Découvrez comment les Hébreux traversent le Jourdain pour entrer en Terre Promise. Cet épisode fait-il écho à la traversée de la Mer Rouge avec Moïse ?
Michael Jordan, le plus grand joueur de basket de tous les temps, ne s’appelle pas autrement que Michel Jourdain si on traduit en français ! Et là, une ampoule s’est allumée chez nous !
Le Jourdain c’est LE fleuve par excellence de la Bible ! Il est cité à de nombreuses reprises à la fois dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Alors pas de temps à perdre, on met son gilet de sauvetage et on monte dans le canoë, direction le Jourdain !
Moïse est mort à la fin du Livre du Deutéronome. Le livre suivant, le Livre de Josué, raconte comment Dieu nomme Josué pour conduire le peuple d’Israël en Terre Promise. C’est ici le jour du grand départ…
Et le Seigneur dit à Josué :
— Aujourd’hui je commencerai à t’exalter aux yeux de tout Israël afin qu’ils sachent que je serai avec toi comme j’ai été avec Moïse. Toi, donne cet ordre aux prêtres qui portent l’arche d’alliance et dis-leur : "Lorsque vous arriverez au bord des eaux du Jourdain, arrêtez-vous-y".
Josué dit aux fils d’Israël :
— Approchez ici et écoutez les paroles du Seigneur, votre Dieu. [...] Voici que l’arche de l’alliance du Seigneur de toute la terre marchera devant vous à travers le Jourdain. Préparez douze hommes parmi les tribus d’Israël, un homme de chaque tribu. Et dès que les prêtres qui portent l’arche du Seigneur Dieu de toute la terre auront posé la plante de leurs pieds dans les eaux du Jourdain, les eaux qui sont en aval s’écouleront et disparaîtront ; celles qui viennent d’en haut se figeront en un seul monceau.
Le peuple sortit de ses tentes pour passer le Jourdain et les prêtres qui portaient l’arche de l’alliance poursuivaient leur marche devant le peuple.
Au moment où ils entrèrent dans le Jourdain et où ils trempèrent les pieds au bord de l’eau (car le Jourdain inonde les rives de son lit à l’époque de la moisson), les eaux qui descendent s’arrêtèrent en un seul endroit et, grossissant à l’image d’une montagne, elles étaient visibles bien au-delà de la ville qu’on appelle « Adom », jusqu’au lieu de Sarthan et celles qui étaient en-deçà descendirent dans la mer de Solitude qu’on appelle maintenant « mer Morte » jusqu’à ce qu’elles eurent complètement disparu.
Or le peuple s’avançait vers le Jourdain, et les prêtres qui portaient l’arche de l’alliance du Seigneur se tenaient debout sur la terre sèche au milieu du Jourdain, prêts, et tout le peuple traversait le lit desséché.
Petit rappel en mode wikipédia qui ne fait pas de mal : le Jourdain est un fleuve qui s'écoule sur 360 km, depuis le mont Hermon (au Nord) jusqu'à la mer Morte (au Sud). Sa vallée est la plus basse du monde. Il est bordé à l’Est par la Jordanie (qui tire son nom du fleuve d’ailleurs), et à l’Ouest par la Cisjordanie et Israël.
Contexte : nous sommes au tout début du Livre de Josué. Dieu a libéré le peuple hébreu du joug de l’esclavage en Égypte. Tout va bien, tout est fini ? Non !
À cause de leurs nombreuses fautes, Dieu dit à Moïse que lui et une partie du peuple d’Israël n'entreront pas en Terre Promise. Toute la génération sortie d'Égypte, à l'exception de Josué et de Caleb, meurt dans le désert. Moïse, lui aussi, en est réduit à contempler la Terre Promise de loin, depuis le mont Nébo… sans jamais franchir le Jourdain.
Moïse meurt donc sans voir s’accomplir la promesse de Dieu : entrer en Terre Promise. Josué reprend le flambeau.
Moïse est mort et le peuple se tient aux portes de la Terre Promise. Dieu dit alors à Josué :
« Moïse mon serviteur est mort. Lève-toi et traverse ce Jourdain, toi et tout le peuple avec toi vers le pays que moi, je donnerai aux fils d'Israël. » (Jos 1,2)
Le fleuve Jourdain devient un lieu de passage fondamental et symbolique. Pour le dire grossièrement :
Or, cette traversée se déroule de façon surprenante :
Symboliquement, cet épisode montre que Dieu accompagne et guide son peuple vers la terre qu’il lui promet.
Le Jourdain symbolise donc la frontière entre la terre d’errance (40 ans dans le désert) et la terre promise par Dieu. Traverser le Jourdain symbolise donc un changement de condition :
De plus, par le passage du Jourdain et l’entrée en Terre Promise, Dieu renouvelle son alliance avec le peuple d’Israël : il lui montre qu’il est toujours avec lui et qu’il ne l’abandonne pas. Bref, Dieu accomplit la promesse faite à Abraham et à sa descendance : lui donner une terre où il sera un peuple libre.
Mais pourquoi Benjamin West et James Tissot peignent-ils cet épisode en s'écartant autant de ce que raconte littéralement le texte du Livre de Josué ? Si le lit du fleuve est asséché, le tableau de Van der Meulen (ci-dessous) est sans doute plus représentatif. Ou alors...
Pour un lecteur familier des Écritures, le lien est évident...
Eh oui ! Le récit de la traversée du Jourdain reprend le modèle de récit de la traversée de la mer Rouge lors de la sortie d’Égypte, raconté dans le livre de l’Exode :
« Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à sec car l’eau était comme un mur à leur droite et à leur gauche. » (Ex 14, 22)
En fait, le parallèle entre ces deux épisodes est flagrant (et délibéré) :
On peut même étayer le parallèle ! En effet, dans les deux cas toujours :
La traversée du Jourdain est donc écrite sur le modèle de la traversée de la mer Rouge. Les tableaux de Benjamin West et James Tissot sont donc magnifiquement théologiques ! En effet, ils représentent eux aussi la traversée du Jourdain sur le modèle de la traversée de la mer Rouge. C'est ce qu'on appelle une typologie.
Finalement, ces deux épisodes parallèles montrent que l’itinéraire du peuple hébreu en passe par des étapes fondatrices — ici, traverser une mer ou un fleuve... Un peu comme Jésus qui plonge lui aussi dans le Jourdain ? Réponse la semaine prochaine (spoil : oui, un peu !)
En 1827, touché par un voyage qu’il a fait en Terre Sainte, le bon vieux Chateaubriand envisage sa sépulture sur les bords du Jourdain :
Où vais-je aller mourir ? Dans les bois des Florides ?
Aux rives du Jourdain, aux monts des Thébaïdes ?
Ou bien irai-je encore à ce bord renommé,
Chez un peuple affranchi par les efforts du brave,
Demander le sommeil que l'Eurotas esclave
M'offrit dans son lit embaumé ?
François-René de Chateaubriand (1768-1848), « Le départ », Poésies diverses, Paris, 1827