Qui est Joseph et comment réagit-il quand Marie lui annonce qu'elle n'est pas enceinte de lui ? Pourquoi est-il un homme « juste » ?
Savoir que Gabriel Fauré a mis en musique le cantique de Jean Racine à l’âge de 19 ans nous émeut presque autant que ce chef-d’œuvre.
Hymne originellement composé en latin par Ambroise de Milan au 4ᵉ siècle, chanté lors des matines par les moines au milieu de la nuit, il a été paraphrasé en français par le poète Jean Racine au XVIIᵉ siècle. Et c’est donc Gabriel Fauré qui, au XIXᵉ, en fera cet air divin tout à fait approprié pour lire cet épisode.
La naissance de Jésus Christ fut ainsi. Alors que Marie sa mère avait été fiancée à Joseph, il advint, avant qu’ils aient habité ensemble, qu’elle se trouva enceinte par l'Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était juste et ne voulait pas la montrer du doigt, se proposa de la renvoyer secrètement.
« Joseph, qui était juste, se proposa de la renvoyer secrètement. » (Mt 1, 19)
Mesure-t-on la gravité de cette phrase allusive ? Mesure-t-on le poids de ce secret ?
Marie n’est pas enceinte de Joseph, son fiancé. Pour un habitant de Nazareth de l’époque, soumis à la loi juive, cela revient à constater qu’elle est adultère. Or le traitement possible pour une femme adultère c’est la lapidation.
Le texte biblique est pudique et ne s’étend pas sur cet épisode. Il n’en parle que le temps d'un verset, trop concentré qu'il est sur l’ampleur de l’événement qu’il se propose de nous raconter : la venue de Jésus, Dieu fait homme. Mais l’auteur biblique prend tout même la peine de préciser que Joseph, qui est juste, se propose de la renvoyer secrètement.
L'auteur de l'Évangile ne s’étend pas une seconde sur le drame intime qui habite sans doute pour un temps cet homme fiancé qui constate que sa fiancée, Marie, est enceinte d’un autre dont il ne connaît même pas l’identité. L’Évangile souligne simplement que Joseph ne s’abandonne pas à la vengeance, à la volonté qu’on lui rende justice.
👉 Car, et c’est là l’ironie du texte : si Joseph est juste, c’est précisément parce qu’il ne s’occupe pas de traîner Marie devant la justice des hommes. Il est juste car, sachant qu’elle risque la lapidation et donc la mort, il préfère la renvoyer secrètement pour épargner sa vie.
On pourrait gloser en disant que Joseph, ce pauvre charpentier, était vraiment aveugle et sourd à la grâce pour ne pas voir ce qui se déroulait en Marie, l’événement historique dont elle était témoin et actrice. Ce n’est précisément pas ce que nous dit le texte biblique qui, en un bref verset, souligne la vertu de cet homme prudent préférant renvoyer Marie secrètement.
Ce verset à la tension dramatique soudaine arrive après une généalogie interminable. Il souligne un autre élément important de la venue de Jésus dans le monde : la précarité de cette venue.
À peine Joseph, l’époux, a-t-il appris la naissance de ce dernier qu’il pense à renvoyer son épouse qui, elle, risque la lapidation. La peur, le rejet, la mort rôdent alors que le Fils de Dieu s’incarne.
👉 Bien sûr l’évangéliste poursuit et nous précise qu’après un songe, Joseph, rassuré par un ange, accueillera Marie et deviendra le père adoptif de Jésus. Mais ce court verset souligne une tension qui rejaillira au moment de la naissance de Jésus lorsque Hérode cherche à le tuer.
Pour creuser pourquoi la Nativité de Jésus n’est pas une comptine gentille pour enfant mais a un caractère dramatique : vous pouvez ainsi lire le récit parlant de Rachel de Bethléem et du massacre des innocents...
Dans une méditation tout à fait prodigieuse sur la naissance du Christ, Jean-Paul Sartre (oui, vous avez bien lu : Jean-Paul Sartre) s’interroge sur la place qu’il donnerait à Joseph sur le tableau de la Nativité :
« Et Joseph. Joseph ? Je ne le peindrais pas. Je ne montrerais qu’une ombre au fond de la grange et aux yeux brillants, car je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer. »
Jean-Paul Sartre, Noël 1940, méditation sur Noël pour des prisonniers français.