Découvrez l’histoire du sacrifice d’Abraham ! Comment réagit son fils Isaac ? Quel est le rapport avec Jésus ?
Il n'y a qu'un pas entre le hard-rock et la Bible…
En 2007, le groupe de hard-rock américain Clutch sort Mr Shiny Cadillackness. Ce morceau évoque directement un épisode connu de la Bible : le sacrifice d'Isaac
« Will you sacrifice your first born like Abraham would his Isaac? [...]
I said are you willing to prove your love to the Lord / As Abraham handed down his first born on a stone ?
Allez-vous sacrifier votre premier né comme Abraham l'a fait pour son Isaac ? [...]
J'ai dit : es-tu prêt à prouver ton amour au Seigneur / Comme Abraham a déposé son premier-né sur une pierre ? »
Abraham doit offrir son fils en sacrifice à Dieu. Mais comment réagissent père et fils au cours de cet épisode ?
On a déjà analysé le début de cet épisode la semaine dernière : Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils unique !
Et il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit :
— Abraham !
Et il dit :
— Me voici.
Et Dieu dit :
— Prends ton fils, ton unique, que tu aimes, Isaac et va-t’en au pays de Moriyya et offre-le là en holocauste sur une des montagnes que je te dirai.
Et Abraham se leva de bon matin, sella son âne et prit deux de ses jeunes hommes avec lui et Isaac son fils il fendit le bois de l’holocauste et il se leva et s’en alla vers le lieu que Dieu lui avait dit. Le troisième jour, Abraham leva les yeux et vit le lieu de loin
Et Abraham dit à ses jeunes hommes :
— Restez ici avec l’âne moi et l’enfant nous irons jusque-là, et nous nous prosternerons et reviendrons vers vous.
Et Abraham prit le bois de l’holocauste et le plaça sur Isaac, son fils et il prit dans sa main le feu et le couteau et ils s’en allèrent tous deux ensemble.
Et Isaac dit à Abraham son père et dit :
— Mon père !
Et il dit :
— Me voici, mon fils ?
Et il dit :
— Voici le feu et le bois : où est l’agneau pour l’holocauste ?
Et Abraham dit :
— Dieu se pourvoira de l’agneau pour l’holocauste, mon fils.
Et ils allèrent tous deux ensemble.
Et ils vinrent au lieu que Dieu lui avait dit et Abraham construisit là l’autel et arrangea le bois et lia Isaac, son fils et le mit sur l’autel au-dessus du bois.
Et Abraham étendit la main et prit le couteau pour égorger son fils.
Et l’ange de YHWH cria vers lui des cieux et dit :
— Abraham ! Abraham !
Et il dit :
— Me voici.
Et il dit :
— N’étends pas ta main vers le jeune homme et ne lui fais rien car maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils, ton unique à cause de moi.
Et Abraham leva les yeux et vit un bélier derrière lui, retenu dans un buisson par ses cornes. Abraham alla et prit le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
On s’est déjà penché sur le sens de cette « épreuve » donnée par Dieu à Abraham. Aujourd'hui, penchons-nous spécialement sur l'union du père et du fils dans ce sacrifice.
Brève remise en contexte : pendant des années, Abraham a attendu le fils que Dieu lui a promis. Et voilà que… tandis que lui et sa femme ont environ 100 ans, Sarah donne naissance à un fils : Isaac !
C’est bel et bien cet enfant tant attendu, Isaac, que Dieu demande en sacrifice à Abraham !
Pourtant, Abraham et Isaac ne se soustraient pas à la volonté de Dieu, quand bien même la souffrance de chacun est terrible. Bref, ils sont unis dans leur obéissance à Dieu.
« Et ils s'en allèrent tous deux ensemble » (Gn 22, 6)
« Et ils allèrent tous deux ensemble. » (Gn 22, 8)
En répétant deux fois que père et fils marchent « ensemble », le texte biblique met en évidence l'union du père et du fils dans ce sacrifice.
En effet, à la fin de l'épisode, Abraham et Isaac cheminent seuls jusqu'au lieu du sacrifice. Ils laissent les serviteurs derrière eux. Puis vient l’installation pour le sacrifice…
« Et ils vinrent au lieu que Dieu lui avait dit et Abraham construisit là l’autel et arrangea le bois et lia Isaac, son fils, et le mit sur l’autel au-dessus du bois. » (Gn 22, 9)
Attendez… Isaac se laisse faire ? Étonnamment, oui. Mais sa collaboration est ambiguë. Dans la tradition juive, voici ce que dit le Targoum Pseudo-Jonathan (une vieille traduction médiévale commentée) : « Abraham étendit la main et prit le couteau pour tuer Isaac, son fils. Isaac répondit à Abraham, son père : Mon père, lie-moi bien les mains, de peur qu'à l'heure de mon malheur je ne tremble et ne te trouble. »
Symboliquement, la docilité d’Isaac est interprétée comme une marque de confiance envers son père Abraham et envers Dieu, comme pour montrer qu'il ne souhaite pas se soustraire à la volonté de Dieu (pour rappel, c’est bel et bien Dieu qui commande une telle épreuve).
Ainsi, une grande importance est accordée à Isaac qui s'offre librement et obéit. D’ailleurs, les juifs ne parlent pas tellement du « sacrifice d’Abraham » mais plutôt de la « ligature d’Isaac ». Le point de vue est donc renversé.
Pour les chrétiens, cet épisode où Abraham (le père) sacrifie Isaac (son fils)… préfigure la Passion où Dieu (le Père) sacrifie Jésus (son Fils) !
On appelle ça une « lecture typologique ». Ça consiste à interpréter un passage de l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau Testament — et réciproquement. Ainsi :
En fait, cet épisode du sacrifice d’Abraham préfigure le sacrifice que Dieu assume lui-même (dans la personne du Christ) au moment de la Passion.
D'ailleurs, ce rapprochement entre Jésus et Isaac est même suggéré dans l'évangile de Marc quand Dieu désigne Jésus comme « son fils bien-aimé » (Mc 1,11) lors du baptême dans le Jourdain et lors de la Transfiguration (Mc 9,7). Voilà qui fait directement écho au texte de la Septante (la traduction grecque) qui ne dit pas « prends ton fils unique » (comme l'hébreu), mais « ton fils bien-aimé », à propos d'Isaac.
Typologiquement, le cheminement d’Abraham et Isaac, ainsi que leur confiance partagée, donne à voir l’union entre Jésus et son Père depuis, l’angoisse à Gethsémani jusqu’à la crucifixion et la mort… Mais le sacrifice du Christ va encore plus loin !
« Isaac reprit : “Voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste ?”
Abraham répondit : “Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils.” » (Gn 22, 7-8)
Dans le cas du sacrifice d'Isaac, c'est Dieu qui finit par pourvoir providentiellement un bélier pour l'holocauste afin de remplacer Isaac sur le bûcher. D'ailleurs, aviez-vous remarqué le bélier discrètement représenté dans les tableaux de Rubens et de Pieter Thijs ?
Pour les chrétiens, Jésus est le nouvel Isaac... qui va jusqu’au bout du sacrifice. En effet, le Christ est le bélier (ou l'agneau) qui assume lui-même la mort.
Dans ses innombrables écrits, le philosophe Hegel a également étudié le récit du sacrifice d'Isaac. Il en fait une interprétation très personnelle et singulière. Accrochez-vous, c'est dense (une seule phrase à rallonge)... mais c'est passionnant !
« Seulement, [Abraham] ne pouvait rien aimer : et le seul amour qu’il eut, l’amour pour son fils, l’espoir d’une descendance, l’unique manière pour lui de prolonger son être, la seule sorte d’immortalité qu’il connaissait et espérait, cet unique amour donc, put même finir par lui peser, par importuner son esprit séparé de tout et le placer dans une inquiétude qui alla une fois si loin qu’il voulut le détruire aussi et ne fut tranquillisé que par la certitude du sentiment que la force de cet amour n’était pas si grande qu’il ne pût massacrer de sa propre main son fils bien-aimé. »
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), « L’esprit du judaïsme », dans L’esprit du christianisme et son destin (1800), trad. F. Fischbach, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 53
Le texte biblique met en évidence l’union du père et du fils dans ce sacrifice. De plus, la tradition juive explique que si Isaac se fait ligoter, c’est parce qu’il demande à son père de le faire, afin de ne pas se soustraire à la demande de Dieu.
Père et fils ne souhaitent pas se soustraire à la volonté de Dieu. Si Isaac est si docile durant ce sacrifice, c’est parce qu’il a confiance envers son Père et envers Dieu.
Oui ! Selon la lecture chrétienne, cet épisode préfigure la Passion du Christ lorsque Dieu le Père sacrifice Jésus son Fils ! Bref, cet épisode du sacrifice d’Abraham est une préfiguration de la mort de Jésus.