Comment aborder la Révélation divine à partir du Cantique des Cantiques ? Réponse avec Franz Rosenzweig et un peu de philosophie !
« Elle court, elle court, la maladie d'amour »... Eh oui ! Sortie en 1973, cette célébrissime chanson de Michel Sardou reprend en fait une formule biblique et les paroles s’inspirent directement du magnifique poème amoureux qu’est le Cantique des Cantiques (*en Ct 5,8 : « Je suis malade d'amour ») !
Écrite avec l’aide du grand parolier français Yves Dessca, cette hymne à l’amour sublime la beauté, les merveilles mais aussi les déchirements que l’amour peut susciter :
« Elle fait chanter les hommes et s'agrandir le monde
Elle fait parfois souffrir tout le long d'une vie
Elle fait pleurer les femmes, elle fait crier dans l'ombre
Mais le plus douloureux, c'est quand on en guérit. »
La Bible… inspiration pour les plus grands chanteurs, jusqu’au cœur des musiques populaires ayant bercé des générations de francophones !
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Le Cantique des Cantiques est un poème en forme de dialogue entre deux amants. Interrogations et réponses alternent sur un rythme passionné, signifiant la puissance de l’amour.
— Je dors, mais mon cœur veille. C’est la voix de mon bien-aimé ! Il frappe.
— Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, mon immaculée ! Car ma tête est couverte de rosée, les boucles de mes cheveux sont trempées des gouttes de la nuit.
— J’ai ôté ma tunique, comment la remettre ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ? Mon bien-aimé a passé la main par le trou de la serrure et mes entrailles se sont émues sur lui. Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe exquise, sur la poignée du verrou. J’ouvre à mon bien-aimé ; mais mon bien-aimé avait disparu, il avait fui. J’étais hors de moi quand il me parlait. Je l’ai cherché et ne l’ai pas trouvé ; je l’ai appelé, il ne m’a pas répondu. [...] Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direz-vous ? Que je suis malade d’amour.
Franz Rosenzweig (1886-1929), philosophe juif allemand, est l’auteur d’une œuvre magistrale parue en 1921 : L’étoile de la Rédemption.
C’est à partir de cet ouvrage que nous vous offrons ici une interprétation singulière de ce poème biblique. En effet, Rosenzweig interprète le Cantique des Cantiques comme symbole de la révélation divine elle-même : il s'agit d'un dialogue.
Ce double basculement (le « tu » et le présent) signe l'avènement d'une relation personnelle entre Dieu et l'homme. Et pour appuyer son analyse, Rosenzweig montre tout simplement... que tout le poème est un dialogue !
La révélation n'est donc pas pour Rosenzweig la communication d'un ensemble d'informations sur Dieu, mais la naissance d'une relation entre Dieu et l'homme.
Or, le Cantique des Cantiques est un pur dialogue et raconte l'histoire au présent. Ces deux caractéristiques sont le fondement de la révélation :
Le discours du Cantique des Cantiques est donc tout entier porté par la subjectivité :
Il s'agit donc d'emblée de l'expression d'une perspective singulière – c'est-à-dire d’un horizon propre au sujet qui parle. On peut ainsi tirer l'analogie suivante :
Particulièrement inspiré par les Écritures, Paul Claudel a écrit une pièce de théâtre intitulée "Partage de midi". Ce drame en trois actes, écrit en 1905, contient un monologue, Le Cantique de Mesa, où le personnage principal s'adresse directement à Dieu et lui confie ses tourments amoureux. Ce passage s'inspire directement du poème biblique du "Cantique des Cantiques" :
« Et maintenant, sauvez-moi, mon Dieu, parce que c’est assez !
C’est Vous de nouveau, c’est moi ! Et Vous êtes mon Dieu et je sais que Vous savez tout.
Et je baise votre main paternelle, et me voici entre vos mains comme une pauvre chose sanglante et broyée !
Comme la canne sous le cylindre, comme le marc sous le madrier.
Et parce que j’étais un égoïste, c’est ainsi que vous me punissez
Par l’amour épouvantable d’un autre !
Ah ! je sais maintenant
Ce que c’est que l’amour ! et je sais ce que Vous avez enduré sur votre croix, dans ton Cœur,
Si vous avez aimé chacun de nous
Terriblement comme j’ai aimé cette femme, et le râle, et l’asphyxie, et l’étau ! »
Paul Claudel (1868-1955), Le partage de midi, Paris, Gallimard, 1972.