Pourquoi le serpent tente-t-il Ève ? Qui a mangé la pomme en premier ? Pourquoi Dieu interdit-il de manger de l’arbre de la connaissance ? Qu’est-ce que le péché originel ? Qu’est-ce qui provoque la Chute ?
Aujourd’hui, on aborde un monument biblique qui fait parfois mal à la gorge : le récit de « la pomme d’Adam ».
Dans un morceau intitulé « La faute à Ève » qui sent bon les années 70, la chanteuse Anne Sylvestre reprend le récit biblique… et en réécrit quelque peu l’histoire. Elle insiste notamment sur l’absence d’Adam au moment de la tentation puis sur sa réaction immature et grossière : « C’est pas moi, c’est Ève ».
Sur cette introduction biblico-musicale, revenons-en au texte... et lisons l’extrait en mains propres (un coup de savon, un peu d'eau et c'est parti) !
Lisons tout d'abord deux passages bien précis de Genèse 2.
Et YHWH Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait façonné. Et YHWH Dieu fit pousser du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger et l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. [...]
Et YHWH Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le travailler et le garder. Et YHWH Dieu commanda à l’homme en disant :
— De tout arbre du jardin tu peux manger. Et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas. Car au jour où tu en mangeras, certainement tu mourras.
Lisons désormais le fameux texte de Genèse 3 avec le serpent et la pomme — euh pardon, le fruit (il n’est pas question de « pomme » !).
Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que YHWH Dieu eût faits. Et il dit à la femme :
— Est-ce que Dieu aurait dit : “Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin” ?
Et la femme dit au serpent :
— Nous mangeons du fruit des arbres du jardin ; et du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : "Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez".
Et le serpent dit à la femme :
— Certainement, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait qu’au jour où vous en mangerez vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal.
Et la femme vit que l’arbre était bon à manger attrayant aux yeux et que l’arbre était désirable pour acquérir l’intelligence et elle prit de son fruit, mangea et [en] en donna à son mari avec elle et il [en] mangea.
Et [leurs] yeux à [tous] deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. Ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des ceintures.
L’épisode du « fruit défendu » est donc raconté en Genèse 3. Dès le départ, on note l'arrivée d'un nouveau personnage : le serpent.
Tout d'abord, débarrassons-nous d'un faux problème : le serpent… parle avec la femme ! Cela empêche toute lecture fondamentaliste qui voudrait interpréter ce texte comme un traité scientifique… Car les récits de la Genèse n’apportent pas une réponse scientifique sur la création, mais une réponse théologique.
Dit autrement :
Penchons-nous attentivement sur le récit de Genèse 3. Car le serpent, le tentateur, déploie une stratégie redoutable pour amener l’homme dans ses filets. En gros, il s’appuie sur une tactique en 6 points :
Ici, c’est le serpent qui parle le premier. Il s’adresse à la femme seule. On ne sait pas si l’homme est absent ou muet, toujours est-il qu’il n’arrive qu’à la fin de l’extrait pour croquer le fruit.
En clair, le serpent parle avec la femme séparée de son pendant masculin. Or, au chapitre précédent, Dieu a justement dit « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2,18)…
« Est-ce que Dieu aurait dit : “Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin” ? »
La question du serpent est d’emblée insidieuse : il reprend une parole de Dieu (et la déforme) et souligne un aspect particulier : la limite. Ici, cet unique arbre interdit fait oublier tous les arbres autorisés — qui sont pourtant une vraie forêt !
Le serpent omet délibérément de mentionner le fait que Dieu autorise de manger les fruits de tous les arbres, sauf celui de la connaissance du bien et du mal. Autrement dit, le serpent insiste sur l’exception, et passe sous silence tout le reste, qui est premier. Pas très fair-play…
Autre problème, la femme répond au serpent. Donc elle entre dans son jeu. Or, on vient de souligner que le serpent a truqué les règles en déformant et trafiquant la parole de Dieu. La réponse de la femme part donc (elle aussi) de travers dès le départ.
Dans ce qui vient d’être dit ici, on peut relever 2 choses fausses :
En suivant la présentation corrompue que le serpent présente à la femme, celle-ci en vient elle-même à déformer les propos de Dieu.
« Le serpent dit à la femme : “Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !” » (Gn 3, 4)
Ici, il prétend savoir — savoir au moins aussi bien que Dieu. Autrement dit, le serpent se place comme l’égal de Dieu. Il contredit les paroles de Dieu et se présente comme l’interlocuteur privilégié, se substituant à Dieu et le discréditant.
Le serpent tourne son propos de telle façon que la chose paraisse facile. Pour peu qu’on rentre dans son jeu, ça donne effectivement l’impression qu’Ève n’a pas grand-chose à perdre et beaucoup à gagner. C’est tout le principe de la tentation d’ailleurs !
Enfin, dernier élément de la tactique du diable (big up à toi CS Lewis), le serpent fait passer Dieu pour un être de jalousie, afin de briser la confiance qui unit Adam et Ève à Dieu.
« Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Gn 3, 5)
En fin de compte, l’addition est salée : Serpent 6 — Femme (et homme aussi) 0. Premier set perdu pour l’homme et la femme. C’est la chute.
Pour conclure, cette lecture attentive du récit de la chute met en lumière 3 éléments fondamentaux :
Pour conclure, lisons tout bonnement l’interprétation de saint Augustin.
« Pour ma part, à mesure que j’y réfléchis davantage, je ne puis dire combien me plaît l’opinion de ceux qui pensent que le fruit de cet arbre n’était aucunement nocif – car celui qui a fait toutes choses très bonnes n’avait pas créé quelque chose de mauvais dans le paradis, – mais que le mal vint pour l’homme de la transgression du précepte. Il fallait que l’homme, placé sous la dépendance de Dieu son Seigneur, fût soumis à quelque interdiction afin que son obéissance lui devînt une vertu pour mériter son Seigneur. [...]
Cet arbre n’était donc pas mauvais, mais il fut appelé l’arbre de la connaissance du bien et du mal, parce que si l’homme en mangeait malgré la défense, cet arbre devenait l’occasion de la future transgression du précepte : de sorte qu’à l’occasion de cet arbre l’homme apprît par l’expérience de la peine quelle différence il y avait entre le bien de l’obéissance et le mal de la désobéissance. L’Écriture ne parle donc pas ici en figure, mais il faut comprendre qu’il s’agit d’un arbre réel qui reçut ce nom, non pas à cause des fruits ou des pommes qu’il produisait, mais à cause de ce qui devait s’ensuivre si l’on y touchait contre l’ordre reçu. »
Augustin, De Genesi ad litteram [De la Genèse au sens littéral], livre VIII, 6, § 12 (« L’arbre de la science du bien et du mal »), trad. P. Agaësse & A. Solignac, éd. Desclée de Brouwer, 1972, vol. 49, p. 29-31
On vous propose de suivre des cours aux Bernardins