Découvrez quels conseils et quels remèdes l’ange Raphaël donne à Tobie lors de leur voyage. Pourquoi Tobie est-il représenté entouré des 3 archanges ?
Tobie or not Tobie, that is the question.
Véritable best-seller, le roman de jeunesse Tobie Lolness, écrit par Timothée de Fombelle en 2006, a été traduit dans plus de 20 langues dans le monde. Il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires.
Ok, mais quel est le rapport avec la Bible ? On y vient ! Voici notre réponse en 3 points :
Le parallèle s’arrête là mais bon, le lien est quand même gigantesque ! Allez, direction l'Ancien Testament, place au Livre de Tobie désormais !
Tobie et Raphaël partent pour un long voyage. Ils se rendent dans une région lointaine pour récupérer de l’argent laissé en dépôt par Tobit, le père de Tobie. Ce texte se lit comme une bonne histoire pour enfant !
Poursuivant leur route, Tobie et Raphaël arrivèrent le soir sur les bords du Tigre et ils passèrent la nuit là. Or, le jeune homme descendit pour se baigner quand s’élança hors du fleuve un poisson qui voulut dévorer le jeune homme. Mais l’ange lui dit :
— Saisis-toi du poisson !
Et le jeune homme s’empara du poisson et le jeta sur la rive.
Et l’ange lui dit :
— Ouvre le poisson et prends le cœur, le foie et le fiel, conserve-les avec soin.
Et le jeune homme fit ce que l’ange lui avait dit, puis, ayant fait rôtir le poisson, ils mangèrent. Et ils marchèrent ensemble jusqu’à ce qu’ils arrivassent aux portes d’Ecbatane. Et le jeune homme dit à l’ange :
— Frère Azarias, à quoi servent le cœur, le foie et le fiel du poisson ?
Et l’ange lui dit :
— Pour le cœur et le foie, si quelqu’un est tourmenté par un démon ou un mauvais esprit, il faut brûler ceux-ci devant l’homme ou la femme, et alors il ne sera plus tourmenté. Et quant au fiel, il faut en enduire l’homme qui a des taies sur les yeux et il sera guéri.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, remettons un peu de contexte. Pour découvrir ce qui précède dans les 5 premiers chapitres, on vous renvoie à notre numéro de la semaine dernière : Tobie et Raphaël : top départ pour l'aventure !
En bref, Raphaël et Tobie sont partis sur les routes (sur ma route comme dit Black M). En chemin, le jeune Tobie se fait attaquer par un poisson tandis qu’il se baigne dans le fleuve Tigre. Voilà l’épisode magnifiquement peint par Peter Lastman dans le tableau ci-dessus !
Désormais, admirez et regardez attentivement le tableau de Botticini (ci-dessous).
Ce tableau est étonnant. Il représente Tobie accompagné de Raphaël… mais aussi des 2 autres archanges : Michel et Gabriel. On peut reconnaître chaque personnage au moyen de signes distinctifs :
La scène est belle : il fait grand bleu dans le ciel, quelques nuages doux et légers accompagnent les voyageurs sur leur chemin, tous les personnages sont en marche vers la même direction.
On apprécie au passage la beauté des ailes dans le dos de chaque archange : le bleu sombre pour Michel ; le doré taché de bleu reprenant le plumage du paon pour Raphaël ; le rouge vif pour Gabriel.
Dernier détail : remarquez que Michel et Gabriel regardent le spectateur, tandis que Raphaël regarde Tobie avec tendresse… et que Tobie semble regarder au loin, les yeux vers l’horizon — car la route est encore longue !
Vous l’avez remarqué en lisant le texte biblique… il n’est pas question de Michel et Gabriel dans cet épisode ! Vous pouvez chercher et compulser les 14 chapitres du Livre de Tobie (allez-y, c’est génial), vous ne trouverez pas une seule fois la mention de Michel et Gabriel. Rien.
Mais alors, pourquoi ajouter deux personnages dans ce tableau ? En fait, il s’agit d’une interprétation personnelle du peintre… mais celle-ci est loin d’être aberrante ! En effet, depuis l'an 530 et le pontificat du pape Boniface II, l'Église célèbre la fête des 3 archanges en même temps. À l'occasion de la fête liturgique de « saint Michel », les deux autres lascars sont donc également célébrés.
Ainsi, traditionnellement, quand on représente l’un des archanges, ou y ajoute les deux autres ! Voilà pourquoi Tobie et Raphaël sont ici accompagnés de Michel et de Gabriel !
Le peintre polonais Malczewski fait d'ailleurs le même choix que Botticini dans son sublime tableau ci-dessous !
Revenons au Livre de Tobie. Mordu par le poisson, Tobie suit le conseil de Raphaël et saisit son assaillant. L’image est très expressive dans le tableau de Pieter Lastman tout en haut.
Puis il prélève le cœur et le foie ainsi que le fiel dans les entrailles du poisson. Tobie obéit, certes, mais il ne perd pas son sens critique pour autant :
« Et le jeune homme dit à l’ange : "Frère Azarias, à quoi servent le cœur, le foie et le fiel du poisson ?"
Et l’ange lui dit : "Pour le cœur et le foie, si quelqu’un est tourmenté par un démon ou un mauvais esprit, il faut brûler ceux-ci devant l’homme ou la femme, et alors il ne sera plus tourmenté. Et quant au fiel, il faut en enduire l’homme qui a des taies sur les yeux et il sera guéri." » (Tb 6, 7-9)
En fait, la question de Tobie pourrait être formulée autrement :
L’ange lui répond qu’il s’agit de remède. Pour rappel, en hébreu, Rapha-el signifie « Dieu guérit » (tiens tiens)… et les chapitres précédents ont présenté 2 personnages en détresse (tiens tiens, bis) :
Finalement, le poisson (poison !) qui allait tuer Tobie devient précisément le remède qui guérira son père et chassera les démons de sa future femme. Il s'agit d'une image archétypique (coucou Jonas).
Bref, ce renversement est très biblique (et très christique, pensez à la crucifixion) : c'est par le moyen de ce qui tue... que la guérison arrive.
En fait, tout est cousu de fil blanc : Tobie récupère deux remèdes… l’un pour guérir son père Tobit, l’autre pour guérir sa future femme Sara.
La suite du chapitre raconte d’ailleurs l’arrivée de Tobie et Raphaël dans la région de Médie où (ô surprise !)... ils sont accueillis chez Ragouël, père d’une certaine Sara ! On vous laisse lire les chapitres suivants...
Le Livre de Tobie fait la part belle à un personnage secondaire que les peintres n’ont pas oublié en chemin : le chien. Ce détail a également interpellé et émerveillé l’Académicienne Florence Delay :
« Le chien qui accompagne Tobie, fils de Tobit, était aussi dans mon esprit un petit chien, comme celui qui suivait partout ma mère, mais relisant le Livre de Tobie, prenant la mesure des centaines de kilomètres qu’il a dû parcourir pour suivre son maître, je pense qu’il s’agissait plutôt d’un chien grand et robuste. [...]
Dans ce livre, un vrai roman, le chien n’est mentionné en tout et pour tout que deux fois : quand il part et quand il revient.
Qu’il n’ait pas été oublié en route est merveilleux. »
Florence Delay, Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas, Paris, Seuil, 2022, p. 47