Découvrez le lien entre la Transfiguration du Christ et le Seigneur des Anneaux ! Comment Tolkien fait-il de Gandalf une figure christique ?
Dans Le Seigneur des Anneaux 1, après trois jours de combat contre le Balrog, Gandalf passe « hors du temps et de la pensée, à travers le feu et l’eau profonde ». Il est ensuite renvoyé pour achever sa mission : lutter contre Sauron – symbole du mal.
Et quelques pages plus tard, dans le tome 2, Tolkien décrit ainsi la nouvelle allure de Gandalf après ce qui s’apparente à une « résurrection ». Il apparaît à ses amis d'une façon pour le moins surprenante :
« Il se dressa vivement et bondit au sommet d’un grand rocher. Il se tint là, avec une stature soudain accrue, les dominant de haut. Il avait rejeté son capuchon et ses haillons gris, et ses vêtements blancs étincelaient. […] Tous les regards [ceux d’Aragorn, de Gimili et de Legolas] étaient fixés sur Gandalf. Ses cheveux étaient blancs comme neige au soleil, et sa robe d’un blanc étincelant ; ses yeux, sous des sourcils saillants, brillaient d’un vif éclat, aussi pénétrants qu’un rayon de soleil ; le pouvoir était dans sa main. Entre l’émerveillement, la joie et la crainte, ils restèrent saisis et ne trouvèrent rien à dire. »
Tolkien, Les Deux Tours, traduit par Daniel Lauzon, Paris : Bourgois, 2015, p. 115
Entre la fin du tome 1 et cet épisode du tome 2, Gandalf devient alors « Gandalf le Blanc » – et ce n’est pas sans rappeler la figure du Christ. On vous explique pourquoi, texte biblique à l’appui !
L’épisode de la Transfiguration est une scène décisive dans l’itinéraire des disciples. Cet événement est raconté dans chacun des évangiles synoptiques, c’est-à-dire aussi bien chez Matthieu que chez Marc et Luc. Nous vous proposons ici de lire le texte de l’évangile de Matthieu.
Six jours après, Jésus prend Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart sur une haute montagne et il fut transfiguré devant eux. Son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent parlant avec lui.
Pierre intervenant dit à Jésus :
— Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu veux, faisons ici trois tentes. Une pour toi et une pour Moïse et une pour Élie.
Comme il parlait encore, voici, une nuée lumineuse les couvrit de son ombre et voici une voix de la nuée disant :
— Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu : écoutez-le.
En entendant [cela], les disciples tombèrent sur leur face et craignirent beaucoup. S’approchant, Jésus les toucha et dit :
— Levez-vous et ne craignez pas.
Levant leurs yeux, ils ne virent personne sinon Jésus seul.
Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur ordonna en disant :
— Ne dites à personne cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d'entre les morts.
Reprenons tranquillement notre point de départ : oui, Tolkien écrit son propre roman en glissant et en retravaillant des références bibliques de premier plan !
Professeur de littérature anglaise, poète, traducteur et philologue, John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) est tout simplement un génie. Il est aujourd’hui objet de bien des fascinations tant son œuvre déborde de créativité et de profondeur. À son actif, on peut citer de nombreuses œuvres devenues cultes pour toute une génération, aussi bien pour ses livres que pour les films qui en ont découlé :
Dans son œuvre géniale et gigantesque, Tolkien bâtit un récit volontairement tissé de références bibliques.
Autant le dire clairement, Tolkien est historiquement reconnu comme un savant lecteur de la Bible. Plus qu’un lecteur, il a travaillé à la traduction de la Bible et a même participé à la première édition de la Jerusalem Bible dans les années 1950 ! Dans ce travail de traduction et d’édition, inspiré du projet des frères dominicains de l’École Biblique de Jérusalem, il s’attela notamment à traduire le Livre de Jonas. Bref, Tolkien et la Bible, c’est une histoire intime !
Ok, le récit du Seigneur des Anneaux s’inspire du passage de la Transfiguration relaté dans les évangiles. Mais comment s’en inspire-t-il et à partir de quels éléments ? La réponse est toute trouvée, il suffit de se pencher sur quelques détails ainsi que sur le vocabulaire utilisé.
Pour cela, voici 5 éléments parfaitement factuels pour appuyer le parallèle qu’on établit entre le récit de la Transfiguration de Jésus et le récit du retour éclatant de Gandalf :
Dans les évangiles, les scènes de la Transfiguration et de la Résurrection se font écho. En effet, l’une comme l’autre présentent Jésus dans une situation particulière : l’éclat de sa divinité. Pour les croyants, il s’agit par excellence des passages où Jésus se présente comme Dieu. C’est justement ce que symbolise le blanc dans l’art de l’icône. D’ailleurs, dans la tradition orientale et dans l’art de l’icône, le Christ est peint en blanc uniquement lors de ces deux épisodes.
Pour finir en beauté, Tolkien s’inspire également du récit de la Résurrection lorsqu’il décrit le combat de Gandalf contre le Balrog dans les mines de la Moria. À nouveau, petite explication :
Vous savez désormais que le personnage de Gandalf est une figure christique. Autrement dit : le héros d’une fiction mondialement connue s’inspire en réalité des traits que prend le visage du Christ. Ou comment l’évangile se retrouve sous des formes nouvelles dans la littérature…
Ainsi, l'œuvre de Tolkien participe à ce qu’on appelle un « cercle herméneutique » (en grec, le terme hermeneuein signifie « comprendre, interpréter »).
On s’explique : grâce aux livres de Tolkien et aux films qu’ils ont inspirés, le lecteur-spectateur peut retourner lire le texte de l’évangile avec une attention plus aiguisée et plus fine. Pourquoi ? Parce qu’un cercle vertueux se met en place comme ceci :
La boucle est bouclée. Merci Tolkien (on n’avait pas pensé relire le chapitre 17 de l’évangile de Matthieu en achetant le DVD du Seigneur des Anneaux 2 à la Fnac, mais tout compte fait…)
La transfiguration du Christ est un épisode fondamental de révélation de la divinité de Jésus. Abordant ce passage avec finesse et émotion, le poète contemporain Jean-Pierre Lemaire a choisi d’opter pour le point de vue de la Vierge Marie, afin de raconter l’épisode à partir de ce que la mère décèle de son propre fils. Extrêmement fidèle aux évangiles, ce poème est tout simplement éblouissant :
Son visage éclatant comme le soleil
et ses vêtements blancs comme la neige,
je ne les ai pas vus en haut de la montagne.
La lumière était dans ses moindres gestes,
quand il guérissait, parlait à quelqu’un,
même quand il dormait tout petit dans la crèche.
Elle fut aveuglante pour moi sur la croix :
soleil crucifié comme on le voit l’hiver
dans les arbres nus – des rayons de sang
où il donnait tout, qui traversaient son cœur.
Après ce vendredi je suis restée aveugle
jusqu’au dimanche ; il a guéri mes yeux en venant me voir le matin de Pâques
où il a surgi de l’autre côté
du monde et du temps, porteur d’une lumière
toute neuve et douce. Aujourd'hui quand le ciel
rend visite à la terre et que j’apparais
dans un halo clair, c’est elle qui m’entoure.
Jean-Pierre Lemaire, « Transfiguration », Le pays derrière les larmes (Poèmes choisis), Gallimard, NRF « Poésie », 2016