En quoi le récit biblique de la création de l'homme dit-il quelque chose du mystère de la Trinité ? Pourquoi Dieu parle-t-il au pluriel ?
En 1947, le compositeur américain Aaron Copland (1900-1990) écrit In the Beginning. Cette œuvre met en musique l'histoire de la Création, chantée a cappella.
Ici dirigée par James Morrow, avec la mezzo-soprano Susanne Mentzer, des University of Texas Chamber Singers, cette composition est tout bonnement magnifique. De quoi offrir une entrée en matière toute en mélodie, avant de se pencher sur le sixième jour et la création de l’homme dans le récit biblique.
On avait déjà parlé de l'histoire de la Création la semaine dernière. Aujourd'hui, on se penche sur le sixième jour et la création de l'homme.
Et Dieu dit :
— Faisons l’homme en notre image comme notre ressemblance […]
Et Dieu créa l’homme en son image
dans l’image de Dieu il le créa
mâle et femelle il les créa.
Ce passage du Livre de la Genèse racontant le sixième jour de la Création est un texte fondateur, très largement commenté depuis des siècles par la tradition judéo-chrétienne.
Du coup, aujourd'hui, on fait appel à Basile de Césarée (329-379), père de l’Église des premiers siècles, ainsi qu’au grand théologien protestant Karl Barth (1886-1968), histoire d’être sûr d’en livrer une analyse bien solide.
« Et Dieu dit :
— Faisons l’homme en notre image comme notre ressemblance » (Gn 1, 26a)
Arrêtons-nous sur la remarque la plus évidente : le verbe est conjugué à la première personne du pluriel. En effet, ce « faisons » n’est utilisé que pour la création l’homme ! C'est ce que Basile de Césarée souligne particulièrement :
« « Faisons l’homme à notre image et notre ressemblance » : Cette parole n’a encore été consignée pour aucun des êtres organisés. La lumière fut, et le commencement était simple : Dieu dit : « Que la lumière soit ». Le ciel fut, pas de délibération pour le ciel. Les luminaires furent, et aucune délibération préalable pour les luminaires. La mer et les océans sans borne : un commandement, et ils furent. Les poissons de toutes sortes : un ordre, et ils furent. Les bêtes sauvages et celles qui paissent, les bêtes qui nagent et celles qui volent : une parole, et elles furent. Ici, l’Homme n’est pas encore, et il y a délibération sur l’Homme. Dieu n’a pas dit comme pour les autres êtres : « Que l’Homme soit ! ». Reconnais la dignité qui t’appartient. Il n’a pas provoqué ton origine par un commandement, mais il y eut en Dieu un conseil pour savoir comment introduire dans la vie ce vivant digne d’honneur. »
*Basile de Césarée, Sur l’origine de l’homme, Homélies X et XI de l’Hexaéméron, traduction Alexis Smets et Michel Van Esboerck ; Paris, Cerf, 1970.
Les recherches bibliques et linguistiques datent ce texte hébreu du retour de l'Exil à Babylone (VIème ou Vème siècle avant Jésus Christ) et invalident donc la thèse d'un pluriel seulement formel. En effet, le pluriel de majesté a été écarté car il s’agit là d’une formule inconnue de la grammaire hébraïque. Autrement dit : il y a bien quelque chose à creuser dans cette curieuse façon de parler au pluriel...
La tradition de l’Église, qui s'appuie notamment sur les écrits de Basile de Césarée, s’accorde pour déceler dans ce pluriel une figuration de la Trinité divine.
L’usage de cet impératif « faisons » apparaît pour la première fois lors de la création de l'homme. Il renvoie surtout à la dynamique d’une relation interne : Dieu délibère et rend sa décision dans l’unanimité d’un élan, comme l'analyse Karl Barth :
« Un entretien de Dieu avec lui-même, une délibération entre plusieurs conseillers divins et une résolution fondée sur cette délibération — voilà ce qui se produit. »
*Karl Barth, Dogmatique ecclésiale, La doctrine de la Création, Genève, éd. Labor et Fides, 1965 ; p. 195.
Dieu n’est donc pas seul, il s’entretient et délibère en lui-même...
Parce que Dieu est déjà en lui-même en relation (ou pour le traduire autrement, parce qu’en Dieu s’entretiennent les trois Personnes de la Trinité), cette relation rend compte de son dynamisme interne, mais aussi de son unité.
En effet, c'est à partir de la délibération que naît une unanimité qui ouvre la voie à la création de l’Homme.
Autrement dit, l’unanimité délibérative que ce « faisons » implique, dit bien l’unité qui règne au sein de la Trinité.
Nous laissons à Karl Barth - qui a très largement inspiré notre réflexion - le dernier mot pour conclure. Il souligne que la création de l’Homme a une signification divine :
« Au moment précis où il allait être question de l’homme, il était nécessaire d’affirmer que le fondement créateur de son existence était et est une histoire située dans le domaine et dans l’être divins, un mouvement à l’intérieur de Dieu, un appel de la divinité et une réponse unanime à cet appel. »
Karl Barth, Dogmatique ecclésiale, La doctrine de la Création. Genève, éd. Labor et Fides, 1965 ; p. 201
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