Dans la Bible, Dieu se repose au septième jour de la Création. Qu'est-ce que cela révèle du lien que Dieu veut nouer avec l'humanité ?
Entamer un numéro PRIXM avec des mélodies du classicisme viennois, c’est tout bonnement somptueux. Aujourd'hui, on ouvre le bal en musique avec l’oratorio Die Schöpfung, joué en concert au Palais d'Esterházy, à Eisenstadt, en Autriche, à l’occasion du 200e anniversaire de la mort de Joseph Haydn, en 2009.
Joseph Haydn (1732-1809) composa cet oratorio entre 1796 et 1798. Die Schöpfung (La Création en VF) est un chef-d'œuvre : trois solistes représentent trois anges qui racontent et commentent les six jours de la création du monde selon la Genèse : Gabriel (soprano), Uriel (ténor) et Raphaël (basse).
Six jours, parce qu’au septième jour, Dieu se repose. Et il est justement question de ce repos dans notre éclairage !
On avait déjà parlé de cette histoire de « Création du monde en 7 jours » dans un article précédent. Ici, ce verset raconte le dernier jour. On peut difficilement trouver texte biblique plus court, alors ça devrait aller !
Et Dieu bénit le septième jour,
il le sanctifia
car en lui il se reposa de tout son travail
que Dieu créa pour faire.
Oui, vous avez bien lu, ce verset du Livre de la Genèse ne semble pas très français, mais c’est la traduction très littérale du texte hébreu du récit de la Création. On vous le remet là au cas où vous n'auriez pas été attentifs :
Et Dieu bénit le septième jour, il le sanctifia car en lui il se reposa de tout son travail que Dieu créa pour faire.
En plus de piquer un peu les yeux des grammairiens, ce « pour faire » est assez troublant : le verset précédent nous apprend que Dieu cesse de travailler le septième jour car il avait fini son travail.
André Wénin, bibliste et théologien belge contemporain, nous aide à répondre à toutes ces questions.
« Quand [Dieu] a achevé « toute son œuvre » en se retirant, tout n’est pas fait. Paradoxe d’un Dieu qui, pour achever sa création, ne la fige pas dans une perfection stérile, mais prend le risque de laisser des points de suspension. » *
*André Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Lectures de Genèse 1,1 – 12,4, Lire la Bible, Cerf, p.36
Mais, si la continuation de la Création revient aussi à l’homme, se pose alors cette question pratique : comment l'Homme peut-il être créateur lui aussi ?
Alors revenons aux origines (Gn 1, 26a - 27a) :
« Et Dieu dit : Faisons l’homme en notre image, comme notre ressemblance [...]. Et Dieu créa l’homme en son image. »
En effet, Dieu avait pour projet de faire l’humain, et il se contente de le créer !
Du coup, petite question un peu provocatrice mais pas si idiote : Dieu fait-il les choses à moitié ? Nouvelle réponse du théologien belge :
« Le récit indique que, dans la création des humains, Dieu réalise la part qui lui revient en propre, à savoir « créer ». Mais quelque chose reste encore à « faire ». Et qui le pourra, sinon les humains eux-mêmes ? En disant « faisons » - à la première personne du pluriel -, Dieu se parle non seulement à lui-même, comme on le dit souvent, mais aussi aux humains pour les inviter à parachever par leur « faire » l’agir créateur de Dieu. » *
*André Wénin, Pas seulement de pain… Violence et alliance dans la bible, Lectio Divina 171, Cerf, p.27
Il resterait donc une dernière différence entre le plan et l’exécution de l’homme… Le projet de création de l’homme était de « faire l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Or, lorsque Dieu se contente de créer l’homme à son image, la ressemblance a disparu.
Petit oubli ? Cette fois, c’est Basile de Césarée (329-379), grand théologien et Père de l’Église des premiers siècles, qui vient nous aider. Ça ne rigole plus.
- Pourquoi n’est-il pas dit « Et Dieu créa l’homme à l’image de Dieu et à sa ressemblance » ? Le Créateur était-il impuissant ?
- Propos impie !
- Mais alors il a parlé et puis a changé d’avis ?
- Non : nous possédons l’un [l’image] par la création, nous acquérons l’autre [la ressemblance] par la volonté.
*Basile de Césarée, Sur l’origine de l’homme, homélie 1, Paris, SC, éditions du Cerf, 1970.
Le propos de Basile de Césarée est lumineux. Vous l’avez compris, Dieu n’est effectivement pas paresseux et ne fait pas les choses à moitié. Bien au contraire, il laisse l’humanité en un sens inachevée… précisément pour que l’homme continue l’œuvre de création.
C’est là ce que le Pape saint Jean-Paul II (1920-2005) a appelé « l’œuvre de co-création » qui incombe à l’humanité dans sa coopération avec l’œuvre divine. En effet, dans son encyclique Laborem Exercens de 1981, saint Jean-Paul II approfondit la théologie du travail : il souligne ainsi le lien fort entre l'œuvre de Dieu et l'œuvre de l'homme. Dieu crée à travers et avec l'homme. Le travail de l’homme est un moyen de proclamer la gloire du Créateur.
Il y a là un immense paradoxe du Dieu judéo-chrétien, (à l’image du miracle de Cana opéré par Jésus à l’aide des servants, comme on en parlait dans un autre article) :
Si l’homme est né à l’image de Dieu, c’est à lui de cheminer vers la ressemblance.
On finit sur une note sublime et magistrale avec François Varillon (1905-1978), jésuite et théologien français :
« Car l'Homme n'est pas, l'Homme est à faire. Nous sommes des commencements d'homme, dit saint Jacques (Jc 1,18). Nous sommes des ébauches d'homme. Dieu ne crée pas l'homme tout-fait, Dieu a horreur du tout-fait. Dieu crée l'homme capable de se créer lui-même. »
François Varillon, Joie de croire, Joie de vivre. Paris, Édition du Centurion, 1981, p. 46