Que symbolise le miracle de la marche sur l’eau ? Quel parallèle peut-on établir entre Jésus marchant sur l’eau et Moïse traversant la mer Rouge ?
On ne se lasse pas de le montrer chaque semaine : que ce soit Jean-Sébastien Bach ou Bob Marley, la Bible peut inspirer les artistes de tous les styles et de toutes les époques !
Sorti en 2017, le titre Walk on Water réunit Beyoncé et Eminem autour d’une référence à l’évangile. De quoi parle-t-on ? Tout simplement de l’épisode où Jésus marche sur l’eau.
Beyoncé ouvre le morceau par ces mots :
I walk on water / But I ain't no JesusI walk on water / But only when it freezes
Je marche sur l'eau / Mais je ne suis pas JésusJe marche sur l'eau / Mais seulement quand elle gèle
Et dans le final, elle conclut :
'Cause I'm only human, just like you
Car je ne suis qu’un être humain, tout comme toi
En fait, Beyoncé et Eminem font une très belle lecture de ce passage de l’Évangile, où il est question de la divinité de Jésus. On vous en dit plus dans l’éclairage !
Dans l’évangile de Matthieu, l’épisode de la marche sur les eaux intervient au cours de la vie publique de Jésus et fait suite à la première multiplication des pains.
Aussitôt, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive jusqu’à ce qu’il ait renvoyé les foules. Ayant renvoyé les foules il monta dans la montagne à l’écart pour prier.
Le soir étant venu, il était là seul. La barque était déjà au milieu de la mer tourmentée par les vagues. Le vent en effet était contraire. À la quatrième veille de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer et les disciples, en le voyant marcher sur la mer, furent troublés et dirent :
— C’est un fantôme !
Et, de peur, ils crièrent et aussitôt Jésus leur parla en disant :
— Courage, moi je suis, ne craignez pas.
Pierre lui répondant dit :
— Seigneur, si toi tu es, ordonne que je vienne vers toi sur les eaux.
Et il dit :
— Viens !
Et descendant de la barque, Pierre marchait sur les eaux et vint vers Jésus. Mais voyant le vent, il prit peur et comme il commençait à couler, il s’écria disant :
— Seigneur, sauve-moi !
Et aussitôt Jésus étendant la main le saisit et lui dit :
— Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?
Et comme ils montaient dans la barque le vent cessa. Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant lui en disant :
— Vraiment tu es Fils de Dieu.
En fait, pour bien lire ce passage de l’Évangile, il faut considérer l’arrière-fond vétérotestamentaire de ce passage. Autrement dit, il faut déceler les symboles de l’Ancien Testament qui permettent de mieux comprendre le sens de ce miracle.
Penchons-nous sur la géographie de l’événement : la scène se déroule en deux lieux dignes des meilleurs spots de vacances : la montagne et la mer. Et chaque lieu est symboliquement très chargé.
« Aussitôt, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive jusqu’à ce qu’il ait renvoyé les foules. Ayant renvoyé les foules il monta dans la montagne à l’écart pour prier. » (Mt 14, 22-23)
La mention de Jésus gravissant la montagne fait écho à l’ascension de la montagne du Sinaï par Moïse pour aller y recevoir les Tables de la Loi.
« Moïse monta vers la montagne de Dieu. » (Ex 19,3)
Cette référence à la montagne de Moïse est d’ailleurs plutôt inquiétante :
L’idée que l'envoyé de Dieu laisse seul son peuple revient donc comme trame de fond de la scène, dans le passage de l’Exode comme dans ce passage de l’évangile de Matthieu.
Pour un lecteur baigné de culture biblique, la marche sur les eaux de Jésus peut faire écho à l’Exode des Hébreux – autre épisode où Moïse tient un rôle-clé. La mer déchaînée est le symbole de la mort, du danger, de l'incontrôlable.
Ainsi, la marche sur les eaux a été interprétée par les Pères de l’Église comme un symbole du pouvoir de Jésus sur la mort, sorte d’annonce métaphorique de sa résurrection.
Ce miracle de Jésus rappelle en effet la voie miraculeuse que Dieu a ouverte pour son peuple afin de lui faire traverser la mer Rouge, comme le rappellent les Psaumes et le Livre d’Isaïe :
« Dans la mer fut ton chemin et tes sentiers dans les grandes eaux et tes traces ne furent pas connues. Tu as conduit ton peuple comme un troupeau par la main de Moïse et d’Aaron. » (Ps 77,20-21)
« Ainsi parle le Seigneur, lui qui procura en pleine mer un chemin, un sentier au cœur des eaux déchaînées » (Is 43,16)
Et, de peur, ils crièrent et aussitôt Jésus leur parla en disant :
— Courage, moi je suis, ne craignez pas. (Mt 14, 26-27)
La formule par laquelle Jésus s’introduit auprès des disciples est celle par laquelle Dieu se désigne lui-même dans l’Ancien Testament. Il dit exactement Egô eimi, « moi je suis » – or cette formule n’est autre que le nom divin révélé à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14).
Jésus est donc plus que Moïse : il est Dieu lui-même, qui fait marcher sur les eaux.
La marche sur les eaux rappelle plusieurs éléments d’un autre miracle réalisé au même endroit, au Lac de Tibériade, lors de la tempête apaisée (Mc 4, 35-41).
Les deux épisodes culminent dans la question de l’identité de Jésus. Et c’est effectivement l’intrigue centrale qui motive ces miracles : qui est cet homme ? La reconnaissance de l’identité de Jésus marque d’ailleurs une étape importante dans l'itinéraire des disciples.
Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant lui en disant :
— Vraiment tu es Fils de Dieu. (Mt 14,33)
Au cours de cette scène, enfin, l’intervention singulière de Pierre ajoute à la dramatique générale.
On conclut ce numéro avec la lecture d’Origène, théologien et exégète du 3e siècle après Jésus-Christ.
« Mais nous, si, un jour, nous sommes aux prises avec des tentations inévitables, souvenons-nous que Jésus nous a obligés à nous embarquer et qu'il veut que nous le précédions sur l'autre rive. Et lorsque nous le verrons nous apparaître, nous serons saisis de trouble jusqu'au moment où nous comprendrons clairement que c'est le Sauveur qui s'est exilé parmi nous et, croyant encore voir un fantôme, remplis de crainte nous crierons ; mais lui nous parlera aussitôt et nous dira : 'Ayez confiance, moi je suis, n'ayez pas peur !' À ces mots rassurants, peut-être se trouvera-t-il parmi nous, animé d'une plus grande ardeur, un Pierre, en marche vers la perfection. »
Origène (185-251), Commentaire sur l'évangile selon Matthieu, trad. Robert Girord (SC 162) tome 1 (Livres 10 et 11), Paris : Cerf, 1970