Que signifie la métaphore de « l’arbre planté près d’un ruisseau » ? D’où vient cette image ? Réponse avec le Psaume 1 !
À la suite du numéro de la semaine dernière, nous poursuivons l’étude du Psaume 1 aujourd'hui — car il y a tant à dire sur ces six petits versets !
Pour commencer en musique, direction l’Angleterre. Sous la direction d’Andrew Millington, la chorale de la cathédrale d’Exeter nous ouvre la voie et interprète mot pour mot le psaume 1 dans la langue de Shakespeare.
Un psaume est une prière poétique. Le passage suivant est le psaume 1, autrement dit le premier du Livre des Psaumes.
Heureux l’homme qui ne va pas au conseil des impies
qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs
et qui ne s’assied pas dans la compagnie des moqueurs,
mais qui a son plaisir dans la loi de YHWH
et qui la médite jour et nuit.
Il est comme un arbre planté près des cours d’eaux
qui donne son fruit en son temps
et dont le feuillage ne se flétrit pas :
tout ce qu’il fait réussit.
Il n’en est pas ainsi des impies
ils sont comme la paille que le vent emporte.
Ainsi les méchants ne se relèveront pas au jugement
ni les pécheurs au rassemblement des justes
car YHWH connaît la voie des justes
et le chemin pécheurs mène à la ruine.
Dans le numéro de la semaine dernière, nous avons analysé ce même premier psaume en montrant pourquoi il résume tout le psautier de A à Z et comment il fait écho à la Genèse aussi bien qu’au Livre de Josué.
Mais ces six petits versets sont si riches et si denses qu’on n’aura jamais épuisé leur signification et leur beauté. Alors on repart pour un tour : même texte, mais éclairage différent !
« Heureux l’homme... qui a son plaisir dans la loi de YHWH
et qui la médite jour et nuit. » (Ps 1,2)
Ce verset parle d'un plaisir et évoque une béatitude exquise : se délecter de l’Enseignement divin. Le verset 2 du Psaume 1 fait explicitement écho à ce que Dieu dit à Josué avant d’entrer en Terre Promise :
« Que ce livre de la Loi ne s’éloigne pas de ta bouche
et tu le murmureras jour et nuit
en veillant à faire selon tout ce qui y est écrit
car alors tu rendras prospères tes chemins et alors tu réussiras. » (Jos 1,8)
Notez d’ailleurs que, dans l’expression du « plaisir dans la Loi du Seigneur », le terme « la Loi » traduit le terme torah en hébreu. Comme nous l’expliquons dans cet (excellent) article, le mot torah peut aussi bien se traduire par loi que par enseignement — ces deux traductions complémentaires permettent ainsi de ne pas réduire ce terme si complexe à une unique traduction…
Mais que signifie « murmurer » l’enseignement de Dieu ? S’agit-il de le ruminer, de le répéter sans cesse, de le chuchoter ?
À l’époque, en Israël ancien et même beaucoup plus tard, on avait coutume de lire à voix haute. Dans le cas des textes bibliques, les murmures soutenaient la réflexion et la prière. Ce moyen concret intégrait le corps à l’activité contemplative, de manière à entretenir une attitude méditative qui dure « jour et nuit ».
Encore aujourd’hui, cette pratique perdure. Prenons l’exemple des Juifs qui parlent à mi-voix en dodelinant en avant en arrière lors de récitation de prières ; ou encore les moines ou moniales qui chantent les psaumes.
En fait, l’objectif ici visé est la méditation. Mais cette méditation est également appelée à en passer par une piété extérieure. La meilleure illustration de cela se trouve dans un autre livre biblique : le Premier Livre de Samuel (comme souvent, la Bible s’éclaire par elle-même, d’un livre à l’autre et par le jeu des échos et reprises). La prophétesse Anne, mère du prophète Samuel, est l’exemple parfait de quelqu’un qui « murmure la Loi du Seigneur » :
« Tandis qu’elle multipliait ses prières devant YHWH, Éli observa sa bouche. Anne parlait en son cœur, seules ses lèvres remuaient et sa voix ne se faisait pas entendre. Éli pensa qu’elle était ivre. » (1S 1, 12-13)
Le long processus d’assimilation de la Parole « jour et nuit » souligne l’action de Dieu au fil du temps plutôt que dans l’immédiat. En effet, la méditation de la Parole met l’homme en situation de disponibilité toujours plus grande à recevoir le don de Dieu. Un travail au temps long, finalement…
L’évocation d’un « arbre » est hautement symbolique. Il s’agit en effet d’un thème ultra-classique dans le répertoire biblique, à commencer par le Livre de la Genèse. L’arbre planté près d’un ruisseau (Ps 1,3) fait évidemment référence à l’arbre de la vie dans le jardin d’Eden (Gn 2,9). Il s’agit d’un symbole de fertilité et de bonté.
Mais l’image de l’arbre qui pousse et fleurit se retrouve également un peu plus loin dans le Psautier, selon la même symbolique : l’homme juste est comparé à un arbre qui pousse et s’élève magnifiquement.
« Le juste croîtra comme le palmier
il s’élèvera comme le cèdre du Liban
plantés dans la maison de YHWH
ils fleuriront dans les parvis de notre Dieu.
Ils porteront encore des fruits dans la vieillesse
ils seront pleins de sève et verdoyants
pour annoncer que YHWH est droit
qu’il est mon rocher, et en lui point d’injustice. » (Ps 92, 13-16)
Ailleurs encore, la même image et presque le même passage que Ps 1,3 mot pour mot se retrouvent également dans le Livre des Proverbes :
« Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse et l’homme qui a acquis l’intelligence ! [...] Ses voies sont des voies délicieuses ; tous ses sentiers, des sentiers de prospérité. Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’y cramponnent et heureux celui qui s’y attache. » (Pr 3, 13.17-18)
Ça c’était pour l’Ancien Testament, mais l’image de l’homme juste qui est comme un arbre qui pousse et produit de bons fruits, est aussi très courante dans le Nouveau Testament. Elle se retrouve ainsi dans la bouche de Jésus lorsqu’il parle en parabole à la fin du Sermon sur la montagne dans l’évangile de Matthieu :
« Tout arbre bon fait de bons fruits et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. » (Mt 7, 17)
Bref, l’image du juste comparé à un arbre est devenue un célèbre refrain biblique — c’est tout sauf une métaphore anodine !
Ce psaume est une merveille littéraire. Penchons-nous simplement sur le premier verset, décomposé en trois vers :
« Heureux l’homme qui ne va pas au conseil des impies
qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs
et qui ne s’assied pas dans la compagnie des moqueurs » (Ps 1, 1)
En trois vers géniaux, le poète-psalmiste présente la voie à ne pas suivre. Mieux, il exprime cela à travers une gradation qui dit l’enlisement et la corruption qui va de mal en pis :
Tout au long de ce psaume se détache une claire opposition entre deux voies : la voie du juste et la voie du méchant.
Notons au passage que ce psaume décrit des comportements ou des types, et non des personnes. En effet, chacun de nous est tour à tour le « juste » et le « méchant ».
Ce type de rhétorique qui présente « deux chemins » se retrouve également dans un célèbre passage du Deutéronome. Dieu s’adresse au peuple d’Israël à travers la bouche de Moïse :
« J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre. J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction : choisis donc la vie pour que tu vives, toi et ta descendance en aimant YHWH ton Dieu en écoutant sa voix et en t’attachant à lui car cela c’est ta vie et de longs jours. » (Dt 30, 19-20)
Le jeu d’opposition entre le juste et le méchant se décline magnifiquement. Revenons sur le verset 3 : « Il n’en est pas ainsi des impies : ils sont comme la paille que le vent emporte. » (Ps 1,3)
La tige sèche et morte emportée par le vent s’oppose à l’arbre vivant planté et solidement enraciné.
Dans la tradition chrétienne, la présentation de deux chemins évoque forcément un célèbre passage… En effet, dans le Nouveau Testament, dans l’évangile de Jean, le Christ lui-même dit : « Je suis le chemin » (Jn 14, 6).
Or, Jésus était juif, il connaissait donc très certainement les 6 petits versets de ce psaume 1 par cœur — étant donné que les Psaumes constituent la prière de base dans la tradition juive.
À plusieurs reprises, les évangiles rapportent que Jésus « chante les hymnes », parfois traduit « chante les psaumes » (en Mt 26, 30 ou Mc 14,26 au moment de l’agonie à Gethsémani). Ainsi, la célèbre formule du Christ n’est pas sans lien avec ce psaume.
Finalement (et c’est toute la beauté et la merveille des psaumes pour les Juifs et les Chrétiens qui tiennent ces poèmes pour des textes inspirés) : Dieu donne aux hommes des mots pour s’adresser à Lui. Car la prière des Psaumes s’adresse à Dieu avec des mots inspirés par Dieu — mais que le priant fait siens. Comme un père ou une mère qui apprend à son enfant à parler...
Le Psaume 1 tient une place toute particulière dans la tradition juive. Dans un midrash (une histoire qui interprète les versets bibliques), les rabbins soulignent l’emploi d’un verbe inattendu, et en donnent une interprétation savoureuse :
« Le verset [Ps 1,3] n'emploie pas le mot nāṭūa‘ (planté) mais plutôt šātul (fixé solidement), signifiant par là que même si les vents surviennent et soufflent sur l'homme juste, ils sont incapables de le faire bouger de sa place. »
The Midrash on Psalms, trad. William Gordon Braude (1907-1988), 2 vol. (Yale Judaica Series 13/1-2), New Haven CT : Yale University Press, 1959
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