Comment judaïsme et christianisme interprètent-ils le scandale de la souffrance ? Qui se cache derrière la figure du serviteur souffrant en Isaïe 53 ?
Les Dei Amoris Cantores chantent Le serviteur souffrant, d’après le chapitre 42 du livre d’Isaïe (Composition de Tanguy Dionis du Séjour).
On apprécie au passage l'illumination absolument magnifique, qui vient se mettre au diapason pour être à la hauteur de la chorale !
Mais lui, il a été transpercé à cause de nos péchés
broyé à cause de nos iniquités
le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui
et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.
On le maltraite et lui se soumet
et n’ouvre pas la bouche
semblable à l’agneau qu’on mène à la tuerie
et à la brebis muette devant ceux qui la tondent
et il n’ouvre pas la bouche.
Par l’oppression et le jugement il a été enlevé
et avec sa génération — qui a médité ?
Car il est retranché de la terre des vivants
à cause du crime de mon peuple le coup [fut] pour lui.
On lui a donné son sépulcre avec les méchants
et dans sa mort il est avec le riche
alors qu’il n’a pas commis d’injustice
et qu’il n’y a pas de fraude dans sa bouche.
Le Seigneur a voulu le briser par la maladie
s'il offre son âme pour le péché
il verra une postérité, il prolongera ses jours
et la volonté de Seigneur prospérera par sa main.
À cause de la peine de son âme il verra, il se rassasiera.
Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera beaucoup [d’hommes]
et leurs iniquités il portera lui-même.
C’est pourquoi je lui donnerai sa part parmi les grands
il partagera le butin avec les forts.
Parce qu’il a livré son âme à la mort
et qu’il a été compté parmi les malfaiteurs
et lui-même a porté la faute de beaucoup
et il intercédera pour les pécheurs.
Dans ce texte se dessine la figure énigmatique d’un serviteur appelé à souffrir, jusqu'à sa mise au sépulcre. Pourtant, malgré cette fin certaine, ses jours seront prolongés et une postérité lui sera donnée. Qui est donc ce serviteur décrit par Dieu ?
Les rabbins et les Pères de l’Église ont donné deux réponses différentes sans qu’elles soient contradictoires pour autant.
Pour les rabbins le serviteur décrit par Isaïe n’est pas forcément une personne individuelle : c’est avant tout le peuple élu qui est figuré. Voici leur interprétation de ce texte : en traversant l’histoire, le peuple élu devra subir la persécution, il sera laissé comme mort mais sa postérité sera assurée par Dieu.
Pour les rabbins, cette prophétie est donc à la fois comme :
À travers cette lecture, les rabbins magnifient la fidélité de Dieu au travers des épreuves. C’est une lecture dite corporative, qui se distingue d’une lecture individuelle.
Isaïe est un livre important de l’Ancien Testament (66 chapitres tout de même). Il a été écrit bien avant l’époque de Jésus-Christ.
Bien que les Pères de l’Église soient conscients de cet écart entre le temps de la rédaction de ce texte et la vie de Jésus, ils perçoivent une ressemblance frappante entre :
Ils font donc une lecture non pas corporative, mais individuée du texte, en discernant sous les traits de ce serviteur souffrant le Christ Jésus dans les souffrances de sa Passion.
Les deux interprétations traitent de la question de la souffrance. Le serviteur de Dieu — qu’il s’agisse du peuple de Dieu, de son Messie ou du simple croyant — ne doit pas s’attendre à un long fleuve tranquille. Il est néanmoins appelé à espérer, au-delà de toute épreuve.
Jean-Paul II le dit bien mieux que nous, ce qui n’est pas très étonnant puisqu’il endura ce que le vingtième siècle a généré de plus terrible :
Lesté d’une intime connaissance de la souffrance en sa chair, Jean-Paul II nous adresse cette parole :
« On pourrait dire que la souffrance, présentant des visages si divers à travers le monde humain, s'y trouve également pour libérer dans l'homme ses capacités d'aimer, très précisément ce don désintéressé du propre « moi » au profit d'autrui, de ceux qui souffrent. Le monde de la souffrance humaine ne cesse d'appeler, pour ainsi dire, un monde autre : celui de l'amour humain ; et cet amour désintéressé, qui s'éveille dans le cœur de l'homme et se manifeste dans ses actions, il le doit en un certain sens à la souffrance. »
Jean-Paul II, Le sens chrétien de la souffrance humaine, 1984, Cité du Vatican.
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