Découvrez l'origine des vanités dans la Bible ! Qu'est-ce que les livres de la sagesse ? Que dit Qohélet ?
Le guitariste et compositeur Pete Townshend, membre du mythique groupe de rock The Who, a également mené un carrière individuelle. En 1980, dans son morceau Empty glass, il écrit :
"Why was I born today? Life is useless like Ecclesiastes say"
Traduction : « Pourquoi suis-je né aujourd'hui ? La vie est vaine comme le dit l'Ecclésiaste »
De quoi parle-t-il au juste ? Et qui est l’Ecclésiaste ? Voilà les questions que l'on se pose aujourd’hui, et auxquelles on répond en allant relire directement la source de cette référence. Direction la Bible, première partie, Ancien Testament.
Le Livre de Qohélet (également appelé « Livre de l’Ecclésiaste ») appartient aux corpus des livres de « sagesse » qui abordent de nombreuses questions philosophiques. Dans ce passage, l’auteur mêle plusieurs genres littéraires : proverbes, contes philosophiques, introspections sur sa vie passée, aphorismes…
« J’ai rendu grandes mes œuvres, j’ai bâti pour moi des maisons, j’ai planté pour moi des vignes. Je me fis des jardins et des vergers et j’y plantai des arbres à fruit de toute espèce. Je me fis des réservoirs d’eau pour arroser une forêt où poussent les arbres. J’ai acquis des esclaves et des servantes ; les enfants de la maisonnée, ils étaient pour moi. [J’ai aussi acquis] du gros bétail et du petit bétail en abondance. [...]
J’ai aussi amassé pour moi argent et or, et un trésor de rois et de provinces. J’ai eu pour moi des chanteurs et des chanteuses et les délices des fils de l’être humain : une dame et des dames. Je suis devenu grand et j’ai surpassé tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem. Même ma sagesse se tenait [là] pour moi.
Et tout ce que demandaient mes yeux, je ne leur ai pas refusés ; je n’ai privé mon cœur d’aucune jouissance. Oui, mon cœur a joui de toute ma peine et cela a été mon lot de toute ma peine. Alors, je me suis tourné, moi, vers toutes les œuvres qu’ont faites mes mains et vers la peine que j’ai peiné à faire. Et voici le tout : vanité et poursuite de vent ! Et il n’y a aucun profit sous le soleil ! »
Dans la Bible, le livre de Qohélet appartient à ce qu'on appelle « la littérature sapientielle ». L’adjectif « sapientiel » est dérivé du latin « sapientia » qui signifie tout simplement la sagesse.
Cette entrée en matière nous offre d'ailleurs l'occasion de faire un petit point sur le corpus des différents livres de l’Ancien Testament.
Les livres de sagesse sont universels et an-historiques. Il ne s’agit pas de récit, il n’y a pas de personnages historiques. Au contraire, les auteurs cherchent précisément à donner à leurs écrits une portée universelle, qui puisse embrasser toutes les époques.
Dans la Bible, la forme poétique est un véhicule essentiel de la littérature de sagesse, parce que c’est un excellent moyen de mémorisation. En ce sens, les formules bien forgées (ou comme on dit aujourd’hui, les punchlines bien senties) sont un bon exemple, de même que les nombreuses répétitions. En outre, la poésie ouvre des mondes. Au-delà des formules, elle donne à penser.
En l’occurrence, une formule se détache particulièrement sous la plume de Qohélet, revenant à maintes reprises au cours des 12 chapitres :
« Tout est vanité et poursuite du vent »
*On se penchera en détail sur cet adage dans le numéro de la semaine prochaine, mais retenez déjà qu'elle a inspiré les peintres depuis des siècles, à travers le thème des vanités — à l'image de ce crâne de Peter Claesz !
Qohélet, comme Job, est un auteur tourmenté par la question du non-sens de la vie, et marqué par la lucidité face à l’horizon qui attend tous les vivants : la mort.
Pour reformuler ce chapitre, on pourrait soutenir ceci : Que reste-t-il d’un homme après un passage sur terre ? Un tas de poussière.
Cette froide et abrupte conscience de la mort est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du style de Qohélet, qui ne manque pas de rappeler les évidences : chacun d’entre nous se dirige vers la mort. Dit à sa façon : le sage et le fou ont le même destin – mourir.
« Le sage a ses yeux à la tête et l’insensé marche dans les ténèbres. Cependant, je sais aussi, moi, qu’un destin unique se destine à eux tous. Et j’ai aussi reconnu qu’un même sort les atteindra tous deux, et j’ai dit dans mon cœur : le même sort que celui de l’insensé m’atteindra moi aussi, à quoi bon donc toute ma sagesse ? Et j’ai dit dans mon cœur que cela encore est une vanité. » (Qo 2, 14-15)
En fait, la parole de Qohélet, partie intégrante des Bibles juives et chrétiennes, présente la sagesse du monde – avant ou pendant sa rencontre avec la sagesse de Dieu. En ce sens, ces adages et formules de sagesse parfois simples ou détonantes y ont bien toute leur place.
La question du genre littéraire de Qohélet est très débattue et anime les chercheurs depuis des siècles. Pour sa part, Arthur Schopenhauer avance que le Livre de Qohélet, tout en faisant partie du canon biblique, se trouve à l’intersection de la révélation biblique et de la philosophie grecque : .
« Qohélet encore juif, mais déjà tellement philosophe »
Arthur Schopenhauer (1788-1860), Le monde comme volonté et comme représentation, Paris : Gallimard, 2009, p. 2142