D’où vient l’expression « les trompettes de Jéricho » ? Que raconte le Livre de Josué ? Quelle est la visée de ce récit biblique de conquête militaire ?
En 1976, dans son titre légendaire « Je vais t’aimer », Michel Sardou chante :
« À faire trembler les murs de Jéricho… je vais t’aimer » !
Et en 1982, c’est Jean-Jacques Goldman qui cette fois glisse une référence à cette histoire biblique des murs de Jéricho, dans son tube Au bout de mes rêves :
« Et même si l'on m'arrête / Ou s'il faut briser des murs / En soufflant dans des trompettes / Ou à force de murmures / J’irai au bout de mes rêves »
En fait, Sardou et Goldman font référence au Livre de Josué et à la bataille de Jéricho entre les Israélites et les Cananéens. On vous explique tout ça dans l’éclairage !
Le Livre de Josué raconte les avancées géographiques et les victoires militaires du peuple hébreu. Successeur de Moïse à la tête du peuple, Josué mène la conquête. Les Hébreux sont ici à l’assaut de la ville cananéenne de Jéricho.
Jéricho était fermée et fortifiée, par peur des enfants d’Israël. Personne n’osait sortir ni rentrer.
Le Seigneur dit à Josué :
— Voici que j’ai livré entre tes mains Jéricho et son roi ainsi que tous ses vaillants hommes. Marchez autour de la ville, vous tous les hommes de guerre, faites une fois le tour de la ville, une fois par jour. Vous agirez ainsi pendant six jours.
Mais au septième jour, que les prêtres portent devant l'arche sept trompettes retentissantes faites dans des cornes de béliers ; et qu'ils marchent devant l'arche de l'Alliance. Vous ferez sept fois le tour de la ville, et les prêtres sonneront des trompettes.
Quand le son de la trompette sera plus long et plus saccadé et qu’il résonnera à vos oreilles, tout le peuple poussera une grande clameur et les murs de la ville s’écrouleront de fond en comble. Et chacun entrera par l'endroit en face duquel il se trouve.
Josué fils de Nun appela donc les prêtres et leur dit :
— Prenez l’arche de l’alliance, et que sept autres prêtres portent sept cors en cornes de bélier et s’avancent devant l’arche du Seigneur. [...]
L’arche du Seigneur marcha donc autour de la ville et en fit une fois le tour, puis, rentrée dans le camp, elle resta là. [...]
Ils marchèrent, le second jour, une fois autour de la ville. Puis ils revinrent dans le camp. Ils firent de même pendant six jours.
[Le septième jour] le peuple poussa des cris [de guerre] et sonna des trompettes. Quand il entendit le son des trompettes, le peuple poussa un grand cri de guerre, et le rempart s'écroula sur place. Aussitôt le peuple monta vers la ville, chacun devant soi, et ils s'emparèrent de la ville.
Avant toute chose : à quel type de texte avons-nous affaire ?
Ce livre de l’Ancien Testament suit le Livre de l'Exode et raconte l’histoire d'Israël après la sortie d’Égypte et la mort de Moïse.
Josué, successeur de Moïse, conquiert la Terre Promise qui est aux mains des Cananéens. Selon la chronologie biblique, les événements se déroulent approximativement au 12e siècle avant Jésus-Christ.
Le Livre de Josué se présente comme une « épopée sacrée ». C’est un genre littéraire assez classique dans l’Antiquité : tout le récit est guidé par une série d’interventions directes de Dieu qui conduit le héros et son peuple – plus ou moins obéissants d’ailleurs…
La présence divine occupe ainsi une place toute spéciale dans la narration des hauts faits militaires du peuple hébreu, emmené par Josué.
Géographiquement, Canaan désigne la région qui s’étend de la mer Méditerranée à l'ouest de la Jordanie et de la Syrie et vers le Liban, au nord. Or, dans les récits bibliques, les Cananéens sont présentés comme un peuple ennemi des Hébreux car ils habitent la région qui est la Terre Promise par Dieu à Abraham.
Dans le texte d’aujourd’hui racontant la bataille de Jéricho, il n’est pas compliqué de voir que Dieu occupe la place centrale : la bataille militaire attendue prend finalement la forme d’un siège patient et, au bout d’une semaine à tourner autour de la ville, les murailles s’effondrent au son des trompettes (quand on vous dit que les murs ont des oreilles…).
Mais une question se pose : quelle est la nature de ces récits militaires de l’histoire d’Israël ?
En fait, ces récits du Livre de Josué n’ont pas pour objet de reconstituer pour elle-même la réalité historique des faits, mais d’en dégager la signification théologique à l’intention de la communauté destinataire.
Autrement dit : il s’agit de témoigner de l’agir de Dieu à travers l’histoire des hommes – en l’occurrence, l’action de Dieu envers son peuple, Israël.
Ce témoignage de l’action de Dieu permet ainsi à Israël de faire mémoire de la fidélité que Dieu lui assure tout au long de son histoire. Cette insistance sur la fidélité et la promesse tenue est d’ailleurs exprimée à plusieurs reprises dans le Livre de Josué :
Vous avez vu tout ce que YHWH votre Dieu a fait à toutes ces nations devant vous car c’est YHWH, votre Dieu, qui a combattu pour vous. (Jos 23,3)
Voici que je m’en vais aujourd’hui par le chemin de toute la terre, reconnaissez de toute votre âme que, de toutes les paroles que YHWH votre Dieu, a prononcées sur vous, aucune n’est restée sans effet. (Jos 23,14)
Dans l’extrait que vous venez de lire, la prise de Jéricho est un triomphe spectaculaire.
Pourtant, à le lire très simplement, de manière littérale, le récit de cette victoire prend davantage la forme d’une célébration liturgique que d’une bataille militaire : c’est en effectuant une procession autour de la ville, en sonnant les trompettes et en portant l’arche d’alliance où Dieu est présent que la victoire est accordée aux Hébreux.
Conclusion : l’enjeu de ce récit est de construire une histoire nationale, de faire mémoire de la fidélité de Dieu pour affirmer l’identité du peuple d’Israël.
Le récit biblique de la bataille de Jéricho a inspiré de nombreux peintres et poètes. Victor Hugo, en exil à Jersey en septembre 1853, a ainsi composé un magnifique poème en alexandrins qui relate cette semaine de siège militaire. Les Cananéens se moquent alors ouvertement des Hébreux, avant que leurs murailles ne tombent :
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.
Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu’il fit le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
– Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ?
À la troisième fois, l’arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l’armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l’arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d’Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s’asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux Hébreux ;
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées ;
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu’au sommet l’aigle faisait son nid,
Si dure que l’éclair l’eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : – Ces Hébreux sont bons musiciens !
Autour du roi joyeux, riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple et délibèrent.
À la septième fois, les murailles tombèrent.
Victor Hugo (1802-1885), Les Châtiments, 1852. Paris, éd. Gallimard Poésie, 1998
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