Découvrez le testament spirituel de l’Ecclésiaste ! Que signifie « s’en aller vers la maison d’éternité » ?
Dans l'excellent morceau Tandem écrit par les rappeurs toulousains Bigflo & Oli, le frère aîné chante : « Peu importe la direction du vent quand on sera poussière ».
Tout PRIXM qu’on est, on n’a pas pu laisser passer ça ! Car il s’inspire en fait d’un thème courant… issu de la Bible ! Très exactement, il s’agit d’une ref au Livre de la Genèse : « Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras » (Gn 3, 19).
Or, ce verset a peut-être inspiré un autre auteur de la Bible… un certain Qohélet. Découvrons cela, texte et éclairage à l’appui !
Ce passage est l’épilogue du Livre de Qohélet, c’est-à-dire le dénouement qui résume et conclut ce livre. Le narrateur parle à la manière d’un père qui livre son testament spirituel à son fils.
Et, aux jours de ton adolescence, souviens-toi de ton créateur avant que ne viennent les jours de malheur et que n’arrivent les années dont tu diras : je n’y ai point de plaisir.
Avant que ne s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que ne reviennent les nuages après la pluie ;
et que s’obscurcissent celles qui regardent aux fenêtres,
et que les deux battants de la porte se ferment sur la rue,
car l’homme s’en va vers sa maison d’éternité, et les pleureurs tournent dans la rue.
Avant que ne se rompe le cordon d’argent,
que se brise l’ampoule d’or,
que la cruche se casse à la fontaine,
que la poulie se fracasse dans la citerne ;
et que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était ;
et que le souffle retourne à Dieu qui l’a donné.
Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, tout est vanité.
Outre que l’Ecclésiaste fut un sage, il a encore enseigné la science au peuple il a pesé et sondé, et il a disposé un grand nombre de sentences. L’Ecclésiaste s’est étudié à trouver une parole agréable et à écrire avec exactitude des paroles de vérité. Les paroles des sages sont comme des aiguillons ; et leurs recueils comme des clous plantés elles sont données par un seul pasteur.
Et quant à plus de paroles que celles-ci, mon fils, sois averti. Multiplier les livres n’aurait pas de fin et beaucoup d’étude est une fatigue pour la chair.
Fin du discours, le tout [est] entendu :
Crains Dieu et observe ses commandements,
car c’est là tout l’homme.
Car Dieu citera en un jugement portant sur tout ce qui est caché, toute œuvre, soit bonne, soit mauvaise.
Ce poème décrit la douloureuse vieillesse et la mort qui s’ensuit. Qohélet rappelle une évidence commune, sévère mais implacable : la vieillesse n’a qu’une seule issue — la tombe.
Bon, il le dit quand même de manière hautement plus raffinée et poétique :
« oui, l’être humain s’en va vers sa maison d’éternité » (Qo 12, 5b)
Illustrée par l’image de la « maison d’éternité », la durabilité de la mort s’oppose ainsi au caractère précaire de la vie que Qohélet décrit tout au long de son livre. Autrement dit : l’être humain n’a qu’une seule tombe, et ce, pour toujours.
Au long du verset qui suit directement l’évocation de la « maison d’éternité », Qohélet parle de la mort en convoquant tout un attirail de verbes de destruction :
« Avant que ne se rompe le cordon d’argent,
que se brise l’ampoule d’or,
que la cruche se casse à la fontaine,
que la poulie se fracasse dans la citerne » (Qo 12, 6)
Détail important : aucun des objets mentionnés n’est détruit par une personne. C’est une façon poétique de dire que lorsque la mort arrive, elle arrive de manière impersonnelle, inéluctable et naturelle.
« [avant] que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était ;
et que le souffle retourne à Dieu qui l’a donné. » (Qo 12, 7)
Dans ce dernier verset, Qohélet ne fait plus appel aux métaphores mais à la tradition biblique. La mort est ici décrite comme un double mouvement de retour :
Ce dernier chapitre de Qohélet est très surprenant. Il opère plusieurs micro-changements très significatifs. En effet, les 7 premiers versets forment 1 seule et même phrase qui s’articule autour d’un impératif inédit :
« Souviens-toi de ton Créateur » (Qo 12, 1)
Tandis que l’ensemble du livre de Qohélet n’évoque que rarement Dieu, voilà que se glisse une nouveauté colossale !
Pour paraphraser Qohélet, on dirait aujourd’hui : n’attends pas tes vieux jours et la mort qui approche pour penser à celui qui te donne la vie et recueille ton souffle.
Enfin, l’épilogue conclut ce livre en une phrase laconique, que certains biblistes prennent pour un ajout. Au passage, remarquons que le livre ne finit donc pas sur la mort. Il évoque une perspective différente :
« Pour conclure ces paroles, et tout bien considéré, crains Dieu et observe ses commandements. Tout est là pour l’homme. » (Qo 12, 13)
Le livre de Qohélet est un poème complexe et éminemment philosophique. Mais Qohélet n’est pas le tout de la sagesse d’Israël (qui compte par exemple les livres de la Sagesse ou du Siracide, bien moins ironiques et provocants que Qohélet). Pour le dire de manière analogique, Qohélet peut être considéré comme le « samedi saint » de la sagesse. On s’explique.
Le samedi saint est ce jour après la mort de Jésus et avant sa Résurrection. Le temps est suspendu, l’inéluctabilité de la mort est sous nos yeux, mais l’événement de la Résurrection n’a pas encore eu lieu…
Qohélet est donc comme le samedi saint de la sagesse, lorsqu’elle a été dépouillée de ses prétentions, butte sur la mort et doit tout attendre d’un acte de Dieu.
On remercie plus que chaleureusement Édouard qui a très largement inspiré l’éclairage d’aujourd’hui : il est un frère pour nous !
Le livre de l'Ecclésiaste a inspiré de nombreux poètes européens. Entre autres, voici un poème de Leconte de Lisle pour conclure notre numéro du jour :
« L’Ecclésiaste a dit : Un chien vivant vaut mieux
Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.
Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d’un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d’ivoire.
Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,
L’irrévocable mort est un mensonge aussi.
Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle !
Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,
Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,
Le long rugissement de la Vie éternelle. »
Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894), « L'Ecclésiaste », Poèmes barbares, 1900