Découvrez pourquoi Tobie part en voyage et quitte ses parents. Pourquoi l’ange Raphaël accompagne et guide-t-il Tobie sur son chemin ?
Un peu de classique pour commencer... Et une magnifique barbe.
Ouvrons notre numéro du jour avec le quatuor intitulé Tobie composé par Charles Gounod en 1854 et ici interprété en juin 2018 par Jodie Devos, Kate Aldrich, Yosep Kang et Patrick Bolleire, accompagnés par l'Orchestre national de France.
Spoil : le bon vieux Gounod s’inspire en fait d’un Livre biblique passionnant : le Livre de Tobie. Alors place à la musique et au texte biblique… et c’est parti !
Le Livre de Tobie est un récit de voyage plein de rebondissements. Dans le passage qui suit, Tobie accepte de prendre la route et d’aller jusqu’en Médie (en Iran actuel) retrouver l’ami de son père qui lui doit de l’argent.
Alors Tobie dit en retour à son père :
— Je ferai tout ce que tu m’as recommandé. Mais comment pourrai-je prendre l’argent ? Je ne connais pas l’homme.
Et son père lui remit le manuscrit et il lui dit :
— Cherche un homme qui puisse t’accompagner et je lui donnerai un salaire si je suis en vie. Et toi, va recevoir l’argent.
Et il sortit chercher un homme et il trouva Raphaël qui était un ange mais il ne le savait pas.
Et il lui dit :
— Est-ce que je pourrai aller avec toi à Ragès de Médie et est-ce que tu connais les lieux ?
Et l’ange lui dit :
— Je partirai avec toi et je connais le chemin, j’ai même séjourné chez notre frère Raguel. [...]
Et étant rentré, [Tobie] dit à son père :
— Voici que j’ai trouvé quelqu’un qui va m’accompagner.
Celui-ci lui répondit :
— Appelle-le près de moi afin que je sache de quelle tribu il est et s’il y a sûreté à ce qu’il voyage avec toi.
Et il l’appela, il entra et ils se saluèrent mutuellement. [...]
Et Tobit lui dit :
— Frère, de quelle tribu et de quelle famille paternelle es-tu ? Fais-le moi connaître. [...]
Et l’ange dit :
— Je suis Azarias, fils du grand Ananias, un de tes frères.
Et Tobit lui dit :
— Sois le bienvenu, frère et ne te fâche pas de ce que j’ai demandé à connaître ta tribu et ta famille il se trouve que tu es mon frère qui viens d’une belle et bonne maison. [...] Mais dis-moi quel salaire j’aurai à te donner ? Un drachme par jour et ce qui sera nécessaire à toi comme à mon fils. Et je rajouterai encore à ton salaire si vous revenez en bonne santé.
Et ils furent satisfaits ainsi. Et il dit à Tobie :
— Sois prêt pour la route et bon succès.
Et son fils prit ce qu’il lui fallait pour la route.
Son père lui dit :
— Va avec cet homme. Que Dieu qui habite le ciel, vous guide au long de votre route et que son ange vous accompagne.
Ils sortirent tous les deux, et le chien du jeune homme avec eux.
Si vous avez loupé notre numéro de la semaine dernière, on résume la situation :
Ce chapitre commence par l’obéissance de Tobie à son père Tobit : « Père, je ferai ce que tu commandes » (Tb 5, 1)
Tobie accepte de prendre la route et d’aller jusqu’en Médie retrouver l’ami de son père qui lui doit de l’argent (spoil : on se moque royalement de cet argent... le cœur de l’histoire, ce sera le voyage et ses péripéties).
Tobie est donc prêt, il accepte la mission et obéit à son père… mais son bon sens le rattrape : il y a un double problème !
Pas bête pour un sou, Tobit a la solution ! En effet, il se souvient d’un contrat qu’il avait fait avec Gabaël et que les deux partis ont conservé. Ce document servira de preuve.
Résolu à partir, Tobie n’a plus qu’une chose à faire : trouver un guide pour l’accompagner jusqu’en Médie. Et voilà que… à peine sorti, Tobie tombe aussitôt sur l’homme qu’il lui faut !
« Et son père lui remit le manuscrit et il lui dit : "Cherche un homme qui puisse t’accompagner et je lui donnerai un salaire si je suis en vie. Et toi, va recevoir l’argent." Et il sortit chercher un homme et il trouva Raphaël qui était un ange mais il ne le savait pas. » (Tb 5, 3-4)
En fait, cet épisode est essentiel ! Symboliquement, il donne à voir comment Dieu se rend disponible au bon moment au bon endroit — ici, en envoyant l’archange Raphaël. Mais ce n’est pas tout !
Tobit est ensuite rassuré en apprenant que ce mystérieux homme fait partie de la famille d’Ananias. C’est bon, le guide de son fils est un homme fiable et juste. Il ne croit pas si bien dire…
En effet, l’archange Raphaël se fait passer pour un simple « fils d’Israël » en donnant un nom et une filiation qui rassurent Tobit. Mieux : avant même que Tobie n’en parle, Raphaël dit connaître Gabaël (tiens tiens, pile l’homme qui est recherché par Tobie) !
Bref, l’élément central de ce texte est le suivant : Dieu précède et trace la voie, comme un éclaireur qui va au-devant.
L’issue de cette scène est délicieuse ! Tandis que Tobie quitte ses parents et part avec Raphaël comme guide-compagnon… Tobit lui souhaite bonne route d’une façon inédite !
« Tobit dit à Tobie : "Sois prêt pour la route et bon succès."
Et son fils prit ce qu’il lui fallait pour la route.
Son père lui dit : "Va avec cet homme. Que Dieu qui habite le ciel, vous guide au long de votre route et que son ange vous accompagne." » (Tb 5, 17)
Tobit évoque Dieu et un ange qui guide Tobie… et c’est précisément (déjà) le cas, sous ses yeux aveugles ! On peut interpréter ce détail (génie des auteurs bibliques qui se régalent dans ce conte didactique) comme l’indice qui montre que Dieu veille sur nous, même quand on ne le sait pas !
En fait, l'image de « l'ange gardien qui trace la route » est un véritable motif biblique :
Dans le vocabulaire théologique, on appelle ça « la providence », c’est-à-dire la prévoyance et la prévenance de Dieu. Le terme providence est issu du latin providere qui signifie « prévoir / pourvoir ».
L’ironie est d’ailleurs redoublée quelques versets plus loin lorsque Tobit répond à sa femme Anna en pleurs (comme le dépeint le tableau de Bouguereau ci-dessus) :
« Ne t’inquiète pas, n’aie pas de crainte pour eux, ma [femme] : un bon ange l’accompagnera, son voyage réussira, et il reviendra sain et sauf. » (Tb 5, 21-22)
La fin de ce chapitre nous gratifie d’une rareté ! En effet, il s’agit du seul épisode de la Bible grecque où le chien apparaît comme une figure positive — contrairement à son image traditionnelle d'impureté dans le monde sémitique. Le texte indique en effet que les compagnons de route ne sont pas 2 mais 3 : Tobie, Raphaël… et le chien !
« Ils sortirent tous les deux, et le chien du jeune homme avec eux. » (Tb 5, 17)
Remarquez que ce détail n’a pas échappé aux peintres ! En effet, ils n’oublient pas de représenter l’animal sur les différents tableaux que nous vous avons proposés pour illustrer notre éclairage !
Le Livre de Tobie est un récit de voyage et de foi. Dans une lettre adressée à son frère, Vincent Van Gogh résume finalement bien cette métaphore de la vie comme un long voyage parsemé d’embûches et de tempêtes :
« Notre vie nous pourrions la comparer à un voyage. Nous allons du lieu où nous sommes nés vers un port lointain. Notre enfance pourrait être comparée à une partie de canot sur un fleuve ; mais bientôt, oui bientôt, les vagues deviennent hautes, le vent plus violent. Presque sans nous en être aperçu nous voilà sur la mer et la prière de notre cœur monte vers Dieu : « Seigneur, protège-moi car ma barque est si petite et ta mer si grande. » Le cœur de l’homme est semblable à la mer, il en a les marées, il en a les tempêtes ; il a sa profondeur. Il a aussi ses perles. Et le cœur qui cherche Dieu a plus qu’un autre ses tempêtes... »
Lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo, écrits de correspondances, in Judith Perrignon, C’était mon frère (Théo et Vincent Van Gogh), Paris, Gallimard, 2006, p. 43
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