L'apocalypse est-elle vraiment la fin du monde ? Quelle est l'étymologie et le sens de ce terme dans les Écritures ? Ce texte biblique a-t-il influencé les liturgies chrétiennes ?
L'hymne des chérubins est un des chants les plus emblématiques de la liturgie orthodoxe et reprend les paroles des Séraphins dans le chapitre 6 d'Isaïe. Et on vous a déniché une magnifique version française !
Dans l’année de la mort du roi Uzziyyahu je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé et les pans de sa robe remplissaient le temple.
Des Séraphins se tenaient au-dessus de lui ; [il y avait] six ailes pour l'un et six ailes pour l'autre ; de deux ils se couvraient la face et de deux ils se couvraient les pieds et de deux ils volaient.
Et ils criaient l’un à l’autre et disaient :
— Saint, saint, saint est le Seigneur des armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire.
Les fondements des portes étaient ébranlés par la voix de celui qui criait et la maison se remplit de fumée.
Alors je dis :
— Malheur à moi : je suis perdu ! car je suis un homme aux lèvres souillées et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres souillées et mes yeux ont vu le roi, le Seigneur des armées.
Mais l’un des séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent qu’il avait pris sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit :
— Vois, ceci a touché tes lèvres ; ton iniquité sera enlevée et ton péché expié.
Le texte que nous vous présentons aujourd’hui est une apocalypse. Oui parfaitement.
Le mot « apocalypse » vient du grec apocaluptein qui signifie « découvrir », « dénuder ».
On vous propose une petite définition : une apocalypse est un dévoilement, une révélation des réalités célestes donnée par Dieu à un homme, souvent dans une vision.
D'ailleurs, il y a plusieurs apocalypses dans la Bible. Les plus célèbres sont contenues dans le livre de l’Apocalypse placé à la fin du Nouveau Testament. Ce livre présente des visions célestes de la fin des temps. C’est pour cela que le terme « apocalypse » a peu à peu acquis le sens commun de fin des temps, voire de catastrophe, qui n’est pourtant pas son sens initial.
Ces apocalypses ou visions célestes ont influencé de manière essentielle les liturgies chrétiennes. Les paroles des Séraphins rapportées par Isaïe dans ce chapitre 6 sont ainsi reprises en Orient comme en Occident à chaque liturgie eucharistique : « Saint, Saint, Saint le Seigneur ».
Les liturgies chrétiennes puisent leur matériau dans la révélation biblique : leurs racines se trouvent dans ces visions célestes. Pour les croyants, les offices liturgiques ne sont pas d’abord faits de main d’hommes ni les simples fruits d’une tradition humaine, mais l’écoute et la performance visible d’un message révélé.
Le croyant est donc appelé à ne pas se contenter d'un rite terrestre mais à goûter d’ores-et-déjà aux beautés célestes en reprenant les paroles des séraphins. C’est ce que font les chrétiens orthodoxes lorsqu'ils entonnent l’hymne des chérubins : « Nous qui, dans ce mystère, représentons les chérubins et chantons l’hymne trois fois sainte. »
Lorsque ce chant résonne, le prêtre encense l’autel et une fumée s’élève comme un écho à « la maison [qui] se remplit de fumée » dans le texte d’Isaïe.
Pour aller plus loin, on vous propose d'écouter cette conférence d'Antoine Guggenheim, éminent professeur au Collège des Bernardins. Son propos est très profond et très éclairant ! Il prend pour point de départ la phrase prononcée par Jésus à Gethsémani au moment de son agonie :
« Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul » (Mt 24, 36)
Le lieu divin, ce lieu où se tient l’Être a été un objet permanent de spéculation pour les philosophes de l’Antiquité. Ainsi à Athènes, Platon déplore dans le Phèdre :
« Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel, aucun poète, parmi ceux d’ici-bas, n’a encore chanté d’hymne en son honneur, et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne. »
Visiblement, Platon ne connaissait ni l'hymne des chérubins, ni le chapitre 6 d'Isaïe. Sa réflexion sur le lieu céleste met en avant un contraste important entre la pensée platonicienne et la pensée biblique : pour les uns Dieu est inconnaissable, inaccessible, pour les autres, Il se donne à voir, Il se laisse contempler.
Platon, Phèdre, Paris, ed. Gallimard-Flammarion, réed. 2012