Pourquoi la ville de Sodome est-elle condamnée et détruite ? Quel rapport avec l'homosexualité ? Quel est le péché de Sodome ?
Avant de plonger dans un texte tout bonnement affreux, on s’est dit qu’un chant empreint de la plus pure beauté ferait du bien. Comme un cri délicat adressé aux autorités célestes…
Voilà un texte biblique qui parle d'abus et dont la lecture n'est pas forcément agréable. Et pour ceux qui ne le savent pas, Lot est le neveu d'Abraham.
YHWH envoie dans la ville de Sodome deux de ses anges pour éprouver la justice de ses habitants. À peine arrivés, ils rencontrent Lot.
Les deux anges arrivèrent à Sodome le soir et Lot était assis à la porte de Sodome. Et Lot vit et il se leva pour aller au-devant d’eux et il se prosterna visage contre terre et il dit :
— Voici, mes seigneurs ! Faites le détour chez votre serviteur pour y passer la nuit : lavez-vous les pieds, vous vous lèverez de bon matin et vous poursuivrez votre route.
Ils répondirent :
— Non, nous passerons la nuit sur la place.
Mais Lot leur fit tant d'instances qu'ils vinrent chez lui et entrèrent dans sa maison. Il leur fit un festin, cuisit des azymes* et ils mangèrent. Ils n’étaient pas encore couchés que les hommes de Sodome entourèrent la maison, des adolescents jusqu’aux vieillards, tout le peuple jusqu'au dernier. Ils appelèrent Lot et lui dirent :
— Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous, que nous les connaissions.
Lot sortit vers eux à l’entrée de la maison et ferma la porte derrière lui. Et il dit :
— Je vous prie, mes frères, ne faites pas le mal ! Voici, j'ai deux filles qui n’ont pas connu d’homme. Je vous les amènerai et vous leur ferez ce qu'il vous plaira. Mais ne faites rien à ces hommes car c'est pour cela qu'ils sont venus à l'ombre de mon toit.
Ils répondirent :
— Ôte-toi de là !
Et ajoutèrent :
— Cet individu est venu comme étranger et il fait le juge ! Maintenant, nous ferons donc à toi-même pis qu’à eux !
Et ils repoussaient avec violence Lot et s’avancèrent pour briser la porte. Et voici que les hommes étendirent les mains et les hommes firent rentrer Lot vers eux dans la maison et fermèrent la porte. Et ils frappèrent de cécité les hommes qui étaient à l’entrée de la maison, du plus petit jusqu'au plus grand et ceux-ci se fatiguèrent inutilement à chercher la porte.
Et les hommes dirent à Lot :
— Qui as-tu encore ici ? Gendres, fils et filles et qui que ce soit que tu aies en ville, fais-les sortir de cet endroit. Car nous allons détruire ce lieu car grand est le cri [contre] eux devant YHWH et YHWH nous a envoyés pour le détruire.
* les azymes désignent des pains non fermentés analogues aux fameuses pitas que l’on peut encore manger dans bien des pays méditerranéens.
Pour bien comprendre l'histoire de Sodome et Gomorrhe, on vous conseille de lire nos précédents numéros
Cela vous facilitera sûrement la lecture de ce texte biblique qui, s'il n’était pas dramatique, resterait instructif tant il relate des traditions antiques, des termes bibliques notoires et une figure littéraire piégeuse.
Avant de plonger dans le drame, relevons-les rapidement pour comprendre ce qui est en jeu :
Lot pratique l’hospitalité, une des vertus et des coutumes les plus valorisées par les textes de l’Ancien Testament. Il s’agit là d’un devoir auquel aucun homme ne saurait se soustraire. C’est pour cela que, dans les Évangiles, Jésus a des propos si durs envers ceux qui n’accueillent pas chez eux ceux qui frappent à leur porte.
YHWH envoie dans la ville de Sodome deux de ses anges pour éprouver la justice de ses habitants. À peine arrivés, ils rencontrent Lot. Les deux anges arrivèrent à Sodome le soir et Lot était assis à la porte de Sodome. Et Lot vit et il se leva pour aller au-devant d’eux et il se prosterna visage contre terre et il dit :
— Voici, mes seigneurs ! Faites le détour chez votre serviteur pour y passer la nuit : lavez-vous les pieds, vous vous lèverez de bon matin et vous poursuivrez votre route. (Gn 19, 1-2)
Le premier geste de l’hospitalité, tel que nous le rapporte le texte, est de laver les pieds de ses hôtes. Comme ceux-ci marchent en sandales, cela leur permet d’être restaurés, lavés de leurs saletés et d’être accueillis dignement. Le maître de maison qui offre ce geste à ses hôtes leur indique qu’ils sont ici chez eux. Cela donne une dimension pleine de sens au lavement des pieds de Jésus à ses disciples.
Vient ensuite un repas que le texte biblique décrit ici comme un festin.
Malgré l’importance de l’hospitalité, les habitants de Sodome sont prêts à réclamer ces hôtes de passage pour les « connaître ». Les biblistes avertis savent que, dans l’Écriture, ce verbe n’a pas principalement la dimension intellectuelle ou conceptuelle que notre époque lui a donnée.
Ils n’étaient pas encore couchés que les hommes de Sodome entourèrent la maison, des adolescents jusqu’aux vieillards, tout le peuple jusqu'au dernier. Ils appelèrent Lot et lui dirent :
— Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous, que nous les connaissions. (Gn 19, 4-5)
Quand on connaît quelqu’un dans la Bible, pour parler crûment, c’est aussi qu’on a eu une relation sexuelle avec lui. Dans ce passage, les habitants de Sodome veulent violer les hôtes de Lot.
Lorsque, face à la demande inique des Sodomites, Lot propose de leur offrir ses filles, il ne s’agit pas pour lui de les traiter comme quantité négligeable.
C’est un moyen pour le personnage biblique de souligner l’atrocité de ce que lui demandent ses interlocuteurs : si Lot parle de donner ses filles, ce qui représente la pire chose qu’un père puisse proposer, alors combien le fait de violer des étrangers, des hôtes est un crime immense. L’alternative n’en est pas une, il s’agit pour Lot de démontrer l’innommable.
Les habitants de Sodome ne connaissent pas l’identité de ces hôtes : ce sont des anges de Dieu. Ces derniers vont donc éviter le pire en frappant les habitants de la ville d'abord de cécité puis en détruisant Sodome.
Il est donc intéressant de se pencher sur la nature de ce que l’Écriture reproche aux Sodomites.
Dans l’Écriture, le péché de Sodome correspond donc à deux crimes :
En divers endroits, l’Écriture rappelle que c'est un grand crime d'abuser d'un hôte, en situation de fragilité : c’est par exemple le cas dans le livre des Juges. Dans le texte le plus horrible de la Bible, des hommes violent la concubine d’un lévite qui a été accueillie avec hospitalité par un habitant du village.
Ces deux textes ont un point commun. Des hommes sont prêts à violer : une fois des hommes, l’autre fois une femme, qui sont des étrangers de passage.
Dans l’Écriture, le péché de Sodome est devenu un type de péché qui appelle la punition divine.
L'usage contemporain est limité à une insulte adressée aux homosexuels mais dans la Bible, Isaïe appelait les Princes de Jérusalem "chefs de Sodome" à cause de leurs injustices (Isaïe 1, 10).
En divers endroits les crimes de Sodome sont rappelés dans l’Écriture. Le Christ les évoque quelquefois dans les Évangiles, comme un péché archétypique immense. Il n’est donc pas totalement inutile de relire ce texte de la Genèse.
En lisant ce texte d'une grande violence qui voit s'opposer les anges de Dieu et la folie des hommes, cette méditation de Pascal nous semble appropriée comme mot de la fin :
« C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus.
Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre : quand l’on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n’ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l’une sur l’autre.
Qu’on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. »
Blaise Pascal, Les Provinciales, Lettre XII, 21