comment toi, qui es juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ?
Les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains.
Jésus répondit et lui dit :
— Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit « Donne-moi à boire », c’est toi qui lui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive.
La femme lui dit :
— Seigneur, tu n’as rien pour puiser et le puits est profond. D’où tiens-tu l’eau vive ? Es-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné ce puits et lui-même en a bu ainsi que ses fils et ses bêtes ?
Jésus répondit et lui dit :
— Quiconque boit de cette eau aura soif de nouveau. Mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, moi, n’aura plus jamais soif et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant en vie éternelle.
La femme lui dit :
— Seigneur, donne-moi cette eau afin que je n’aie plus soif et que je ne revienne plus puiser ici.
Comme on en parlait dans un numéro précédent, le contexte historique et géographique de cette rencontre constitue la trame de fond du dialogue en Jésus et cette femme.
Or, par la mention explicite de « Jacob » dans la bouche de la Samaritaine, l’évangile de Jean nous renvoie au livre de la Genèse. Autrement dit, le Nouveau Testament convoque l’Ancien Testament pour y « puiser » ses références et y déployer un sens plus profond encore.
« D’où tiens-tu l’eau vive ? Es-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné ce puits et lui-même en a bu ainsi que ses fils et ses bêtes ? » (Jn 4, 11-12)
En l'occurrence, ce passage de l'évangile établit notamment un parallèle avec le chapitre 24 de la Genèse. Petit résumé de l'histoire : Abraham envoie un de ses serviteurs en Mésopotamie afin d’y chercher une femme pour son fils Isaac. Ce serviteur rencontre Rebecca près d’une source et il comprend que c’est la femme que Dieu destine à Isaac.
De fait, ce récit de l'évangile de Jean fait mention de 3 éléments qui se retrouvent exactement dans l'épisode du chapitre 24 de la Genèse :
Cette femme de Samarie peut être symboliquement comprise comme une figure du peuple. Ainsi, sa rencontre avec Jésus dans l'évangile de Jean renvoie aux rapports complexes de Dieu avec son peuple tout au long de l'histoire biblique.
Pour entrer plus encore dans l’intelligence du texte, prêtons attention au cadre géographique de la scène. Le lieu de la rencontre est important. Celle-ci se déroule à « la source de Jacob ».
« Or là était la source de Jacob. Jésus donc, fatigué du voyage, s’était assis simplement à la source : c’était environ la sixième heure. Une femme vient de Samarie puiser de l’eau. » (Jn 4, 6-7)
Le lecteur biblique averti est aussitôt mis en alerte par ce petit détail ! En effet, dans l’Ancien Testament, c’est souvent près d’une source ou d’un puits que les mariages se préparent et se nouent. Voici trois exemples éloquents :
La rencontre entre Jésus et la Samaritaine à « la source de Jacob » ne se conclut pas par un mariage, mais elle est tout de même une rencontre d’amour. En effet, pour les croyants, cette femme rencontre l’Amour en personne — Jésus-Christ.
Le texte que nous présentons, issu de la traduction du programme de recherche de La Bible en ses Traditions (de l’École Biblique de Jérusalem) se distingue quelque peu des autres traductions sur un terme de vocabulaire assez important.
« Or là était la source de Jacob. Jésus donc, fatigué du voyage, s’était assis simplement à la source. » (Jn 4, 6)
De fait, la tradition chrétienne parle souvent du « puits de Jacob », et nombreuses sont les bibles qui ont choisi de traduire le terme grec πηγή (pêguê) par « puits ». Mais d’autres traductions traduisent par « fontaine » ou « source », à l’image de notre texte. Bref, s’agit-il du « puits de Jacob » ou de la « source de Jacob » ?
Père de l’Église du IVe siècle, Augustin d’Hippone (alias saint Augustin) analyse fort bien ce qui n’est en fait qu’une ambiguïté apparente. Son explication permet de comprendre la longue histoire des hésitations de traduction entre « source » et « puits » :
« Là se trouvait le puits de Jacob. C’était un puits : tout puits est une source, mais toute source n’est pas un puits. Quand l’eau jaillit en effet de la terre et s’offre à l’usage de ceux qui viennent y puiser, on parle de source : si elle est à portée de la main et reste à la surface de la terre, on dit seulement que c’est une source ; mais si elle se trouve à une grande profondeur, on l’appelle un puits, sans qu’elle perde pour autant son nom de source. »
Saint Augustin Traité XV, 5, Homélies sur l’Évangile de Saint Jean
(Bibliothèque Augustinienne 71, p. 762)
Saint Augustin met tout le monde d’accord : en fait, on peut à la fois parler de la source de Jacob et du puits de Jacob.
Pour parler de la profondeur du puits, le texte en grec emploie le mot φρέαρ (phréar), qui donne en français une nappe phréatique par exemple. Or, à ce terme se trouve aussitôt associé un autre mot, qui vient comme un écho : l'eau vive.
« Seigneur, tu n’as rien pour puiser et le puits est profond. D’où tiens-tu l’eau vive ? » (Jn 4,11)
Symboliquement, la tradition chrétienne a développé tout une réflexion mettant en tension complémentaire deux éléments :
Finalement, en conclusion de ce numéro, retenons que :
« Quiconque boit de cette eau aura soif de nouveau. Mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, moi, n’aura plus jamais soif et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant en vie éternelle. » (Jn 4, 13-14)
Un grand merci à notre ami Augustin qui a écrit ce magnifique éclairage !
Finissons sur une note de poésie avec Albert Camus. Dans ce court passage décrivant la beauté de la mer, il évoque une idée-clé de cette rencontre entre Jésus et la Samaritaine : la soif de l'amour.
« À midi sur les pentes à demi sableuses et couvertes d’héliotropes comme d’une écume qu’auraient laissée en se retirant les vagues furieuses des derniers jours, je regardais la mer qui, à cette heure, se soulevait à peine d’un mouvement épuisé et je rassasiais les deux soifs qu’on ne peut tromper longtemps sans que l’être se dessèche, je veux dire aimer et admirer. Je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. Je retrouvais ici l’ancienne beauté, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel ne m’avait jamais quitté. C’était lui qui pour finir m’avait empêché de désespérer. »
Albert Camus, « Retour à Tipasa », L’été, Paris, Gallimard, 1959
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