Découvrez la rencontre entre Marie et Élisabeth, toutes les deux enceintes. Comment se passe la scène ? D’où vient le Je vous salue Marie ?
Un monstre sacré de la musique pour commencer.
Lors d’un fabuleux concert donné à Los Angeles en 1994, le ténor italien Luciano Pavarotti interprète le célébrissime Ave Maria de Schubert.
« Ave Maria », c’est la version latine de l’expression « Je vous salue Marie »... mais ce sont aussi et d'abord les paroles que l’ange Gabriel prononce juste avant d'annoncer à Marie qu’elle sera la mère de Jésus, Dieu-fait-homme.
Vient ensuite un autre épisode, non moins célèbre et tout aussi sublime : la rencontre entre Marie et sa cousine Élisabeth. Allez, direction l’évangile de Luc !
Juste après l’annonce de l’ange Gabriel à Marie (l’Annonciation), le passage qui suit raconte la Visitation. Marie est enceinte et rend visite à sa cousine Élisabeth, elle aussi enceinte.
Se levant en ces jours-là, Marie partit en hâte pour la région des montagnes, vers une ville de Juda et elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Et il se fit, lorsqu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, que l’enfant bondit dans son sein et qu’Elisabeth fut remplie d’Esprit Saint.
Elle s’écria d’une voix forte et dit :
— Bénie es-tu entre les femmes ! et béni le fruit de ton ventre ! Mais d’où m’arrive-t-il que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car, vois-tu, dès que la voix de ta salutation s’est fait entendre à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein ! Bienheureuse celle qui a cru, car ce qui lui a été dit par le Seigneur s’accomplira.
Le passage que vous venez de lire raconte la rencontre entre deux femmes enceintes : Marie et Élisabeth. À ce stade, au milieu du chapitre 1, les principaux personnages ont déjà été présentés. Il s’agit des membres de deux familles :
Mais ce n'est pas tout ! À vrai dire, deux autres personnages tiennent également une place fondamentale. Souvent oubliés, ils donnent pourtant tout son sens à la succession de scènes qui rythment le chapitre 1 de l’évangile de Luc :
Bref, le relevé des personnages présents dans ce chapitre indique que le récit retracé par Luc est à la fois une histoire humaine et une histoire divine.
En bref, voici la succession des personnes remplies par « l’Esprit Saint » :
Six mois plus tôt, l’ange Gabriel annonce à Zacharie que son fils « sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère »… et la première manifestation de cette présence divine ne tarde pas !
« Lorsqu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie d'Esprit Saint » (Lc 1, 41)
L’évangéliste Luc prend donc le soin de souligner que Jean-Baptiste assume effectivement sa mission de prophète... dès le ventre de sa mère ! Car il devient en quelque sorte contagieux in utero et sa mère devient elle aussi remplie d'Esprit Saint !
Ainsi, par la mention explicite et répétée de « l’Esprit Saint » tout au long de ce chapitre, l’évangéliste Luc souligne la présence de Dieu au cœur de cette histoire.
Anecdote pour la route : sachez que Luc est l’évangéliste qui insiste le plus sur la place capitale de l’Esprit Saint au cœur de la vie de Jésus.
« Élisabeth s’écria d’une voix forte et dit : "Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton ventre !" » (Lc 1, 42)
Ces paroles d'Élisabeth sont magnifiques. Elles sont d'ailleurs à l’origine de la troisième phrase du fameux Je vous salue Marie. Voici les paroles :
[Gabriel] Je vous salue Marie, pleine de grâce. Le Seigneur est avec vous. // [Élisabeth] Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. // Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen
En fait, cette prière reprend deux paroles bibliques :
Au passage, remarquons qu'un certain nombre de prières sont directement issues des Écritures — comme le Notre Père par exemple ! Rappelons que, pour les croyants, la Bible est une parole inspirée par Dieu. Cela signifie que les mots avec lesquels ils prient sont des mots eux-mêmes donnés par Dieu.
Dit autrement (de façon plus théologique) : la Parole donne à l’orant ses paroles — ou encore : Dieu donne aux hommes des mots pour s’adresser à Lui. Comme un père ou une mère qui apprend le langage à son enfant.
Élisabeth reçoit une connaissance surnaturelle. Par l’Esprit Saint, elle sait que Marie est enceinte… alors que ça ne se voit pas ! En effet, Marie est enceinte car elle vient de recevoir l’annonce de l’ange Gabriel (l’évangile ne précise pas exactement le cadre temporel).
Elle part en hâte, juste après l'annonce de l'ange, et sa grossesse n’est pas encore visible. Pourtant, Élisabeth pressent que Marie est enceinte. Remarquez que ce détail n'a pas échappé à Juan Tejerina : dans le tableau ci-dessus, Élisabeth touche le ventre de sa jeune cousine. Mais ce n'est pas tout...
« D’où m’arrive-t-il que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? [...] Bienheureuse celle qui a cru, car ce qui lui a été dit par le Seigneur s’accomplira. » (Lc 1, 43.45)
Marie n’a pas encore parlé… mais Élisabeth sait. Elle sait que sa cousine est enceinte et porte « le Seigneur » dans son sein.
Dit de façon savante un peu stylée : pour Élisabeth, le fruit de l’Esprit Saint, c’est de reconnaître et saluer le fruit de Marie — i.e. Jésus, Dieu-fait-homme.
La rencontre entre Marie et Élisabeth est plus qu’une rencontre entre deux femmes. C’est une rencontre entre deux femmes enceintes, magnifiquement interprétée par Rainer Maria Rilke dans ce poème sublime :
Tout alla bien pour elle au commencement,
mais déjà en montant elle sentit maintes fois
le miracle opérer dans son corps
– alors elle s’arrêtait et respirait sur les hautes
collines de Judée. Cependant s’étendait autour d’elle
non le paysage mais sa propre plénitude.
Elle savait ceci à chaque pas : on ne surpasserait jamais
la grandeur qu’elle éprouvait maintenant.
Et il lui tardait de poser la main
sur le sein de l’autre au fruit plus mûr.
Et les femmes, l’une vers l’autre chancelant,
caressèrent leurs robes et leurs chevelures.
Chacune, pleine de son dépôt sacré,
prenait refuge en sa parente.
Ah ! le Sauveur en Marie n’était encore qu’en fleur,
pourtant déjà dans le sein de l’aînée
le joie fit bondir le Baptiste.
Rainer Maria Rilke (1875-1926), La vie de Marie, Paris, Arfuyen 2013, trad. Claire Lucques