Où est né Jésus ? Pourquoi personne n'a assez de place pour accueillir Marie enceinte ? Pourquoi Dieu ne leur réserve-t-il pas un palace majestueux ?
Dans Full Metal Jacket du fameux Stanley Kubrick, les Marines américains chantent le jour de Noël « Happy birthday dear Jesus » — Joyeux anniversaire cher Jésus.
La prédication qui s’ensuit nous apparaît aussi catastrophique que le chant est peu poétique. Du coup, on rattrape ce massacre avec un éclairage de qualité !
Il advint aussi, en ces jours-là, que sortit un édit de César Auguste [ordonnant] de recenser le monde habité. Ce fut le premier recensement Quirinius étant gouverneur de Syrie.
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville de David qui s’appelle Bethléem — parce qu’il était de la maison et de la lignée de David — pour se faire recenser avec Marie sa fiancée, laquelle était enceinte.
Or il advint, comme ils étaient là, que furent accomplis les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils, le premier-né, et elle l'emmaillota et le coucha dans la mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.
« Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle. » (Lc 2,7)
Aujourd’hui, on se penche sur cette phrase assez incroyable quand on pense que « eux » désigne la Vierge Marie et Jésus-Christ…
Dans la phrase « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle », le terme grec kataluma, et que nous traduisons par « salle », désigne tout endroit où poser les bagages. En choisissant un terme un peu flou, en ne nous disant pas clairement la nature ni la fonction de ce lieu, l'évangéliste semble parler d'une simple « salle » commune, plutôt que d'une auberge.
Dans son souci habituel d'adoucir les scènes pénibles, l'évangéliste Luc aurait délibérément voulu rester dans le vague, en particulier avec l'utilisation du terme kataluma.
👉 Il ne tient visiblement pas à préciser pourquoi il n’y a pas de place…
Puisqu'il n'y a pas de place pour eux dans la salle commune, ils trouvent un endroit discret pour l'accouchement. Dans le village de Bethléem, situé en haut d’une petite montagne à la géologie calcaire, de nombreuses grottes, parfois en réseaux, servaient d'étable. C'est là que serait né le Christ.
👉 C’est en tout cas ce que nous dit la tradition la plus ancienne. Ainsi, Justin le Martyr — père de l’Église ayant vécu en Palestine et mort à Rome en 165 — écrit :
« L’enfant étant né à Bethléem, comme Joseph n’avait pas où loger dans ce village, il logea dans une grotte voisine du village. Et alors, comme ils étaient là, Marie enfanta le Christ et le plaça dans une crèche » Justin de Naplouse, Dialogue avec Tryphon 8,11 *(trad. G. Archambault, « Textes et documents pour l’étude historique du christianisme », Paris : Picard, 1909.
Si Luc reste relativement imprécis sur le lieu de naissance du Christ, il souligne tout même que Marie, alors enceinte, ne reçoit pas un accueil royal. Concrètement, « il n’y avait pas de place pour eux ». Cette précision est tout bonnement étonnante dans un récit qui a l’intention de décrire la naissance d’un personnage aussi illustre que le Messie.
Dans la Somme de théologie, Thomas d’Aquin y voit la trace d’une volonté divine : « Il ne voulut naître à Bethléem que comme un hôte de passage. »
Chez PRIXM, on ne peut que souscrire à l’interprétation du Docteur angélique — surnom de Thomas d’Aquin pour les non-initiés. Mais on y voit autre chose. Derrière l’apparent drame humain d’une naissance rapide, dans le rejet des hommes et la précarité d'une crèche, il y aurait sans doute là une part d’ironie divine :
Comme s’il fallait voir dans ces textes de la naissance un de ces procédés habituels de la Révélation où Dieu se place dans une dynamique de cache-cache pour ne pas trop s’imposer. Cet événement considérable que des milliards de personnes célèbrent encore plusieurs siècles après n’aurait même pas retenu l’attention de quelques villageois à l’époque.
Alors que Dieu entre dans l’Histoire, ce n’est pas un triomphe impérial qui apparaît mais l’évidence de l’humilité et de la discrétion propre à toute véritable grandeur.
On n'aime pas trop se répéter chez PRIXM, mais cette réflexion de Bernanos nous paraît si profondément juste, si belle, qu’elle est devenue notre marotte annuelle pour l'article de Noël :
« Mais va donc empêcher les imbéciles de refaire à leur manière le « drame de l’incarnation », comme ils disent ! Alors qu’ils croient devoir, pour le prestige, habiller en guignols de modestes juges de paix, ou coudre des galons sur la manche des contrôleurs de chemin de fer, ça leur ferait trop honte d’avouer aux incroyants que le seul, l’unique drame, le drame des drames – car il n’y en a pas d’autres – s’est joué sans décors et sans passementeries. Pense donc ! Le Verbe s’est fait chair, et les journalistes de ce temps-là n’en ont rien su ! »
Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Plon, Paris, 1936
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