Au septième jour de la Création, Dieu est-il paresseux ?

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Le récit biblique de la Création du monde suggère que Dieu se repose au septième jour. Quelle est la distinction entre "faire" et "créer" dans le texte hébreu ? Quelle place Dieu laisse-t-il à l'homme ? Qu'est-ce que cela révèle du lien que Dieu veut nouer avec l'humanité ?

4 minutes et 46 secondes avec Joseph Haydn, Gustav Klimt, Raphaël, Rubens et toute la Création
Dernière mise à jour -  
9/10/2023

Une mélodie viennoise de Haydn pour raconter la Création

Entamer un numéro PRIXM avec des mélodies du classicisme viennois, c’est tout bonnement somptueux. Aujourd'hui, on ouvre le bal en musique avec l’oratorio Die Schöpfung, joué en concert au Palais d'Esterházy, à Eisenstadt, en Autriche, à l’occasion du 200e anniversaire de la mort de Joseph Haydn, en 2009.

Joseph Haydn (1732-1809) composa cet oratorio entre 1796 et 1798. Die Schöpfung (La Création en VF) est un chef-d'œuvre : trois solistes représentent trois anges qui racontent et commentent les six jours de la création du monde selon la Genèse : Gabriel (soprano), Uriel (ténor) et Raphaël (basse).

Six jours, parce qu’au septième jour, Dieu se repose. Et il est justement question de ce repos dans notre éclairage !

Le texte biblique qui raconte le repos de Dieu après la Création du monde

On avait déjà parlé de cette histoire de « Création du monde en 7 jours » dans un article précédent. Ici, ce verset raconte le dernier jour. On peut difficilement trouver texte biblique plus court, alors ça devrait aller !

Et Dieu bénit le septième jour,

il le sanctifia

car en lui il se reposa de tout son travail

que Dieu créa pour faire.

Livre de la Genèse, Chapitre 2, verset 3. Traduit de l’hébreu par les équipes de notre programme de recherches La Bible En Ses Traditions.

Dieu fait-il les choses à moitié lors de la création de l'homme ?

Gustave Klimt (1862–1918), L'arbre de vie, triptyque (1909 ; ici : étude préparatoire ; fresque ultime : palais Stoclet, Bruxelles) ; Musée des Arts Appliqués, MAK, Vienne (Autriche). Domaine public.

Une formule bizarre dans le texte hébreu

Oui, vous avez bien lu, ce verset du Livre de la Genèse ne semble pas très français, mais c’est la traduction très littérale du texte hébreu du récit de la Création. On vous le remet là au cas où vous n'auriez pas été attentifs :

Et Dieu bénit le septième jour, il le sanctifia car en lui il se reposa de tout son travail que Dieu créa pour faire.

En plus de piquer un peu les yeux des grammairiens, ce « pour faire » est assez troublant : le verset précédent nous apprend que Dieu cesse de travailler le septième jour car il avait fini son travail.

  • Mais si son travail est fini, que reste-t-il à faire ?
  • Pourquoi le travail fini n’est-t-il pas complètement fini ?
  • A qui incombe la responsabilité d’achever ce qui reste en suspens ?
Raphaël (1483-1520), La Séparation de la terre et de l'eau (fresque, 1518), Loges du Vatican, Rome. Domaine public.

Un Dieu qui se risque à la coopération avec sa création

André Wénin, bibliste et théologien belge contemporain, nous aide à répondre à toutes ces questions.

« Quand [Dieu] a achevé « toute son œuvre » en se retirant, tout n’est pas fait. Paradoxe d’un Dieu qui, pour achever sa création, ne la fige pas dans une perfection stérile, mais prend le risque de laisser des points de suspension. » *

*André Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Lectures de Genèse 1,1 – 12,4, Lire la Bible, Cerf, p.36

Mais, si la continuation de la Création revient aussi à l’homme, se pose alors cette question pratique : comment l'Homme peut-il être créateur lui aussi ?  

Alors revenons aux origines (Gn 1, 26a - 27a) :

« Et Dieu dit : Faisons l’homme en notre image, comme notre ressemblance [...]. Et Dieu créa l’homme en son image. »

Petite distinction entre « faire » et « créer »

En effet, Dieu avait pour projet de faire l’humain, et il se contente de le créer !

Du coup, petite question un peu provocatrice mais pas si idiote : Dieu fait-il les choses à moitié ? Nouvelle réponse du théologien belge :

« Le récit indique que, dans la création des humains, Dieu réalise la part qui lui revient en propre, à savoir « créer ». Mais quelque chose reste encore à « faire ». Et qui le pourra, sinon les humains eux-mêmes ? En disant  « faisons » - à la première personne du pluriel -, Dieu se parle non seulement à lui-même, comme on le dit souvent, mais aussi aux humains pour les inviter à parachever par leur « faire » l’agir créateur de Dieu. » *

*André Wénin, Pas seulement de pain… Violence et alliance dans la bible, Lectio Divina 171, Cerf, p.27

Jan Brueghel l’Ancien (1568-1625) et Peter Paul Rubens (1577-1640), Adam et Eve dans le jardin d’Eden (huile sur panneau, ca. 1615), 74,3 x 114,7 cm. Royal Picture Gallery Mauritshuis, The Hague, Domaine public.

L’homme à l’image de Dieu mais non à sa ressemblance ?

Il resterait donc une dernière différence entre le plan et l’exécution de l’homme… Le projet de création de l’homme était de « faire l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Or, lorsque Dieu se contente de créer l’homme à son image, la ressemblance a disparu.

Petit oubli ? Cette fois, c’est Basile de Césarée (329-379), grand théologien et Père de l’Église des premiers siècles, qui vient nous aider. Ça ne rigole plus.

- Pourquoi n’est-il pas dit « Et Dieu créa l’homme à l’image de Dieu et à sa ressemblance » ? Le Créateur était-il impuissant ?
- Propos impie !
- Mais alors il a parlé et puis a changé d’avis ?
- Non :
nous possédons l’un [l’image] par la création, nous acquérons l’autre [la ressemblance] par la volonté.

*Basile de Césarée, Sur l’origine de l’homme, homélie 1, Paris, SC, éditions du Cerf, 1970.

Raphaël (1483-1520), La Création des animaux (fresque, 1518), Loges du Vatican, Rome (Italie). Domaine public.

L’homme est appelé à une œuvre de co-création avec Dieu

Le propos de Basile de Césarée est lumineux. Vous l’avez compris, Dieu n’est effectivement pas paresseux et ne fait pas les choses à moitié. Bien au contraire, il laisse l’humanité en un sens inachevée… précisément pour que l’homme continue l’œuvre de création.

C’est là ce que le Pape saint Jean-Paul II (1920-2005) a appelé « l’œuvre de co-création » qui incombe à l’humanité dans sa coopération avec l’œuvre divine. En effet, dans son encyclique Laborem Exercens de 1981, saint Jean-Paul II approfondit la théologie du travail : il souligne ainsi le lien fort entre l'œuvre de Dieu et l'œuvre de l'homme. Dieu crée à travers et avec l'homme. Le travail de l’homme est un moyen de proclamer la gloire du Créateur.

Dieu tout-puissant ou l’art du contre-pieds

Il y a là un immense paradoxe du Dieu judéo-chrétien, (à l’image du miracle de Cana opéré par Jésus à l’aide des servants, comme on en parlait dans un autre article) :

  • Dieu est tout puissant
  • donc Dieu peut tout faire tout seul
  • mais il veut faire participer l’humanité à son œuvre de création et de rédemption
  • donc il se risque à ne pas tout terminer lui-même et offre et laisse un travail et une responsabilité pour l’humanité.

Si l’homme est né à l’image de Dieu, c’est à lui de cheminer vers la ressemblance.

Le mot de la fin

On finit sur une note sublime et magistrale avec François Varillon (1905-1978), jésuite et théologien français :

« Car l'Homme n'est pas, l'Homme est à faire. Nous sommes des commencements d'homme, dit saint Jacques (Jc 1,18). Nous sommes des ébauches d'homme. Dieu ne crée pas l'homme tout-fait, Dieu a horreur du tout-fait. Dieu crée l'homme capable de se créer lui-même. »

François Varillon, Joie de croire, Joie de vivre. Paris, Édition du Centurion, 1981, p. 46

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