Découvrez le livre de l'Exode ! Pourquoi les Hébreux sont-ils réduits en esclavage en Egypte ? Quel est le lien entre l'Exode et la Genèse ?
Kazan. 30 juin 2018. Huitièmes de finale de la Coupe du monde de football. 56e minute du match. La France est menée 2-1 par l’Argentine… quand soudain surgit Benjamin, alias Benjamin « Second Poteau » Pavard.
Quoi de mieux que le plus beau but de la Coupe du Monde 2018 pour ouvrir ce numéro ?
Le lien avec la Bible, c’est le prénom du joueur coqueluche de cette édition : Benjamin. Dans la Bible, Benjamin est le fils de Rachel et Jacob, et c’est le petit dernier d’une très grande famille (12 fils et 1 fille !) — d’où l’expression courante « c’est le benjamin de la famille » pour désigner le dernier des enfants, le plus jeune, le minot.
Et cette famille, les descendants de Jacob, on la retrouve dès les premières lignes du Livre de l’Exode.
Ce passage est le premier chapitre du livre de l’Exode, c’est-à-dire le tout début du deuxième livre de la Bible, juste après les cinquante chapitres du Livre de la Genèse.
Voici les noms des fils d’Israël venus en Égypte avec Jacob ; ils étaient venus chacun avec sa maison : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issakar, Zabulon, Benjamin, Dan, Nephtali, Gad et Asher.
La totalité des âmes issues de la cuisse de Jacob fut de soixante-dix âmes. Et Joseph était déjà en Égypte. Joseph mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération-là.
Les fils d’Israël furent féconds, ils devinrent très nombreux, ils se multiplièrent et devinrent de plus en plus forts.
Or se leva un autre roi sur l’Égypte qui ne connaissait pas Joseph.
Et il dit à son peuple :
— Voici, le peuple des fils d’Israël est plus nombreux et plus fort que nous. Allons ! Montrons-nous sages envers lui, de peur qu’il ne devienne plus nombreux et qu’il n’advienne, si survient une guerre, qu’il se joigne lui aussi et combatte contre nous et monte du pays.
Et ils lui imposèrent des chefs de corvée pour l’humilier par des travaux forcés et il bâtit des villes pour Pharaon, [les] entrepôts de Pithôm et Ramsès.
Or plus ils l’humiliaient, plus [le peuple hébreu] se multipliait et s’accroissait. Et ils prirent en aversion les fils d’Israël.
Les Égyptiens asservirent les fils d’Israël avec dureté et ils leur rendaient la vie amère par de durs travaux : mortier, briques et tous travaux des champs, tous les travaux qu’ils leur imposèrent avec dureté.
Le roi d’Égypte parla aux sages-femmes des Hébreux dont la première se nommait Shifra et la deuxième Pouah. Il [leur] dit :
— Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux, et que vous les verrez sur les deux pierres [un siège d'accouchement] : si c’est un fils, faites-le mourir ; si c’est une fille, qu’elle vive !
Or les sages-femmes craignirent Dieu et elles ne firent pas comme leur avait dit le roi d’Égypte ; elles laissèrent vivre les garçons.
Le roi d’Égypte appela les sages-femmes et leur dit :
— Pourquoi avez-vous fait cette chose et laissé vivre les garçons ?
Les sages-femmes dirent à Pharaon :
— Les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Égyptiennes : elles sont vigoureuses, et avant que la sage-femme n’arrive auprès d’elles, elles ont accouché.
Et Dieu fit du bien aux sages-femmes et le peuple se multipliait et devint très puissant. Et voici, parce que les sages-femmes avaient craint Dieu, il leur fit des maisonnées.
Alors Pharaon ordonna à tout son peuple :
— Tout fils qui naîtra, jetez-le au fleuve ! Mais toute fille, laissez-la vivre !
Commençons par la base : à quel moment de l’histoire biblique se trouve ce passage ? Au tout début du livre de l’Exode.
En effet, le récit de l’Exode commence à partir de là où on l’a laissé à la fin du dernier chapitre de la Genèse. Autrement dit : on change de livre mais c’est juste la suite de la même histoire.
L’auteur énumère ainsi les noms des 12 fils de Jacob. Ceux-ci vivent en Égypte, pays d’accueil où ils ont rejoint leur frère Joseph tandis que sévissait une grande famine en Terre de Canaan.
« Voici les noms des fils d’Israël venus en Égypte avec Jacob ; ils étaient venus chacun avec sa maison : Ruben, Siméon, Lévi et Juda, Issakar, Zabulon et Benjamin, Dan et Nephtali, Gad et Asher. Et Joseph était déjà en Égypte. » (Ex 1, 1-5)
Au passage, saluons la popularité des prénoms des fils de Jacob… qui se retrouvent aujourd’hui portés par bien des célébrités, du footballeur portugais Ruben Dias au rugbyman néo-zélandais Dan Carter, en passant par Levi Strauss ou encore Gad Elmaleh.
Comme on vient de le voir, le premier chapitre de l’Exode fait d’emblée écho à la fin de la Genèse. Mais il fait également écho au premier chapitre de la Genèse :
« Puis Joseph mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération-là. Les fils d’Israël furent féconds, ils devinrent très nombreux, ils se multiplièrent et devinrent de plus en plus forts : tout le pays en était rempli. » (Ex 1, 6-7)
En reprenant la formule du premier récit de Création (lorsque Dieu s’adresse à l’homme et à la femme en leur disant : « Soyez féconds et multipliez-vous » en Gn 1,28), le texte de l’Exode suggère que le peuple hébreu est un modèle d’obéissance à Dieu :
À ce moment de la lecture, on est vite tenté de penser que tout va bien pour le peuple hébreu… Oui, mais voici qu’apparaît un nouveau personnage, avec qui Moïse aura fort à faire quelques chapitres plus loin — et qui ne se présente pas vraiment comme un bienfaiteur.
« Un nouveau roi vint au pouvoir en Égypte. Il n’avait pas connu Joseph. » (Ex 1,8)
Juste pour être bien au clair, on parle là de Joseph le fils de Jacob, petit-fils d’Isaac et arrière-petits-fils d’Abraham — rien à voir avec le charpentier de Nazareth.
Première alerte de mauvais augure : le texte de l’Exode précise donc que ce nouveau roi « n’avait pas connu Joseph », c’est-à-dire n’avait pas en mémoire tout le bien que Joseph avait fait à l’Égypte (en l’occurrence, sauver tout un peuple de la famine en constituant des réserves, conformément à ce que les songes de Pharaon laissaient entendre).
Et cette ignorance, ou cet oubli, constitue la porte d’entrée d’un mal qui va conduire jusqu’à l’esclavage des Hébreux.
Il y a quelques semaines, un ami nous a posé une question toute simple : « On rappelle toujours que l’Exode raconte comment les Hébreux ont quitté l’Égypte et comment Dieu les a libérés de l’esclavage… mais pourquoi sont-ils esclaves au départ ? » La réponse par le texte :
« Or se leva un autre roi sur l’Égypte qui ne connaissait pas Joseph. Et il dit à son peuple :
— Voici, le peuple des fils d’Israël est plus nombreux et plus fort que nous ; allons ! Montrons-nous sages envers lui, de peur qu’il ne devienne plus nombreux et qu’il n’advienne, si survient une guerre, qu’il se joigne lui aussi et combatte contre nous » (Ex 1, 8-9)
Oubliant ou ignorant le bien qu’a fait Joseph envers l’Égypte, et oubliant ou ignorant que les descendants de Jacob se sont justement installés en Égypte en remerciement des bienfaits de Joseph (Gn 47, 5-6), Pharaon voit ce peuple grandissant non pas comme un bienfait, mais comme une menace.
Et voilà comment Pharaon réduit le peuple hébreu en esclavage.
« Les Égyptiens imposèrent [au peuple hébreu] des chefs de corvée pour l’humilier par des travaux forcés. [...] Les Égyptiens asservirent les fils d’Israël avec dureté et ils leur rendaient la vie amère par de durs travaux. » (Ex 1, 11.13-14)
Tandis que le joug égyptien asservit les Hébreux, ceux-ci continuent de se multiplier. Pharaon demande alors aux sages-femmes du peuple hébreu de faire mourir les nouveaux-nés masculins. (*Cette effroyable mesure tyrannique sera d’ailleurs reprise par un autre despote, à la fin de la Bible… dans les évangiles, Hérode fait tuer tous les nouveaux-nés de Bethléem en apprenant la nouvelle de la naissance d’un roi qui lui ferait concurrence...)
Mais celles-ci refusent. En réaction, Pharaon va plus loin.
À bien lire ce texte, on relève une progression dans le mal :
Autant dire que c’est pas trop le moment pour les femmes d’Israël d’accoucher d'un garçon. Et pourtant… le chapitre qui suit est le récit d’une naissance …(Ex 2, 1-10)
Aujourd'hui, le mot de la fin prend la forme d'une ouverture inter-religieuse. Car, à sa façon, le récit des années d'esclavage endurées par le peuple hébreu en Égypte... se retrouve également dans le Coran.
« Nous vous avons délivrés des gens de Pharaon : ils vous infligeaient de graves tourments : ils égorgeaient vos fils et ils laissaient vivre vos filles. Ce fut, de la part de votre Seigneur, une terrible épreuve. »
Coran, Sourate 2, verset 49, Traduction Denise Masson, Paris, Gallimard, 1967