La Transfiguration de Gandalf dans le Seigneur des Anneaux

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Découvrez le lien entre la Transfiguration du Christ et le Seigneur des Anneaux ! Comment Tolkien fait-il de Gandalf une figure christique ?

4 minutes et 15 secondes avec Tolkien, Gandalf, Aragorn, Légolas, Gimli, mais aussi Titien, Théophane le Grec et Jean-Pierre Lemaire
Dernière mise à jour -  
21/11/2024

La Transfiguration de Gandalf à la manière de Jésus

Dans Le Seigneur des Anneaux 1, après trois jours de combat contre le Balrog, Gandalf passe « hors du temps et de la pensée, à travers le feu et l’eau profonde ». Il est ensuite renvoyé pour achever sa mission : lutter contre Sauron – symbole du mal. 

Et quelques pages plus tard, dans le tome 2, Tolkien décrit ainsi la nouvelle allure de Gandalf après ce qui s’apparente à une « résurrection ». Il apparaît à ses amis d'une façon pour le moins surprenante :

« Il se dressa vivement et bondit au sommet d’un grand rocher. Il se tint là, avec une stature soudain accrue, les dominant de haut. Il avait rejeté son capuchon et ses haillons gris, et ses vêtements blancs étincelaient. […] Tous les regards [ceux d’Aragorn, de Gimili et de Legolas] étaient fixés sur Gandalf. Ses cheveux étaient blancs comme neige au soleil, et sa robe d’un blanc étincelant ; ses yeux, sous des sourcils saillants, brillaient d’un vif éclat, aussi pénétrants qu’un rayon de soleil ; le pouvoir était dans sa main. Entre l’émerveillement, la joie et la crainte, ils restèrent saisis et ne trouvèrent rien à dire. » 
Tolkien, Les Deux Tours, traduit par Daniel Lauzon, Paris : Bourgois, 2015, p. 115

Entre la fin du tome 1 et cet épisode du tome 2, Gandalf devient alors « Gandalf le Blanc » – et ce n’est pas sans rappeler la figure du Christ. On vous explique pourquoi, texte biblique à l’appui !

Le texte biblique qui raconte la Transfiguration du Christ

L’épisode de la Transfiguration est une scène décisive dans l’itinéraire des disciples. Cet événement est raconté dans chacun des évangiles synoptiques, c’est-à-dire aussi bien chez Matthieu que chez Marc et Luc. Nous vous proposons ici de lire le texte de l’évangile de Matthieu.

Six jours après, Jésus prend Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart sur une haute montagne et il fut transfiguré devant eux. Son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent parlant avec lui.

Pierre intervenant dit à Jésus :
— Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu veux, faisons ici trois tentes. Une pour toi et une pour Moïse et une pour Élie.

Comme il parlait encore, voici, une nuée lumineuse les couvrit de son ombre et voici une voix de la nuée disant :
— Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu : écoutez-le.

En entendant [cela], les disciples tombèrent sur leur face et craignirent beaucoup. S’approchant, Jésus les toucha et dit :
— Levez-vous et ne craignez pas.

Levant leurs yeux, ils ne virent personne sinon Jésus seul.

Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur ordonna en disant :
— Ne dites à personne cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d'entre les morts.

Évangile selon saint Matthieu, chapitre 17, versets 1 à 9. Traduit du grec par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

L’inspiration biblique du Seigneur des Anneaux

photo Tolkien assis contre un arbre
John Ronald Reuel Tolkien, impeccablement vêtu d'un gilet d'une extrême élégance à l'anglaise. La grande classe.

Tolkien, génie de la littérature et savant lecteur biblique

Reprenons tranquillement notre point de départ : oui, Tolkien écrit son propre roman en glissant et en retravaillant des références bibliques de premier plan ! 

Professeur de littérature anglaise, poète, traducteur et philologue, John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) est tout simplement un génie. Il est aujourd’hui objet de bien des fascinations tant son œuvre déborde de créativité et de profondeur. À son actif, on peut citer de nombreuses œuvres devenues cultes pour toute une génération, aussi bien pour ses livres que pour les films qui en ont découlé :

  • Seigneur des Anneaux, trilogie portée à l’écran au cinéma entre 2000 et 2003
  • Le Hobbit, trilogie portée à l’écran au cinéma entre 2012 et 2014
  • Les Anneaux de Pouvoir, série portée à l’écran à l’hiver 2022

Dans son œuvre géniale et gigantesque, Tolkien bâtit un récit volontairement tissé de références bibliques. 

Autant le dire clairement, Tolkien est historiquement reconnu comme un savant lecteur de la Bible. Plus qu’un lecteur, il a travaillé à la traduction de la Bible et a même participé à la première édition de la Jerusalem Bible dans les années 1950 ! Dans ce travail de traduction et d’édition, inspiré du projet des frères dominicains de l’École Biblique de Jérusalem, il s’attela notamment à traduire le Livre de Jonas. Bref, Tolkien et la Bible, c’est une histoire intime !

photo galadriel armée
Dernière adaptation en date de l'œuvre presque infinie de Tolkien, voici Galadriel dans la série Les Anneaux de Pouvoir sortie en septembre 2022. © Youtube, bande-annonce de la série. 

Quel est le lien entre Gandalf et Jésus ?

Ok, le récit du Seigneur des Anneaux s’inspire du passage de la Transfiguration relaté dans les évangiles. Mais comment s’en inspire-t-il et à partir de quels éléments ? La réponse est toute trouvée, il suffit de se pencher sur quelques détails ainsi que sur le vocabulaire utilisé. 

Pour cela, voici 5 éléments parfaitement factuels pour appuyer le parallèle qu’on établit entre le récit de la Transfiguration de Jésus et le récit du retour éclatant de Gandalf :

1) Le lieu et les personnages

  • Dans les évangiles, l’épisode de la Transfiguration de Jésus se déroule sur une montagne et sous les yeux de 3 de ses disciples : Pierre, Jacques et Jean (Mt 17,1)
  • Dans le roman de Tolkien, la « Transfiguration » de Gandalf se déroule elle aussi sous les yeux de 3 personnages proches du magicien : Aragorn, Legolas et Gimli. La scène n’intervient pas sur une montagne à proprement parler, mais Tolkien précise quand même que Gandalf se trouve spatialement sur un point haut : « il se dressa vivement et bondit au sommet d’un grand rocher. Il se tint là, avec une stature soudain accrue, les dominant de haut. »

2) Le vocabulaire et la description de la scène

  • Dans les évangiles, le visage de Jésus « resplendit comme le soleil et ses vêtements [deviennent] blancs comme la lumière » (Mt 17,2)
  • Dans le roman de Tolkien, Gandalf apparaît lui aussi dans l’éclat d’une lumière aveuglante : « ses cheveux étaient blancs comme neige au soleil, et sa robe d’un blanc étincelant ; ses yeux, sous des sourcils saillants, brillaient d’un vif éclat, aussi pénétrants qu’un rayon de soleil ; le pouvoir était dans sa main »

3) La réaction de joie et de crainte en face d’un tel événement

  • Dans les évangiles, les disciples éprouvent simultanément de la joie et de la crainte. L’évangile de Matthieu rapporte les paroles de Pierre : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici » (Mt 17, 4) ainsi que la réaction des disciples : « En entendant cela, les disciples tombèrent sur leur face et furent saisis d’une grande crainte » (Mt 17, 6)
  • Dans le roman de Tolkien, les amis de Gandalf éprouvent eux aussi ce sentiment mêlé de joie et de crainte : « Entre l’émerveillement, la joie et la crainte, ils restèrent saisis » 

4) L’incapacité des disciples à parler au moment de la Transfiguration

  • Dans l’évangile de Marc, un court verset indique que Pierre ne peut plus parler. Il est comme happé par l’incompréhension et le mystère qui se déroule devant lui : « De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. » (Mc 9,6)
  • Dans le roman de Tolkien, les trois aventuriers sont également incapables de réagir et de parler face à l’événement éclatant qui se produit : « ils restèrent saisis et ne trouvèrent rien à dire. »
peinture transfiguration jésus entouré d'un halo de lumière et par Moïse et Elie disciples effrayés en-bas
Tiziano Vecelli, dit Titien (1490-1576), La Transfiguration, (vers 1560, huile sur toile, 240 x 240 cm), Église San Salvador, Venise (Italie). Domaine public.

De la Transfiguration à la Résurrection

Dans les évangiles, les scènes de la Transfiguration et de la Résurrection se font écho. En effet, l’une comme l’autre présentent Jésus dans une situation particulière : l’éclat de sa divinité. Pour les croyants, il s’agit par excellence des passages où Jésus se présente comme Dieu. C’est justement ce que symbolise le blanc dans l’art de l’icône. D’ailleurs, dans la tradition orientale et dans l’art de l’icône, le Christ est peint en blanc uniquement lors de ces deux épisodes.

Pour finir en beauté, Tolkien s’inspire également du récit de la Résurrection lorsqu’il décrit le combat de Gandalf contre le Balrog dans les mines de la Moria. À nouveau, petite explication :

  • Dans les évangiles, la Transfiguration et la Résurrection révèlent de manière explicite la divinité de Jésus. D’ailleurs, la résurrection ne survient qu’au troisième jour et les disciples de Jésus aussi bien que les marcheurs d’Emmaüs le croient mort (Lc 24).
  • Dans le roman de Tolkien, la manifestation de Gandalf « ressuscité », éclatant de blancheur et bien vivant, fait directement suite à sa victoire sur le mal représenté par le Balrog avec qui il a combattu. D’ailleurs, ce combat prend un certain temps pour Gandalf, et ses amis le croient mort.
icône transfiguration jésus illuminé élie et moïse
Icône attribuée à Théophane le Grec (1350-1410), La Transfiguration, (vers 1403). Église de la Transfiguration, Pereslavl (Russie), actuellement conservé à la Galerie Tretiakov, à Moscou. Domaine public.

Tolkien, Gandalf et Jésus : que peut-on retenir finalement ?

Vous savez désormais que le personnage de Gandalf est une figure christique. Autrement dit : le héros d’une fiction mondialement connue s’inspire en réalité des traits que prend le visage du Christ. Ou comment l’évangile se retrouve sous des formes nouvelles dans la littérature…

Ainsi, l'œuvre de Tolkien participe à ce qu’on appelle un « cercle herméneutique » (en grec, le terme hermeneuein signifie « comprendre, interpréter »). 

On s’explique : grâce aux livres de Tolkien et aux films qu’ils ont inspirés, le lecteur-spectateur peut retourner lire le texte de l’évangile avec une attention plus aiguisée et plus fine. Pourquoi ? Parce qu’un cercle vertueux se met en place comme ceci :

  • La lecture des évangiles a inspiré l’œuvre de Tolkien
  • L’œuvre de Tolkien et son adaptation au cinéma vous ont marqué
  • Vous relisez le texte des évangiles avec un regard enrichi et renouvelé

La boucle est bouclée. Merci Tolkien (on n’avait pas pensé relire le chapitre 17 de l’évangile de Matthieu en achetant le DVD du Seigneur des Anneaux 2 à la Fnac, mais tout compte fait…)

affiche du film le seigneur des anneaux
Le film à voir après la lecture de ce numéro et le poème final. Le Seigneur des Anneaux 2 : Les Deux Tours.

Le mot de la fin

La transfiguration du Christ est un épisode fondamental de révélation de la divinité de Jésus. Abordant ce passage avec finesse et émotion, le poète contemporain Jean-Pierre Lemaire a choisi d’opter pour le point de vue de la Vierge Marie, afin de raconter l’épisode à partir de ce que la mère décèle de son propre fils. Extrêmement fidèle aux évangiles, ce poème est tout simplement éblouissant :

Son visage éclatant comme le soleil

et ses vêtements blancs comme la neige,

je ne les ai pas vus en haut de la montagne.

La lumière était dans ses moindres gestes,

quand il guérissait, parlait à quelqu’un,

même quand il dormait tout petit dans la crèche.

Elle fut aveuglante pour moi sur la croix :

soleil crucifié comme on le voit l’hiver

dans les arbres nus – des rayons de sang

où il donnait tout, qui traversaient son cœur.

Après ce vendredi je suis restée aveugle

jusqu’au dimanche ; il a guéri mes yeux en venant me voir le matin de Pâques

où il a surgi de l’autre côté

du monde et du temps, porteur d’une lumière

toute neuve et douce. Aujourd'hui quand le ciel

rend visite à la terre et que j’apparais

dans un halo clair, c’est elle qui m’entoure.

Jean-Pierre Lemaire, « Transfiguration », Le pays derrière les larmes (Poèmes choisis), Gallimard, NRF « Poésie », 2016

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