Le Déluge et l'arche de Noé : tout est sous l'eau ?

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L'histoire biblique du Déluge et de l'arche de Noé dit-elle quelque chose de scientifiquement valable ? Comment interpréter ce récit ?

4 minutes et 38 secondes avec Victor Hugo, Ricky Gervais, Léonard de Vinci et un sentiment de violence
Dernière mise à jour -  
19/11/2024

Quand on prend le texte du Déluge au pied de la lettre, c'est sûr, ça prête à rire

Ricky Gervais, humoriste anglais, athée très fameux et irrévérencieux, a fait de nombreux sketchs sur les textes bibliques.

Bien qu’on les trouve de mauvaise foi, quelque peu irrespectueux, on rigole souvent et on y trouve parfois quelques interprétations intéressantes du texte biblique – et, sympa, on essaye d’oublier le nombre d’erreurs objectives qu’il fait au passage.

L’un de ses sketchs les plus célèbres porte sur le déluge dont nous vous parlons aujourd’hui. Mais on est tombé sur cet échange TV avec Stephen Colbert – surréaliste pour un Français sur The Late Show qui intéressera sûrement tous les anglophones parmi vous.

Le texte biblique qui raconte l'histoire de l'arche de Noé et du Déluge annoncé par Dieu

Noé est un descendant d’Adam et Ève, neuf générations après. Mais entre Adam et Noé, « la terre s'est remplie de violence » (Genèse 6, 11) et YHWH décide alors d’envoyer un déluge.

YHWH vit que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre et que tous les desseins de leur cœur se portaient seulement vers le mal tout le jour.

YHWH se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il fut affligé en son cœur.

Et YHWH dit : « J’exterminerai de la surface de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu'à la bête domestique, jusqu'au reptile et jusqu'à l'oiseau des cieux car je me repens de les avoir faits. »

Mais Noé trouva grâce aux yeux de YHWH. […]

C'est avec Dieu que marchait Noé. […]

Alors Dieu dit à Noé : « La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre est pleine de violence à cause d’eux ; je vais les détruire, avec la terre. […]

Tout ce qui est sur la terre périra.

Et j'établirai mon alliance avec toi et tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi.

De tout ce qui vit, de toute chair, tu feras entrer dans l’arche deux de chaque espèce, pour les conserver en vie avec toi ; ce sera un mâle et une femelle. […]

Et ainsi fit-il. Noé fit selon tout ce que Dieu lui avait ordonné.

Chapitre 6, versets 5 à 22 du Livre de la Genèse, dans l'Ancien Testament. Traduit de l'hébreu par les équipes de notre programme de recherches La Bible en ses traditions.

Le Déluge et l'arche de Noé dans la Bible

Le Déluge inondation pluie Noé Léonard de Vinci
Léonard de Vinci (1452-1519), Le déluge (dessin sur papier au stylo et encre noire, 1517-1518), Collection royale, Royaume-Uni. Domaine public. 

Ce n'est pas de l'histoire, mais une histoire

Ce texte n'a pas de prétention historique au sens où nous comprenons le terme historique dans notre culture. Non, l’Écriture ne fait pas ici un récit historique comme certains historiens racontent la bataille de Verdun.

Ce texte reflète une tradition culturelle qui véhicule des conceptions philosophiques et théologiques sous la forme d'une histoire, d'un mythe. Grâce à de très anciens manuscrits, on sait que la tradition du déluge existait dans le tout le Proche-Orient ancien : c’est le cas, par exemple, des tablettes écrites en caractères cunéiformes qui racontent l’épopée babylonienne de Gilgamesh.

Le Déluge inondation bleu noir Noé Adi Holzer
Adi Holzer (1936 - ), Le déluge (sérigraphie, 1975), Collection privée. Domaine public.

Que nous dit le texte biblique sur le récit du Déluge ?

  • Les hommes peuplent la terre, ok, mais, dans la lignée d’Adam et Ève, premiers à connaître le péché, ils se laissent aller à la corruption de leur cœur. Ils s’éloignent de Dieu et sont remplis de violence. Et comme :
« YHWH vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre » (Gn 6,5)
  • YHWH en est attristé et irrité : Dieu n’a pas créé l’homme pour qu’il soit un être incapable d'amour.
  • Du coup, nouveau plan : on recommence. Le fameux bouton Reset [« on efface tout »], c’est le déluge.

L'histoire de l'arche de Noé et l'expression populaire « c'est le déluge »

Accessoirement, l’événement du déluge a largement marqué notre vocabulaire... puisque vous n’hésitez pas, dès qu’il pleut un peu, à dire : « oh là là, c’est le déluge ».

homme capuche cheval déluge Gandalf pluie eau

Comparaison du texte biblique avec les tablettes de Gilgamesh

Déjà, répondons à la question, c’est quoi ces tablettes de l'épopée babylonienne de Gilgamesh ?

Ces tablettes, découvertes au 19ᵉ siècle, sont en argile. Rédigées en akkadien (une très vieille langue que certains frères de l’École Biblique de Jérusalem déchiffrent encore, true story), elles forment l'une des plus vieilles œuvres littéraires de l'humanité que nous connaissions aujourd’hui.

tablette récit Déluge transmission
Épopée de Gilgamesh, tablette n°11 dite du Déluge (tablette en argile, 7ᵉ siècle avant Jésus-Christ), British Museum, Londres, Royaume-Uni.

Le motif littéraire de la dé-création

Or, ces tablettes contiennent un récit du déluge, que les auteurs bibliques connaissent très certainement, puisque les points communs sont nombreux :

  • Des dieux (on est dans un récit polythéiste) sont fatigués par une humanité jugée trop bruyante.
  • Ils décident de s’en débarrasser en ouvrant les vannes : un déluge va submerger ces fauteurs de trouble.
  • Un des dieux prévient néanmoins un humain de ses amis et l’exhorte à construire une arche…
  • Le gars s’en sortira finalement, tout comme Noé.
George Frederic Watts (1817-1904), Après le déluge (huile sur toile, 1886), Watts Gallery, Royaume-Uni. Domaine public.

Il n'y a pas de raison d'être choqué

Si le lecteur contemporain peut être choqué par la violence du texte biblique, on peut faire l’hypothèse que ce n’est pas le cas du lecteur antique. Pourquoi ? Car ces traditions du déluge traversent les cultures antiques et forment une espèce de lieu commun.

Comme nous le disions tout à l’heure, il ne s’agit pas pour la Bible de présenter un événement historique ou un Dieu méchant. Mais bien de reprendre un motif bien connu de ses lecteurs pour donner une perspective originale.

Le Déluge inondation gris mer cadavres Léon-François Comerre
Léon-François Comerre (1850-1916), Le déluge (huile sur toile, 1911), Musée des Beaux-arts de Nantes, Nantes, France. Domaine public.

Alors, en quoi le récit biblique du déluge est-il original ?

  • Il n'y a pas plusieurs dieux, des dieux méchants et des dieux amis, mais un seul et unique Dieu. Si, pour le lecteur contemporain, c'est un acquis, ce n'était pas le cas à l'époque, et l'on peut admettre que c'est un enjeu de taille. Passer d'une vision polythéiste à une vision monothéiste, ça change pas mal la donne.
  • C’est un Dieu qui a autorité sur toute la Création et qui ne lui est pas soumis.
  • Ce Dieu n’est pas un dieu capricieux, c’est un Dieu qui agit selon des principes moraux, selon le bien ou le mal.
  • Ce Dieu n’est pas un dieu lointain, c'est un Dieu qui veut faire alliance. C’est tout le sens de ce texte qui introduit dans le récit biblique une notion qui va traverser tout le corpus : Dieu aime l’homme et il veut créer une alliance qui ne passera pas.
Gustave Doré (1832-1883), Le déluge (gravure, 1866), Illustration dans La Sainte Bible contenant l'Ancien et le Nouveau Testament. Domaine public.

Une petite leçon au passage

Parfois, on peut prendre les textes bibliques tels quels et être saisi par leurs violences, par un aspect apparemment primaire. Il n’en est rien. Les textes bibliques ne sont pas des petits mythes de tribus arriérées véhiculant l’image d’un Dieu dont elles auraient une conception dépassée. Ce sont des textes riches, denses qui méritent tout notre intérêt.

Si parfois, nous sommes pris de ce sentiment (ce texte est vraiment archaïque ou insupportable), c’est certainement qu’il nous manque des clés pour les éclairer. Il faut simplement patienter avant de les obtenir pour entendre ce que cette Parole a à nous dire. Une des clés pour bien lire ce récit biblique du Déluge, c'est de connaître ces tablettes en argile.

Le mot de la fin

Un tel motif littéraire n’a pas manqué de fasciner les peintres et les auteurs. Victor Hugo dépeint ainsi le tableau difficile du Déluge. En lisant le dernier vers du poème qui suit, gardons en tête le tableau de Baldung ci-dessus, on comprendra pourquoi.

« Tout avait disparu. L’onde montait sur l’onde.
Dieu lisait dans son livre et tout était détruit.
Dans le ciel par moments on entendait le bruit
Que font en se tournant les pages d’un registre.
L’abîme seul savait, dans sa brume sinistre,
Ce qu’étaient devenus l’homme, les voix, les monts. [...]
On avait quelque temps distingué des maisons,
Des villes, des palais difformes, des fantômes
De temples dont les flots faisaient trembler les dômes ;
Puis l’angle des frontons et la blancheur des fûts
S’étaient mêlés au fond de l’onde aux plis confus ;
Tout s’était effacé dans l’horreur de l’eau sombre.
Le gouffre d’eau montait sous une voûte d’ombre ;
Par moments, sous la grêle, au loin, on pouvait voir
Sur le blême horizon passer un coffre noir ;
On eût dit qu’un cercueil flottait dans cette tombe. »

Hans Baldung (1484-1545), Le Déluge (1516), Nouvelle résidence de Bamberg, Allemagne.

Victor Hugo, « La Première page », La Fin de Satan, J. Hetzel & G-A. Quantin, Paris, 1886

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