Pourquoi la Bible utilise-t-elle tant l’image du berger ? Que signifie-t-elle et qui désigne-t-elle ? Quel est le lien entre la figure du pasteur et celle du roi ?
Ancien attaquant du PSG et du Napoli, fougueux footballeur argentin finaliste malheureux de la Coupe du Monde 2014, Ezekiel Lavezzi est un personnage fantasque. Mais ce n’est pas pour ces facéties que nous sommes heureux d’ouvrir notre numéro avec son visage de brun ténébreux. Beaucoup plus simplement, son prénom vient tout droit d’un prophète de l’Ancien Testament : Ézéchiel. Il n'est donc pas étonnant que ce nom ait traversé les millénaires et qu'il soit porté encore aujourd'hui par quelques petites « stars » contemporaines !
Justement, penchons-nous aujourd’hui sur un passage du Livre d’Ézéchiel !
Le livre du prophète Ézéchiel date du 6e siècle avant Jésus-Christ. Autrement dit : la date de rédaction de ce livre concorde avec la période d’exil du peuple hébreu, durant sa déportation à Babylone, loin de Jérusalem. Dans ce passage, le prophète transmet les paroles de Dieu qui s'adresse aux mauvais bergers.
— Malheur aux pasteurs d’Israël qui étaient des pasteurs d’eux-mêmes. N’est-ce pas le troupeau que les pasteurs mènent paître ? La graisse vous mangez et de laine vous vous couvrez, ce qui est gras vous tuez. Les brebis chétives, vous ne les avez pas fortifiées ; celle qui était malade, vous ne l’avez pas soignée ; celle qui était blessée, vous ne l’avez pas pansée ; celle qui était égarée, vous ne l’avez pas ramenée ; celle qui était perdue, vous ne l’avez pas cherchée ; mais vous avez dominé sur elles avec violence et cruauté. Et elles se sont dispersées, faute de pasteur, elles sont devenues la proie de toutes les bêtes des champs et elles se sont dispersées. Mes brebis sont errantes sur toutes les montagnes et sur toute colline élevée : sur toute la face du pays mes brebis ont été dispersées et personne n’en a souci et personne ne les recherche ! [...]
Ainsi dit le Seigneur YHWH :
— Voici, je viens aux pasteurs, je redemanderai à leurs mains mes brebis, je ne leur laisserai plus de troupeau à mener paître et les pasteurs ne se mèneront plus paître eux-mêmes. J’arracherai mes brebis à leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie à dévorer car ainsi dit le Seigneur YHWH : Me voici, je veux moi-même prendre souci de mes brebis. [...] Je les mènerai paître dans de bons pâturages et leur bercail sera sur les hautes montagnes d’Israël. Là elles se reposeront dans un bon bercail et elles paîtront dans un gras pâturage sur les montagnes d’Israël. Moi je mènerai paître mes brebis et moi je les ferai reposer, oracle du Seigneur YHWH. La perdue je chercherai et l’égarée je ramènerai ; la blessée je panserai, la malade je fortifierai et la grasse et la forte je détruirai : je la mènerai paître avec jugement.
Et vous, mes brebis, ainsi dit le Seigneur YHWH :
— [...] Je leur susciterai un seul pasteur et il les fera paître, mon serviteur David : c’est lui qui les fera paître et c’est lui qui sera pour elles un pasteur. Moi, YHWH, je serai leur Dieu et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles. [...] Je ferai pousser pour eux une végétation de renom ils ne seront plus enlevés par la famine dans le pays et ils ne porteront plus l’opprobre des nations. Et ils sauront que moi, YHWH leur Dieu, je suis avec eux et qu’eux, la maison d’Israël, ils sont mon peuple, oracle du Seigneur YHWH. Et vous, mes brebis, troupeau que je pais, vous êtes hommes ; et moi, je suis votre Dieu, oracle du Seigneur YHWH.
Dans ce texte du Livre d’Ézéchiel, le prophète dresse un portrait symbolique de Dieu qui se présente sous les traits d’un berger.
Comme nous l’avions vu dans un article précédent analysant le Psaume 23 au doux son d’un duo de musique électro scandinave, cette métaphore qui consiste à parler de Dieu comme un pasteur est un ressort poétique biblique très fréquent, que l’on retrouve aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament.
En effet, lorsque certains récits bibliques font mention d'un berger, ils convoquent tout un imaginaire bien connu du peuple juif puisque de nombreux personnages de premier plan sont bergers (Abraham, Isaac, Jacob ou David pour ne citer qu'eux !). Autrement dit : la fonction de pasteur est donc très chargée symboliquement, et renvoie à une longue lignée d'ancêtres prestigieux.
En fait, la désignation de Dieu comme un berger est très ancienne dans le patrimoine littéraire de l'Orient. Elle s'applique aux personnages d'autorité, forts de la symbolique protectrice du berger qui a pour mission de garder, de soigner et de protéger son troupeau – et plus généralement de veiller à leur bien. En ce sens, l'image du berger est souvent associée à la notion de royauté.
Justement, le prophète Jérémie l'applique aux rois d'Israël – mais pour leur reprocher d'avoir mal régné :
« Malheur aux pasteurs qui perdent et dispersent les brebis de mon pâturage – oracle de YHWH ! C’est pourquoi ainsi parle YHWH, le Dieu d’Israël, contre les pasteurs qui ont à paître mon peuple : vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées et ne vous en êtes pas occupés. » (Jr 23, 1-2)
Écrit quelques décennies plus tard au 6e siècle avant Jésus-Christ, le prophète Ézéchiel reprend le thème de Jérémie. S’adressant aux pasteurs, c’est-à-dire aux rois et aux fonctionnaires royaux, il leur reproche leurs crimes et leurs manquements.
Ces mauvais pasteurs se distinguent par la « non-assistance » aux brebis perdues, par l’abandon de leur responsabilité, comme de mauvais rois qui n’ont pas souci de leurs sujets qu'ils devraient protéger. Les phrases rapportées par le prophète Ézéchiel sont très nettes à ce sujet :
« Les brebis chétives, vous ne les avez pas fortifiées ; celle qui était malade, vous ne l’avez pas soignée ; celle qui était blessée, vous ne l’avez pas pansée ; celle qui était égarée, vous ne l’avez pas ramenée ; celle qui était perdue, vous ne l’avez pas cherchée ; mais vous avez dominé sur elles avec violence et cruauté. [...] Mes brebis sont errantes sur toutes les montagnes. Elles ont été dispersées et personne n’en a souci et personne ne les recherche ! » (Ez 34, 4-6)
Face aux méfaits des mauvais pasteurs, la réaction de Dieu est assez simple. Il leur reprend le troupeau malmené. En lieu et place des mauvais pasteurs, Dieu se fait lui-même le pasteur de son peuple. L’idée d’un roi-berger n’est donc pas totalement abandonnée...
En effet, l'annonce du règne de David suggère une ère messianique, où Dieu lui-même régnera sur son peuple dans la justice et dans la paix. Pour les Chrétiens, ce pasteur nouveau est une préfiguration du Christ, lui-même descendant de David :
« Je leur susciterai un seul pasteur et il les fera paître, mon serviteur David : c’est lui qui les fera paître et c’est lui qui sera pour elles un pasteur. Moi, YHWH, je serai leur Dieu et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles. » (Ez 34, 23-24)
On comprend désormais que l’image de Dieu se présentant comme un berger est une référence biblique de premier plan, déjà abondamment convoquée dans l’Ancien Testament et reprise ensuite par les évangélistes dans le Nouveau Testament pour désigner le bon berger par excellence – Jésus.
C’est l’une de nos plus grandes marottes chez PRIXM, et on l’assume complètement : on aime rappeler que l’Ancien et le Nouveau Testament sont intimement liés et qu’ils se lisent l’un et l’autre en écho.
Ce texte d’Ézéchiel en est un exemple parfait puisqu’il trouve de nombreux échos dans la bouche même de Jésus-Christ, à l’image de ce passage de l’évangile de Jean où il reprend à son compte l’identification avec la figure du bon pasteur :
« Moi je suis le bon pasteur. Le bon pasteur dépose sa vie pour les brebis. Moi je suis le bon pasteur et je connais mes brebis et je suis connu des mes brebis. » (Jn 10, 11.14)
Par ailleurs, on trouve également, dans ce passage d'Ézéchiel, l'esquisse de la parabole de la brebis perdue racontée par les évangélistes Matthieu (Mt 18, 12-14) et Luc (Lc 15, 4-7). C’est dire combien l’Ancien Testament inspire le Nouveau en lui fournissant images et références !
Enfin, le texte d’Ézéchiel est repris dans un autre passage de l’évangile de Matthieu, que nous verrons justement la semaine prochaine !
D’après Clément d’Alexandrie, philosophe et Père de l’Église du 2e siècle, le Christ est un guide qui montre sa bonté – allégoriquement déployée par l’image du berger et des brebis :
« Notre Pédagogue : il s'appelle Jésus. Parfois, il se donne le nom de « berger » et il dit : « Je suis le bon berger » (Jn 10,11) ; il fait une comparaison avec les bergers qui guident leurs brebis, lui, le Pédagogue qui guide les petits enfants, le berger plein de sollicitude pour les tout-petits ; car les tout-petits, dans leur simplicité, sont appelés allégoriquement des brebis. »
Clément d’Alexandrie (ca. 150 – 215), Le Pédagogue (SC 70, 108, 158), Paris : Cerf, 1960-1970
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