Dans quel contexte Jésus dit-il « Je suis le chemin, la vérité et la vie » ? Quel est le rapport avec les Psaumes ou avec les disciples d’Emmaüs ?
En 2020, le chanteur et bassiste finlandais de metal symphonique Marko Hietala compose et dévoile un morceau au titre complètement biblique : I am the Way (en VF : « Je suis le chemin »).
Oui, un titre complètement biblique puisqu’il reprend en fait les mots d’une célèbre phrase de Jésus.
Aujourd’hui, notre éclairage revient justement sur ce qu’on peut considérer comme l’une des plus célèbres punchlines de Jésus. Et pour cela, direction l’évangile de Jean !
Le passage qui suit correspond au dernier grand discours de Jésus avant sa Passion. Il fait suite à l’épisode du lavement des pieds. Dans ce dialogue, Jésus annonce déjà sa mort et sa résurrection à venir.
Que votre cœur ne se trouble pas, vous qui croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ?
Et si je pars, je vous préparerai une place, je reviendrai bientôt vous prendre auprès de moi afin que là où moi je suis, vous soyez aussi. Et là où je vais, vous [le] savez, et le chemin vous [le] savez.
Thomas lui dit :
— Seigneur, nous ne savons pas où tu vas : comment pouvons-nous savoir le chemin ?
Jésus lui dit :
— Moi je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l’avez vu.
Comme on l’expliquait dans le numéro de la semaine dernière en se penchant sur la figure de Thomas, ce passage est un modèle de scène d’incompréhension.
Jésus dit quelque chose (en l’occurrence, il annonce implicitement sa mort et sa résurrection à venir). Pourtant, les apôtres ne comprennent pas. Or, dans l’étonnement et la mésentente des paroles du Christ, la réaction de Thomas est plutôt bonne : il pose une question. Et quelle question !
C’est donc à l’occasion d’une question de Thomas que Jésus répond par la célèbre formule « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».
Comme souvent, lire une phrase dans son contexte nous éclaire et nous permet de mieux comprendre sa signification. Ici, la phrase intervient lors d’un discours de Jésus à ses apôtres, juste après le lavement des pieds et à quelques heures de sa Passion. Il s’agit donc d’une parole marquée par l’imminence de la mort du Christ, mais aussi par l’imminence de sa plus grande victoire — la Résurrection, victoire de la vie sur la mort.
Au cours de ce dialogue entre Jésus et Thomas, une triple question ressort nettement : où est Jésus, où va Jésus et comment le suivre ? Cette interrogation sur la présence de Jésus est d’ailleurs l’un des enjeux-clés de ce passage de l’évangile de Jean. Déjà, au chapitre précédent, Pierre interroge Jésus en des termes très proches :
« [Jésus dit à ses apôtres] D’ailleurs, petits enfants, c'est pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je l'ai dit aux Juifs : “où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi je le dis à présent. [...]
Simon-Pierre lui dit : “Seigneur, où vas-tu ?”
Jésus lui répondit : “Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; mais tu me suivras plus tard.” » (Jn 13, 31-36)
D’un chapitre à l’autre, les paroles de Jésus préfigurent l’imminence de la Passion, et le lecteur est complice de l’évangéliste Jean — qui insiste sur l’incompréhension des disciples devant les événements et paroles du Christ… qu’ils ne comprendront qu’après la Résurrection.
On l’a vu, la question du « chemin à suivre » se retrouve à maintes reprises dans les évangiles. Et dans l’Ancien Testament aussi !
En effet, dans les Psaumes, certains versets résonnent également comme des appels adressés à Dieu afin que celui-ci montre au croyant « le chemin » à suivre. On retrouve cela spécialement dans le Psaume 25, aux versets 5 et 6 :
« YHWH, fais-moi connaître tes chemins, enseigne-moi tes sentiers. Conduis-moi dans ta vérité et instruis-moi car tu es le Dieu de mon salut, tout le jour en toi j’espère. » (Ps 25, 5-6)
Mais aussi aux versets 9 à 11, toujours dans le Psaume 25 :
« YHWH est bon et droit, c’est pourquoi il indique le chemin aux pécheurs. Il fait marcher les humbles dans la justice, il enseigne aux humbles sa voie. Tous les sentiers de YHWH sont miséricorde et fidélité pour ceux qui gardent son alliance et ses commandements. » (Ps 25, 9-11)
Ainsi, pour les lecteurs juifs familiers des Écritures (comme l’est le Christ lui-même — lui qui récite les Psaumes), ces versets trouvent un écho et une profondeur nouvelle. En effet, les paroles du Christ résonnent dans un terreau juif qui est déjà familier avec la métaphore du Chemin, mais qui est encore complètement étranger à la révolution ici opérée : le chemin est une personne, Jésus est le chemin.
Finalement, ces petits parallèles entre l’Ancien et le Nouveau Testament, qui tous deux emploient les mêmes images, indiquent à la fois :
Cette célèbre formule du Christ est l’une des plus révolutionnaires des évangiles. Philosophiquement, il s’agit d’un renversement complet. Penchons-nous rapidement sur les 4 termes de cette phrases :
Pour conclure, notons que les 3 termes « chemin », « vérité » et « vie » doivent précisément tenir ensemble, car ils s’éclairent et s’illuminent les uns les autres.
Ainsi, pour les croyants, Jésus est le chemin — et ce chemin est vérité — et cette vérité donne la vie. De même, la vie qui est la vérité devient le chemin à suivre. Bref, vous l’avez compris, chaque membre de cette phrase ne doit pas être entendu de manière isolée mais doit au contraire résonner de concert avec les 2 autres.
Finalement, la question de saint Thomas est l’occasion d’une réponse de Jésus devenue particulièrement célèbre dans la tradition chrétienne. L’Académicienne Florence Delay nous offre à cet égard une parfaite conclusion :
« “Ceux du chemin”, ainsi désignait-on les premiers chrétiens — leur Seigneur ayant dit : « Je suis le chemin ». Il est même allé plus loin. La veille de sa mort, lors du dernier repas avec les siens (après que Judas eut quitté la salle pour avertir les gardes qui procèderaient à l’arrestation pendant la nuit) il a dit : « Pour aller où je vais, vous savez le chemin » À quoi Thomas, avec le bon sens qu’on lui connaît, a rétorqué : « Nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » C’est alors qu’a eu lieu la fameuse déclaration : Je suis le chemin, la vérité, la vie », mots assez forts pour se passer de majuscules. Après sa mort, en chemin le rencontrent les pèlerins d’Emmaüs, en chemin le rencontre Paul. »
Florence Delay, Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas, Paris, Seuil, 2022, p. 51