Découvrez l’origine des langues avec Babel ! Pourquoi Dieu brouille-t-il la langue des hommes ? Quel rapport entre Babel et la Pentecôte ?
On commence en fanfare avec des stars de la chanson française.
Il y a quelques semaines à peine, en septembre 2024, Indochine a sorti un nouvel album : Babel Babel. Et dans le morceau « Babel Babel » de ce même album intitulé Babel Babel, le groupe fait directement référence à… Babel ! Ok c’est bon on a compris.
Les premières notes du morceau nous emmènent dans une ambiance de gare sur-bondée en plein cœur de Bogota, Moscou ou New Delhi : on n'entend que des bruits de voix et des sons indistincts dans diverses langues. Comme dans le récit biblique de la Tour de Babel, on ressent comme un sentiment de confusion et de vacarme ! Un peu plus loin dans le morceau, on entend :
« Plus personne ne nous comprend / Plus personne ne nous entend
Des langages si différents / Que des tangages dans la nuit des temps »
Bonus final : la Tour de Babel est carrément représentée sur la pochette de l'album. On distingue un fatras de personnes allongées devant et quelques gratte-ciel semi-détruit en arrière-plan ! Bref, la référence biblique est aussi gigantesque que cette célèbre construction... et nous, on s’est ré-ga-lé !
Cet épisode fait suite au Déluge. Les hommes décident de rester tous ensemble — ce qui va à l'encontre de la demande de Dieu. Puis ils construisent Babel, une ville avec une immense tour. Mais ce projet orgueilleux va-t-il perdurer ?
« Toute la terre avait une seule langue et les mêmes paroles.
Et il arriva que, lorsqu’ils partirent de l’Orient, ils trouvèrent une plaine en terre de Sennaar et ils s’y établirent.
Et ils dirent, chaque homme à son prochain :
— Venez, faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et ils eurent des briques en guise de pierres et du bitume en guise de ciment.
Et ils dirent :
— Allez, construisons-nous une ville et une tour dont le sommet soit dans les cieux, et faisons-nous un nom afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
Et YHWH descendit pour voir la cité et la tour que bâtissaient les fils de l’homme.
Et YHWH dit :
— Voici, il y a un seul peuple et une seule langue pour tous et ils ont commencé à faire ceci et maintenant rien ne les empêchera d’accomplir leurs projets. Venez, descendons, et confondons là leur langue de sorte que nul n’entende plus la parole de son prochain.
Et YHWH les dispersa de là sur la face de toute la terre et ils cessèrent de construire la ville.
C’est pourquoi on l’appela du nom de « Babel » car c’est là que YHWH confondit le langage de toute la terre et c’est de là que YHWH les a dispersés sur la face de toute la terre. »
Si vous avez loupé notre numéro de la semaine dernière, on vous résume un peu la situation :
Mais comment Dieu s'y prend-il ?
En « descendant », Dieu constate les projets des hommes. Puis il les met littéralement à plat, comme un château de cartes qui s’effondre en un clin d’œil !
« Et YHWH dit : “Voici, il y a un seul peuple et une seule langue pour tous et ils ont commencé à faire ceci et maintenant rien ne les empêchera d'accomplir leurs projets. Descendons, et confondons là leur langue de sorte que nul n'entende plus la parole de son prochain”. » (Gn 11, 7)
Voilà que Dieu brouille cette langue unique ! En fait, cela a deux grandes conséquences :
Dieu met ainsi fin à leur projet qu'il considère orgueilleux et démesuré. Les savants qui aiment le grec ancien parlent aussi de « l’hubris ».
Pourquoi Dieu, qui aime l'harmonie et l'ordre, crée-t-il une telle cacophonie et un tel désordre ? Est-ce une punition pour abaisser l'orgueil des hommes et mettre fin à leur projet ?
Tout bien considéré, la confusion causée par Dieu est-elle une malédiction ou une bénédiction ?
Un autre passage de la Bible, dans le Nouveau Testament, met aussi en scène des personnages qui se mettent à parler plusieurs langues.
Sauf que la diversité des langues ne vient pas dissiper un projet orgueilleux… elle permet aux apôtres de se faire comprendre dans toutes les langues. La scène se passe au moment de la Pentecôte, après la Résurrection, au tout début des Actes des Apôtres :
« Et tous furent remplis de l'Esprit Saint et ils se mirent à parler en d'autres langues selon ce que l'Esprit Saint leur donnait à prononcer. La foule s'assembla et fut bouleversée parce que chacun les entendait parler en sa propre langue. » (Ac 2, 4.6)
On peut clairement tisser un parallèle entre ces deux épisodes : la Pentecôte, c'est l'anti-Babel, ou peut-être un second Babel !
Pour l’anecdote vocabulaire goodies, on parle de xénoglossie (ou encore de xénolalie) pour désigner ce don qui consiste à parler ou à écrire dans une langue étrangère sans l’avoir jamais apprise ! Ainsi, à la Pentecôte, l’Esprit Saint rend possible la xénolalie pour les Apôtres !
D’ailleurs, cet épisode ne re-forme pas un seul peuple et une seule langue. Au contraire, la réalité de la multiplicité des langues est assumée et sublimée !
Pour conclure, le parallèle de Babel et la Pentecôte est révélateur de plusieurs choses :
Pourquoi ne revient-on pas à la situation de départ ? En effet, dans les Actes des Apôtres, il y a bel et bien plusieurs langues ! Voici deux éléments de réponse :
L'épisode de la Pentecôte résout donc une division en instaurant une compréhension — sans pour autant revenir à la situation initiale. Bref, les langues sont rendues accessibles sans être traduites en une seule. Leur richesse est conservée !
Merci à Laurence qui a en partie inspiré cet éclairage !
Finissons en philosophie avec Philippe Fontaine, professeur de philosophie et maître de conférence à l’Université de Rouen. Il revient sur la richesse qu'occasionne la pluralité des langues et la multiplicité culturelle qu'elle implique.
« Si les langues sont différentes entre elles, ce n’est pas que les termes qu’elles utilisent pour dire le monde soient différents, mais bien plutôt que la perspective prise sur le monde est elle-même différente. Et cette différence de perspective, de focalisation, pour ainsi dire, ne fait qu’exprimer la différence d’approche de la réalité selon les cultures. Chaque société se définit par une certaine perception du réel liée à un système de valeurs qui lui est propre. »
Philippe Fontaine, cours intitulé « Le défi de la traduction : de l'impossible "traduction absolue" au généreux "pouvoir de traduire" », Université de Rouen, 2009
Dieu confond la langue des hommes qui deviennent alors incapables d'interagir entre eux et de mener un projet commun. La construction s’arrête. Pourtant, en créant plusieurs langues et en dispersant les hommes, Dieu les rend uniques. En quelque sorte, cela leur rend leur individualité.
Déjà, cela met fin à la construction de Babel, car les hommes sont incapables de se comprendre donc de se coordonner dans le projet. De plus, la création des langues rend à chaque homme et à chaque peuple son individualité, en lui permettant de déployer une culture qui lui est propre.
En fait, dans l’épisode de la Pentecôte, par l’action de l’Esprit Saint, les hommes deviennent capables de comprendre plusieurs langues. Seulement, par rapport à Babel, ils ne sont pas divisés. La richesse et la pluralité des langues est conservée, mais rendue accessible !