Dans quel contexte Jésus confie-t-il à Pierre les « clés du paradis » ? Pourquoi Jésus donne-t-il un nouveau nom à Simon en l’appelant désormais « Pierre » ?
En 1973, Michel Sardou rend hommage à saint Pierre dans le titre Tu es Pierre. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ses références sont assez justes et très proches du texte même de l'Évangile !
Dans un autre style, la grande Jane Birkin chante « J’ai les clés du paradis » en 1998. On n’ira pas dire que c’est faux, mais disons qu’il y en a un autre qui a effectivement reçu ce fameux jeu de clés !
L’épisode qui suit intervient au cours de la vie publique du Christ, après la marche sur les eaux et directement avant l'annonce de sa Passion.
Étant venu dans la région de Césarée de Philippe, Jésus interrogeait ses disciples en disant :
— Que disent les hommes : Suis-je le Fils de l’homme ?
Et ils dirent :
— Les uns disent : Jean le Baptiste ; d’autres : Élie; d’autres encore : Jérémie ou un des prophètes.
Il leur dit :
— Vous, qui dites-vous que je suis ?
Répondant, Simon-Pierre dit :
— Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
Répondant, Jésus lui dit :
— Heureux es-tu Simon Bariona, car chair et sang ne t’ont pas révélé [cela], mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je te dis que tu es « Pierre », et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Hadès ne l’emporteront pas sur elle et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux.
Ici, la question vient de Jésus lui-même. Et c’est d'ailleurs la question centrale qui occupe les années que Jésus partage avec ses disciples : révéler le Père par le Fils dans l'Esprit (oui, toutes les personnes de la Trinité sont de la partie !)
Jésus provoque ses disciples, il veut les amener à se rapprocher du mystère. Il les convoque, et les force à se situer :
— Vous, qui dites-vous que je suis ? (Mt 16, 15)
Or, cette question est également à entendre à l'aune de ce qui suit au chapitre juste après : la Transfiguration (Mt 17, 1-9), c'est-à-dire la manifestation physique de la gloire et de la divinité éclatante de Jésus.
Ce passage est surtout connu comme l'épisode où Jésus donne un nouveau nom et un fameux jeu de clefs à l'un des 12 apôtres.
Mais lire l'extrait de la sorte, c'est passer bien vite sur un point déterminant : l'acte de foi de Simon-Pierre qui répond à Jésus en lui conférant un titre messianique.
Jésus dit aux disciples :
— Vous, qui dites-vous que je suis ?
Répondant, Simon-Pierre dit :
— Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. (Mt 16, 15-16)
Étymologiquement, le mot grec christos (qui a donné Christ en français) signifie littéralement « oint » et désigne celui sur qui repose l’onction de Dieu. Simon-Pierre accorde ainsi un titre particulier à Jésus. Il ne reconnaît peut-être pas encore en Jésus la deuxième personne de la Trinité, mais il s'en approche.
Et déjà, deux chapitres auparavant, lors de l'épisode de la marche sur les eaux dont nous parlions la semaine dernière, le récit culmine avec la question de l’identité de Jésus.
Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant lui en disant :
— Vraiment tu es Fils de Dieu. (Mt 14,33)
Jésus lui-même reconnaît que la réponse de Pierre est surnaturelle et qu'elle vient du Père. Cette grâce reçue est visible de tous, et ce don du Père est suivi par le don d'un nouveau nom et d'une nouvelle mission par le Christ.
— Heureux es-tu Simon Bariona, car chair et sang ne t’ont pas révélé [cela], mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je te dis que tu es « Pierre », et sur cette pierre je bâtirai mon Église (Mt 16, 17-18)
Le nom commun grec petros, la pierre, n'était pas un prénom avant que Jésus ne l'utilise pour le chef des apôtres. Ainsi, Jésus crée un jeu de mot et choisit un nom qui symbolise le rôle de Simon-Pierre dans la fondation de l'Église.
Or, dans les Écritures, le don du nom est un acte symbolique très fort.
Dans les cultures antiques, le nom a l'intention de signifier l’identité profonde de la personne. En conférant un nouveau nom à Pierre, Jésus lui confie donc une nouvelle mission.
Saint Pierre est régulièrement représenté comme le gardien des portes du Paradis. Homer Simpson en fait lui aussi l'expérience, face à un superbe saint Pierre barbu et paisible, assis derrière un bureau confortable.
Et moi je te dis que tu es « Pierre », et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 18-19)
Dans les écrits juifs de l'époque, la clef symbolise le pouvoir et l'accès à la connaissance. La mention des clefs symbolise l’autorité particulière que Jésus confie à Pierre.
Dans le Livre d'Isaïe, dans l'Ancien Testament, Eliakim reçoit la clef de la maison de David. Dès lors, il est le maître du palais. Autrement dit : il devient le majordome, et le passage obligé quand on cherche à accéder au roi.
Je mettrai la clef de la maison de David sur son épaule, s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira. (Is 22, 22)
De même, Pierre reçoit les clefs du Royaume des cieux, et donc le pouvoir d'en ouvrir ou d'en fermer son accès.
On vous donne donc un indice pour distinguer Pierre dans les sculptures ou peintures représentant les apôtres : il est souvent représenté avec des clefs dans les mains, à l’image de cette majestueuse sculpture dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran, à Rome.
La semaine prochaine, on continuera de parler de Pierre, en évoquant cette fois l'épisode du reniement !
L’institution de Pierre comme chef de l’Église fait suite à une question posée par le Christ, à laquelle Pierre répond par une profession de foi reconnaissant Jésus comme Dieu. Et c’est sur ce point que nous finissons le numéro d’aujourd’hui :
« Dans l’évangile de Matthieu, la question [pour vous, qui suis-je ?] couronne toute une pédagogie et témoigne d’un respect. Jésus pourrait s’affirmer, s’imposer. Il ne pourrait le faire pourtant qu’avec des mots connus, attendus, qui justement ne correspondraient pas à son mystère. C’est librement que ses disciples doivent pressentir son extraordinaire nouveauté. La question en appelle à leur liberté. Elle introduit un doute – et c’est justement l’espace de cette liberté par rapport aux réponses toutes faites, toutes prêtes quand pullulaient faux prophètes et faux messies. C’est aussi la question de l’amour, que tout être humain souhaite, un jour ou l’autre, poser à celui, à celle qu’il aime : « Qui suis-je pour toi ? » Ce qui rejoint le « Pierre, m’aimes-tu ? » de la finale de Jean. »
Olivier Clément (1921-2009), Mémoires d’espérance, Paris, Desclée De Brouwer, 2003, p. 34
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