Qui sont les premiers témoins de la Nativité ? Comment la naissance de Jésus est-elle annoncée aux bergers dans l'évangile de Luc ?
« Les bergers c'est un peu comme Noël, Noël et ses trésors qui s'arrêteraient chez nous aux équinoxes d'or, les bergers… »
Le grand Jacques Brel ne croit pas si bien dire ! Dans son morceau Les Bergers sorti en 1964, son allusion à Noël avec les bergers est bien évidemment une référence biblique riche de sens…
Car comme nous l’éclairons et le soulignons aujourd’hui, les bergers tiennent une place de choix lors de la nuit de Noël et la naissance de Jésus !
Voici le passage de l’évangile de Luc lu lors de la liturgie de la nuit de Noël.
Or il advint, comme [Marie et Joseph] étaient là [à Bethléem], que furent accomplis les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils, le premier-né, et elle l'emmaillota et le coucha dans la mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.
Il y avait dans la région même des bergers qui veillaient et qui passaient les veilles de la nuit à garder leur troupeau.
Et voici que l'ange du Seigneur se tint près d'eux et la gloire de Dieu les enveloppa de sa clarté et ils furent saisis d’une grande crainte. Et l’ange leur dit :
— Soyez sans crainte car voici que je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie, qui sera pour tout le peuple : il vous est né aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et voici pour vous le signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et placé dans une mangeoire. [...]
Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se disaient entre eux :
— Passons jusqu’à Bethléem et voyons cette parole qui est arrivée que le Seigneur nous a fait connaître.
Et ils vinrent en hâte et ils trouvèrent Marie et Joseph et le nouveau-né placé dans la mangeoire.
Après avoir vu, ils firent connaître la parole qui leur avait été dite au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent s'étonnèrent de ce que leur disaient les bergers.
« [Marie] mit au monde son fils, le premier-né, et elle l'emmaillota et le coucha dans la mangeoire [...]. Il y avait dans la région même des bergers qui veillaient et qui passaient les veilles de la nuit à garder leur troupeau. » (Lc 2, 7-8)
Jésus naît dans une étable de Bethléem. En-dehors de ses parents, les premiers témoins de cette naissance sont des « bergers de la même région ».
Au premier siècle, la profession de berger n'est pas vraiment un métier reconnu.
D'un côté, le berger est celui qui vit à l'extérieur des villes, dans des lieux parfois impurs et qui, souvent, n'est même pas propriétaire de son troupeau. Par définition, c'est un homme de la périphérie sociale et religieuse. Il est donc très significatif que les premiers témoins de l’incarnation mènent une vie faite d’humilité.
D'un autre côté, le berger a pour mission de soigner et de protéger son troupeau, de veiller à leur bien. En ce sens, c'est un noble métier qui a toujours été un symbole du pouvoir royal. Le berger était une figure du roi :
On le répète souvent chez PRIXM, Jésus était Juif. Dès sa naissance, il vient donc prendre place dans la nation d’Israël.
Et à bien relire le Pentateuque (les cinq premiers livres de l'Ancien Testament), on voit que les patriarches Abraham, Isaac et Jacob étaient tous trois éleveurs de bétail, autrement dit bergers.
En effet, tandis par exemple que les Grecs sont des marins et des soldats ; les Juifs sont des bergers. Philon d’Alexandrie (philosophe juif du premier siècle) explique que la nation juive dans son entier se conçoit comme un peuple de bergers :
« Les gens de notre nation sont essentiellement des éleveurs et des pâtres, et possèdent de nombreux troupeaux de chèvres, de bœufs, de moutons et d’autres animaux de toute espèce » Philon d’Alexandrie : De specialibus legibus, I §136, trad. Suzanne Daniel, Paris, Cerf, 1975.
Et c’est en ce sens que Jésus est chez lui au milieu des bergers.
Jésus utilisera souvent cette figure du berger pour parler de lui-même (comme nous le soulignons en relisant un passage du Livre d'Ézéchiel ici) :
La présence des bergers autour de Jésus dans la crèche dresse les grandes lignes de l’Évangile selon saint Luc : les pauvres ont une place importante, car c'est à eux que Jésus s'adresse.
L’Évangile laisse ainsi transparaître le mystère de Dieu fait homme et la folie de cette naissance : Jésus ne naît pas en grande pompe, mais au contraire il est salué par la simplicité des bergers de son peuple.
Dorothy Day est une journaliste américaine, devenue une figure majeure du catholicisme social du 20e siècle. Elle nous livre ici une très belle méditation sur le sens de l’incarnation :
« Le Christ a vécu parmi les hommes. Le grand mystère de l’Incarnation, qui signifie que Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu, était notre joie, une joie qui nous faisait désirer embrasser la terre en signe d’adoration, parce que ses pieds avaient voulu la fouler. C’était un mystère. Mais il y avait aussi les faits de la vie du Christ, qui est né dans une étable, qui n’est pas venu pour être un roi sur la terre, qui a travaillé de ses mains, qui a passé ses premières années en exil et le reste du début de sa vie humaine dans une vulgaire échoppe de charpentier à Nazareth. »
Dorothy Day (1897-1980), La longue solitude, Paris, Cerf, 2018 ; p. 304