Dansant devant Hérode et provoquant la mort de Jean-Baptiste, qui est la fille d’Hérodiade ? S’appelle-t-elle vraiment Salomé dans les évangiles ?
En 1953, William Dieterle sortait le film avec l’actrice incontournable des années 50 : Rita Hayworth. On l’y voit effectuer une danse sensuelle, devant une cour romaine gouvernée par le tétrarque Hérode Antipas. Mais qui est donc Salomé ?
Aujourd’hui, on vous propose de découvrir l’histoire biblique de ce personnage secondaire devenu un archétype de la femme fatale. Les œuvres ont beau proliférer à son propos, on ne saisit pas toujours bien qui est réellement Salomé ! Une princesse, une séductrice, une victime ? On vous défriche tout ça !
Ce passage de l’évangile de Matthieu raconte la célèbre « danse de Salomé », survenant au début de la vie publique de Jésus.
En ce temps-là, Hérode le tétrarque entendit [parler] de la renommée de Jésus et il dit à ses serviteurs :
— Celui-ci est Jean le Baptiste. Lui, il est ressuscité des morts voilà pourquoi les miracles agissent en lui.
Car Hérode avait saisi Jean et l’avait lié et mis en prison à cause d’Hérodiade la femme de Philippe son frère, car Jean lui disait :
— Il ne t’est pas permis de l’avoir.
Et tout en voulant le tuer, il craignit la foule parce qu’elle le tenait pour un prophète.
L’anniversaire d’Hérode étant arrivé, la fille d’Hérodiade dansa au milieu et plut à Hérode. Aussi, il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste.
Et le roi fut attristé à cause des serments et des convives, ordonna qu’elle [lui] soit donnée et envoya décapiter Jean dans la prison et sa tête fut apportée sur un plat et fut donnée à la jeune fille et elle l’apporta à sa mère et s’approchant.
Ses disciples prirent le corps et l’ensevelirent, puis ils vinrent l’annoncer à Jésus.
On vous parle d’une certaine « Salomé »… mais avez-vous vu son nom dans le texte biblique ? Ah oui, vous pensez peut-être qu’on le trouve dans d’autres évangiles. Et bien non ! *Pour être très exact, il existe bien une femme nommée Salomé dans les évangiles, mais elle apparaît seulement au moment de la mort de Jésus – et n'a rien à voir avec le personnage qui danse devant Hérode dans cette scène.
D'où vient ce prénom pourtant célèbre alors ? En fait, la tradition a retenu le prénom « Salomé » pour désigner la fille d’Hérodiade, à partir des travaux de Flavius Josèphe, l’historien judéo-romain du Ier siècle. Il soutient que Salomé (parfois appelée Salomé II) est une princesse juive.
En recoupant les écrits de Flavius Josèphe avec ce que racontent les évangiles, on parvient à distinguer clairement les différents personnages de la scène :
Hérodiade se sépare de Philippe pour épouser son frère Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, c’est-à-dire gouverneur de cette région. Salomé danse donc devant son « beau-père ». On vous l’accorde, la scène est un poil incestueuse !
Si on résume, Jean-Baptiste est fait prisonnier par Hérode car il s’oppose à son mariage avec Hérodiade. En effet, Jean-Baptiste reproche à Hérode de prendre la femme de son frère.
Jean-Baptiste est donc toujours en prison le jour de l’anniversaire d’Hérode. Pour l'anecdote, sachez qu'il s'agit du seul anniversaire dont il est question dans toute la Bible ! Le mot n’apparaît que dans deux évangiles (Marc et Matthieu), systématiquement pour évoquer cet épisode.
Par sa danse, Salomé plaît à Hérode et vient provoquer un énorme retournement de situation :
« La fille d’Hérodiade dansa au milieu et plut à Hérode. Aussi, il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » (Mt 14, 10-12)
La représentation de cet épisode biblique, notamment en peinture, fait de ce passage une scène emblématique et ambiguë.
En effet, la figure de Salomé a largement été récupérée par les artistes.
De cette scène, beaucoup de peintres retiennent surtout l’hyper-sensualisation du personnage, dans un décor de fête qui avoisine l’orgie. Mais d’où provient cet imaginaire pictural ?
Historiquement, le XIXe siècle fut le temps des grandes conquêtes napoléoniennes en Égypte. Émerveillés, les artistes ont répandu, par leurs peintures ou leurs écrits, les paysages, les mythes et les cultures qu’ils découvraient (et surtout fantasmaient !).
On parle aujourd’hui d’orientalisme pour décrire ces mouvements artistiques. La colonisation du XIXe s. contribue en outre à développer le goût de « l'ailleurs ».
Dès lors, à la figure biblique de Salomé vient s’ajouter le mythe oriental de « la danse des sept voiles ».
Le thème de « la danse des sept voiles » est emprunté à un mythe babylonien, dont l’origine exacte demeure quelque peu incertaine. Il s’agit d’un récit mettant en scène la déesse Ishtar et de son amant le dieu Tammuz.
En bref : lorsque Tammuz meurt, Ishtar part à sa recherche en enfer, et à chaque porte qu’elle passe, elle doit se dépouiller d’un vêtement jusqu’à finir complètement nue à la septième porte. D’où les sept voiles qui font partie de la danse.
Condamnée et glorifiée par la tradition littéraire et picturale, Salomé s’affiche finalement comme une figure incontournable, à la croisée des récits bibliques et mythologiques.
Comme en témoignent les innombrables tableaux, Salomé devient l’archétype de la femme fatale. On peut d'ailleurs comprendre le mot « fatal » au sens strict de « mortel ».
« Mais elle, poussée par sa mère, dit :
— Donne-moi ici sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » (Mt, 14,8)
Fatalement, Salomé est l'instrument de la haine coupable de sa mère Hérodiade. Incidemment, elle cause la mort de Jean-Baptiste.
Le mot « fatal » prend ainsi un sens tragique. Le fait que Salomé danse si bien est fatal à Jean. Salomé devient donc complice, elle ne peut réchapper à son destin : c’est par elle qu’advient le martyre du cousin de Jésus.
Pour finir en poésie, on vous laisse savourer le poème de Guillaume Apollinaire qui raconte l’histoire de Salomé et de la mort de Jean-Baptiste :
« Salomé
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin
Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid
Sire marchez devant trabans marchez derrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire »
Guillaume Apollinaire (1880-1918), Alcools, Paris, Gallimard NRF, 1913
On vous propose de suivre des cours aux Bernardins