Du parfum de la tête aux pieds : qui est cette femme ?

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Qui est la femme du récit de l’onction à Béthanie ? Pourquoi Marie-Madeleine est-elle davantage une figure qu’un personnage ?

3 minutes et 46 secondes avec Julie Pietri, Titien, Simon Vouet, Jean Béraud et Artemisia Gentileschi
Dernière mise à jour -  
21/11/2024

Julie Pietri et Marie-Madeleine

Le personnage de Marie-Madeleine a inspiré une kyrielle d'artistes depuis des décennies ! Julie Pietri fait partie de ceux-là et a même consacré un morceau inédit intitulé Magdalena en 1980 !

Marie-Madeleine apparaît à de nombreux moments dans les évangiles, notamment dans la scène que nous lisons aujourd’hui : le récit de l’onction à Béthanie dans l’évangile de Jean.

Le récit de l’onction à Béthanie dans l’évangile de Marc

Cette scène de l’évangile de Marc raconte un épisode similaire aux évangiles de Matthieu et Jean (évoquant une « onction à Béthanie »). Elle est également proche d'un épisode de l'évangile de Luc (duquel vient l'expression « Pleurer comme une Madeleine »). Pourtant, si cet épisode ressemble à d'autres, il n'est pas identique !

Et comme [Jésus] était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux, allongé [à table], vint une femme ayant un alabastre [plein] d’une huile parfumée de pur nard de grand prix. Ayant brisé l’alabastre, elle le lui répandit sur la tête. 

Or, il y en avait qui s’indignaient entre eux et disaient :
— À quoi bon cette perte de l’huile parfumée ? Car il était possible, cette huile, de la vendre pour plus de trois cents deniers et de donner aux pauvres. 

Et ils la rabrouaient.

Or, Jésus dit :
— Laissez-la. Pourquoi lui causez-vous ce trouble ? C’est une belle œuvre qu’elle a faite envers moi. Car les pauvres, vous les avez toujours avec vous et dès que vous voulez vous pouvez leur faire du bien mais moi, vous ne m’avez pas toujours. Ce qu’elle a pu, elle l’a fait : elle a d’avance parfumé mon corps pour la sépulture. Amen, je vous dis : « Partout où sera annoncé cet Évangile, au monde entier ce qu’elle a fait sera redit en mémoire d’elle. »

Évangile selon saint Marc, chapitre 14, versets 3 à 9. Traduit du grec par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Une seule femme et une seule onction, vraiment ?

Francesco Bianchi Buonavita (1593-1658), Marie-Madeleine la Myrophore (vers 1600, huile sur toile, 34 x 25 cm), Benjamin Proust Fine Art Limited, Londres (Angleterre). Domaine public.

Mais qui donc est cette femme ?

Le personnage de la femme qui parfume Jésus dans cet épisode est très discuté chez les exégètes.

  • Dans l’évangile de Jean, elle est bien nommée : il s’agit de Marie, la sœur de Marthe et de Lazare (Jn 12, 1-13)
     
  • Dans les évangiles synoptiques, on se contente d’évoquer « une femme » (Mt 26, 1-16 ; Mc 14, 3-9 ; Lc 7, 36-50)

Par contagion et mélange avec différents passages dans les autres évangiles, la tradition chrétienne a historiquement assimilé ce personnage à Marie-Madeleine. Mais d'où vient cette tradition qui en fait une seule et même femme ?

En fait, cela remonte au VIe siècle. Le pape Grégoire Ier fit de 3 personnages des évangiles 1 seule et même figure, en regroupant sous le nom de Marie-Madeleine, à la fois :

  • Marie de Magdala
  • Marie de Béthanie 
  • et la pécheresse qui oint le Christ de parfum chez Luc

Cette interprétation n'est pas canonique, même si la tradition populaire l'a fortement propagée, au point que les artistes nomment « Marie-Madeleine » leurs tableaux représentant aussi bien Marie de Béthanie que la femme pécheresse de l'évangile de Luc (passée à la postérité via l'expression « pleurer comme une Madeleine »)...

Titien (1490-1576), La Madeleine pénitente (vers 1560, huile sur toile, 107 x 93 cm), Getty Center, Los Angeles (États-Unis). Domaine public.

Trois femmes réunies en une seule figure

En fait, une identification par rapprochement s’est très tôt établie entre :

  • d’une part, cette femme présente à Béthanie dans les évangiles de Marc (Mc 14, 3-9), Matthieu (Mt 26, 1-16) et Jean (Jn 12, 1-13) ;
     
  • d’autre part, la pécheresse dont parle l’évangile de Luc dans une scène différente (Lc 7,37-50) ;
     
  • mais également avec Marie de Magdala, la femme exorcisée par le Christ (Mc 16,9 ; Lc 8,2) et première personne témoin de la Résurrection (Mt 28,1-2 ; Mc 16,1.9 ; Lc 24,1-10 ; Jn 20,1-18)

Pourtant, rien de précis dans les évangiles n’indique que ces trois femmes n’en feraient qu’une !

Simon Vouet (1590-1649), Marie-Madeleine (1614, huile sur toile, 63 x 49 cm), Palais du Quirinal, Rome (Italie). Domaine public.

Combien y a-t-il d'onctions ?

Allons encore plus loin dans l’analyse. 

Pour être exact, rien n’indique non plus très clairement qu’il s’agit des mêmes onctions chez Marc, chez Matthieu, chez Luc et chez Jean. Combien y a-t-il d’onctions ? Voici plusieurs hypothèses :

  • 1 onction, mais retenue comme 1 même histoire racontée en 4 versions différentes selon les évangiles, présentant les variations permises par la transmission orale autour d’un noyau commun mentionnant un repas / une femme qui oint Jésus / un flacon d’albâtre / du parfum / la réponse de Jésus aux critiques
     
  • 2 onctions : l’une ayant lieu en Galilée (dans l’évangile de Luc) et l’autre ayant lieu à Béthanie (dans les évangiles de Matthieu, Marc et Jean)
     
  • 3 onctions : une première en Galilée (rapportée par l’évangile de Luc) ; une deuxième à Béthanie chez Simon (rapportée par les évangiles de Matthieu et Marc) et une troisième à Béthanie chez Lazare (rapportée dans l’évangile de Jean)
Jean Béraud (1849-1935), La Madeleine chez le Pharisien (1891, huile sur toile, 104 x 131 cm), Musée d'Orsay, Paris (France). Domaine public.

Combien y a-t-il de femmes ?

Allez, accrochez-vous, on va aller encore encore plus loin. 

Les hypothèses varient pour établir le nombre d’onctions. Mais combien y a-t-il de « femmes à l’onction » ? La question se pose, car :

  • Ou bien l’onction est réalisée par plusieurs femmes.
     
  • Ou bien l’onction est réalisée par la même femme, celle-ci « faisant mémoire » de la première fois, renouvelant l’expression de sa gratitude et de son amour une seconde fois.

Ici, une remarque de méthode n’est pas de trop. 

  • Tandis que les commentateurs modernes soulignent les différences, 
  • les Anciens cherchaient à les concilier. 

Les différences entre les évangiles, irréductibles si l’on prend chaque récit comme un tout achevé, peuvent s’agencer entre elles comme les morceaux d’un puzzle dont l’unité se dégage à mesure que l’on progresse.

Artemisia Gentileschi (1596-1654), La Conversion de Marie Madeleine (vers 1620, huile sur toile, 147 x 108 cm), Palais Pitti, Florence (Italie). Domaine public.

Conclusion

Indépendamment de tous ces détails d'érudits façon chiffonnier, ce numéro un peu technique nous permet finalement :

  • de mieux comprendre en quoi la figure de Marie-Madeleine a pu devenir aussi célèbre et répandue dans l'histoire de l'art
     
  • de savoir que l'épisode de l'onction à Béthanie fait l'objet de bien des débats concernant l'identité de cette mystérieuse femme
     
  • et de découvrir ainsi que chaque évangile ne dit pas forcément la même chose que les autres !

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