Découvrez comment Léonard de Vinci peint le prophète Jean-Baptiste et décrit sa mission. En quoi la lumière est-elle le sujet central du tableau ?
L’arbre aux papillons d’or est un film vietnamien réalisé par Thien An Pham, sorti en 2023 et présenté au festival de Cannes 2023 dans la sélection Quinzaine des cinéastes... où il remporte la Caméra d'or !
Tout au long du film, le personnage principal suit une sorte de parcours initiatique. Il cherche Dieu et s’interroge sur la foi tandis qu'il revient dans son village pour un enterrement. On vous spoile un peu mais, à la fin, le personnage se retrouve plongé dans l’eau d’une source. Et l’image n’est pas sans nous rappeler... le baptême de Jésus par Jean le Baptise ! Et c’est ce J-B qui nous intéresse aujourd’hui !
Alors plongeons dans une toile de Léonard de Vinci et relisons le texte qui inspira ces deux œuvres !
Nous sommes au tout début de l'évangile de Jean. L'évangéliste annonce la venue de Jésus. Et voilà qu'un certain Jean (alias J-B) apparaît dès le sixième verset.
Advint un homme envoyé de Dieu dont le nom était « Jean » : lui vint pour témoigner de la lumière afin que tous vinssent à croire par lui ; [il] n'était pas la lumière mais [il vint] « pour rendre témoignage à la lumière ».
La lumière, la véritable, qui illumine tout homme était en train de venir dans le monde.
Dans le monde il était et le monde par lui a été fait et le monde ne l’a pas connu.
Il vint chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais à tous ceux qui l’ont reçu il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu : à ceux qui croient en son nom [eux] qui non des sangs ni d'un vouloir de chair ni d'un vouloir d'homme mais de Dieu sont engendrés.
Aujourd’hui, observons comment Léonard de Vinci a choisi de représenter l’un des plus fameux personnages du Nouveau Testament : Jean-Baptiste, le cousin de Jésus !
En gros, Jean-Baptiste naît juste avant Jésus et annonce sa venue. Pour les Chrétiens, il est même considéré comme le dernier prophète : il annonce la venue du Messie en la personne de Jésus. Comment Léonard de Vinci représente-t-il Jean-Baptiste ?
D’emblée, on est frappé par ce sourire — le même que la Joconde ! Comme Mona Lisa, J-B semble sourire au spectateur qui le regarde ! Cet effet de sourire suspendu est possible grâce à une technique que l’on doit à De Vinci : le sfumato.
Le sourire de Jean-Baptiste fait naître une complicité avec le spectateur. On a l’impression qu’il veut partager avec nous une joie — joie qu’il nous désigne de son doigt. Sauf que… on ne voit rien !
Aucun paysage n’occupe l'arrière-plan : un simple aplat noir abstrait fait office de décor. Cet effet de clair-obscur souligne la sobriété et la simplicité choisies par Léonard de Vinci.
En effet, Jean-Baptiste est souvent perçu, conformément à l’évangile de Marc, comme un homme vivant seul — un sorte d’ermite du désert : Jean était vêtu de poils de chameau et [il portrait] une ceinture de peau autour de ses reins et il mangeait des sauterelles et du miel sauvage. (Mc 1, 4.6)
Toutefois, le peintre prend quelques libertés par rapport au texte :
Ce qui est sûr, c’est qu’on le voit mal, le JiBé ! Alors on a truqué la lumière de l’image (ci-dessus et ci-dessous)… Et on n’est pas peu fier du résultat : un détail crucial apparaît ci-dessus !
Le personnage tient dans sa main gauche un fin crucifix en roseau désigné par l’index de son autre main ! Cette croix est évidemment une référence à Jésus, mort sur une croix. Observons les lignes de forces pour bien comprendre :
Un lecteur attentif peut tiquer devant cette croix… car chronologiquement, Jean n’a pas pu voir Jésus sur la croix, ni même la porter : il est mort bien avant ! (Spoil : JB meurt décapité). Pourquoi ce faux-raccord ?
En fait, il s'agit d'un choix interprétatif : Léonard de Vinci décide de représenter Jean-Baptiste en soulignant habilement sa mission et sa qualité de prophète. En ajoutant ce crucifix, il compose un tableau qui met en évidence la figure de Jean-Baptiste comme celui qui annonce la venue de Jésus, mais aussi sa mort sur la Croix, l’un n’allant pas sans l’autre.
En truquant la lumière de l’image, on a fait apparaître l'élément-clé (ou élément crucial) pour décrypter la toile : la croix ! Pourquoi Léonard de Vinci a-t-il choisi de cacher et d’assombrir la croix, cet élément si central ?
Le sujet du tableau nous est apparu par la lumière truquée. Or… c’est la lumière qui semble être le sujet du tableau ! Et tiens tiens, dans l’évangile de Jean :
« Il y eut un homme envoyé de Dieu dont le nom était "Jean". Celui-là n'était pas la lumière mais "pour rendre témoignage à la lumière" ». (Jn 1, 7)
Si on reprend : Jean-Baptiste n’est pas lui-même la source de lumière, mais il indique la lumière — qui est celle de Jésus lui-même ! Dans l’évangile de Jean toujours, Jésus dit d'ailleurs :
« Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. » (Jn 8, 12)
Finalement, Léonard de Vinci dépeint une mystérieuse apparition de Jean-Baptiste, prophète qui s'efface devant celui qu'il annonce : le Christ.
Sur le tableau, Jean-Baptiste est en train de se retourner et semble vouloir nous emmener avec lui... et son sourire annonce la vraie lumière à venir (le Christ) — qu’il désigne de son index.
On vous laisse avec les mots de Paul Celan (1920-1970), poète et traducteur de nationalité roumaine et de langue allemande, naturalisé français en 1955. Il nous offre une petite méditation sur la lumière :
Je l’ai entendu,
il lavait le monde,
non vu, à la longueur de nuit,
vraiment.
Un et infini,
anéantis,
disaient Je.
Lumière fut. Salut.
Paul Celan (1920-1970), « Une fois », traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre, Renverse du souffle, Paris, Points, 2006